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Dialogue paysan sur la naissance de Dauphin

Dialogue paysan sur la naissance du Dauphin
Ah ! Colin, que je suis aise
De te rencontrer ici !
Mathurin et le gros Blaise
Veniont d’arriver aussi.
Paris est pis qu’une foire ;
L’on y rit de bout en bout ;
Chacun se fait une gloire
D’y bouter le feu partout.

Dame ! aussi quel avantage
Pour tout le peuple françois !
Nous avons en droit lignage
Un fils de plus de cent rois.
C’est le Dauphin dont je parle.
Vraiment, l’on dit qu’il est biau,
Gentil, plus net qu’une parle,
Doux et droit comme un rosiau.

Voyez donc le bel oracle !
Quel conte nous fait-il là ?
Prends-tu ça pour un miracle,
Avec le père qu’il a ?
Trouverais-tu sur la terre
Un si biau prince, un mortel
Aussi bien fait pour la guerre,
Et d’un meilleur naturel ?

Tatigué ! comme il jargonne ;
De la reine qu’en dis-tu ? —
Je dis qu’elle est franche et bonne,
Un vrai tableau de vertu ;
Et que de tels père et mère,
Il ne saurait provenir
Que des enfants dont, compère,
On aura bian du plaisir.

En voyant les trois princesses,
Ca se devine en deux mots ;
Ce ne sont que gentillesses,
Et de biaux petits propos.
Je gagerais bian, acoute,
Qu’elles pâment dans le cœur
D’avoir, sans qu’il leur en coûte,
Pour frère un si grand seigneur.

Dans le châtiau de Versailles,
On ne s’entend pas, ma foi :
Tout le monde est en guoguailles,
A commencer par le roi ;
Les dames pleuriont de joie,
Mais rien ne paraît égal
A la gaieté que déploie
Le ministre cardinal.

Sont mille gens qui tracassent,
Et des nourrices par tas ;
Des cuisiniers qui fricassent ;
Ah ! quel terrible embarras !
J’ignore où tout ça se boute,
Mais en retour je conçois
Que pour leur tremper la croûte
Il faut bian avoir de quoi ! —

Je t’acoute et tu raisonnes ;
Ah ! que je sommes nigaud !
Approchonsn-ous de ces tonnes,
Le vin en tombe par sciaux.
Si j’attrapons par fortune
Quelques sapes de gourdin,
Je boirons, et sans rancune,
A la santé du Dauphin.

Quel bruit ! que de pétarades !
Qu’on sent la poudre à canon !
Chacun donne des aubades ;
Le pavé n’est que charbon ;
Entends-tu les tournebroches ?
Pargué ! ça va d’un grand train.
Ah ! qu’on cassera de cloches
Si Dieu n’y boute la main ! —

Palsangué ! comme on nous pousse.
Il ont grillé mon chapiau.
La rencontre n’est pas douce ;
Pren garde à ce serpentiau.
Quoiqu’habitants de village,
Morgué, j’avons le cœur bon ;
crions avec courage
Vive le sang de Bourbon !

Numéro
$0682


Année
1729 (Castries)




Références

Raunié, V,189-92 - Clairambault, F.Fr. -12699, p.541-42 - F.Fr.13655, p.227-30 - Chambre des députés, MS 1441, f°261 - Mazarine Castries 3984, p.341-45 - imprimé (2 p.in-8°)