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Les Infortunes du juif Dulys

Les infortunes du juif Dulis1
Pélissier, Marseille a des chaînes2
Bien moins funestes que les tiennes.
Sous tes fers on est accablé,
Sans que jamais rien tranquillise,
Quand on les porte on est volé,
On est roué quand on les brise.

Admirez combien on estime
Les coups d’archet plus que la rime :
Que Voltaire soit assommé3
Thémis se tait, la cour le joue ;
Que Francœur ne soit qu’alarmé4
Le complot seul mène à la roue.

La vengeance n’est point permise :
Thémis défend toute entreprise
Qui tend à nuire à son prochain ;
Mais, puisque le roi l’autorise,
On doit brûler une putain
Qui sans scrupule judaïse5 .

Le héros de la synagogue
Qui te mit richement en vogue,
Dans un triste état est réduit.
Tu le fis ta dupe idolâtre,
Sur l’échafaud il n’est conduit
Que pour t’avoir vue au théâtre.

Que Dulys soit mis à la roue
Et que Francœur de lui se joue,
Cela paraît impertinent.
Mais si Thémis voulait bien faire,
Pélissier irait pour dix ans
Habiter la Salpêtrière.

Malepeste, quelle colère
Dans ce petit dieu de Cythère !
Passe pour mettre son bandeau,
Je lui pardonne toute ruse ;
Mais qu’Amour se fasse bourreau,
Ma foi, ce trait est sans excuse.

Manon Francœur, quel avantage !
Thémis pour toi fait le partage ;
La Grève venge tes plaisirs,
Ta gloire immole ta victime,
Après d’illicites soupirs,
Ton arrêt, déesse, est un crime.

 

Le héros de la synagogue6
Qui te mit richement en vogue
Dans un triste état est réduit.
Tu le fis ta dupe idolâtre,
Sur l’échafaud il ne fut mis
Que pour t’avoir vue au théâtre.

  • 1Le juif Dulys, qui était en intrigue avec la Pélissier, prit une haine contre Francœur, violon de l’Opéra qui était aussi en intrigue avec elle. Dulys lui avait fait présent de cinquante mille livres de diamants sur ce qu’elle lui avait promis de passer en Hollande avec lui ; quand il fut sur le départ, elle ne voulut point partir. Lui, piqué de cela, dès qu’il fut en Hollande, chargea un laquais qu’il avait, de venir Paris et de faire assassiner Francœur, ce qui n’a pas réussi. Mais ce laquais qui s’était mis en œuvre de faire ce que son maître lui avait commandé ayant été pris fut rompu, et Dulys le fut en effigie. (M.) — Le Châtelet les avait condamnés qu’à être pendus, mais sur un appel a minima La Tournelle les condamna à la roue. (R)
  • 2Les chaînes des galères. (R)
  • 3Voltaire reçut des coups de bâton, l’affaire n’eut aucune suite. (M.). — Le Chevalier de Rohan, qui avait attiré Voltaire dans un lâche guet‑apens, ne fut pas inquiété et Voltaire qui voulut en tirer vengeance fut mis à la Bastille. (R)
  • 4Il est vrai que l’alarme fut chaude. « Si j’étais à la place de Francœur, déclare Barbier, je tremblerais toujours ; il y a bien à appréhender avec un homme (Dulys) qui a tant d’argent et qui doit être piqué personnellement par une condamnation pareille, qui d’ailleurs a tout son bien en pays étranger. » (R)
  • 5L’avocat Barbier est bien de cet avis : « Puisqu’on a été si rigide dans cette affaire, écrit‑il, et qu’on veut sui­vre les ordonnances, il fallait décréter Mlle Pélissier, car la voilà véhémentement soupçonnée d’avoir eu commerce avec un juif, ce qui est défendu sous des peines. D’ailleurs c’est une gueuse qui par son libertinage est cause de tous ces malheurs. Ayant un amant comme Dulys, qui lui a fait beaucoup de bien, elle ne devait pas être en débauche avec Francœur. Cela seul méritait de la faire enfermer mais parce qu’on a besoin de Mlle Pélissier à l’Opéra de Paris, on l’a laissée là et on regarde cela comme une gen­tillesse. » On voit par là que les gens de théâtre commen­çaient déjà à prendre dans la société une importance excessive. (R)
  • 6Ce couplet ne se trouve que dans Castries.

Numéro
$0720


Année
1730 (Castries) / 1731




Références

Raunié, V,253-55 - Clairambault, F.Fr.12701, p.129-30 (3 1ères strophes) - Maurepas, F.Fr.12632, p.360 - F.Fr.10476, f°18r (1ère strophe) - F.Fr.13659, p.384 - F.Fr.15132, p.288-89 - F.Fr.15136, p.257-58 - Arsenal 2938, f°68r (Couplets I et II) - Arsenal 2975, p.163 - Arsenal 2391, f°176v - Arsenal 3116, f°106 - BHVP, MS 542, f°90-93 - BHVP, MS 658, p.218-19 - Mazarine, MS 2164, p.339-43 - Mazarine MS 2166, p.299 (premier couplet) - Mazarine Castries 3984, p.397-99 (avec un couplet supplémentaire) -  Besançon BM, MS 561, p.118 (deux premiers couplets) - Barbier, II, 159 (couplets I et II) - Bouhier-Marais, IV,142-43 (couplets I et II)