Les Deux ministres
Les deux ministres1
Gémis, France, gémis, pleure ta destinée2
.
A de cruels malheurs sans cesse abandonnée,
En perdant ton grand roi, tu perdis ton appui ;
Celui qui lui succède et qui règne aujourd’hui,
Est livré par deux fois à d’odieux ministres.
Le premier3
, n’écoutant que des conseils sinistres,
D’un projet effréné te fit sentir l’horreur ;
Du faux appât du gain colora sa noirceur
Et, voulant absorber tous les biens de nos pères,
Pour des réalités nous donna des chimères.
Son cœur ambitieux, qui nageait dans l’orgueil,
De toutes les vertus fut le funeste écueil,
Et, foulant à ses pieds le droit de la nature,
Des forfaits les plus noirs sa vie fut la peinture.
Il est mort satisfait et tranquille au dehors,
Sans crainte, sans effroi, sans marque de remords
Le ciel, tranchant le cours de son dessein perfide,
Arrêta les horreurs d’un affreux parricide.
France, combien de fois as-tu pâli d’effroi,
En voyant le danger qui menaçait ton roi !
Heureuse si tu peux en perdre la mémoire !
De ton premier tyran telle est l’affreuse histoire.
Le second4
, moins fertile en projets captieux,
Beaucoup moins éclairé, voyant par d’autres yeux,
L’abondance réduit par son âme insensée
Aux avares désirs d’une femme effrontée5
Ton peuple demi-mort et pressé par la faim6
,
N’était qu’un faible essai préparé par sa main.
Son avide fureur se nourrit de tes larmes.
Vois tes enfants craintifs au milieu des alarmes
Attester vainement, en réclamant leurs droits,
Le serment solennel du sacre de tes rois7
;
Trop légitimes droits qu’efface l’injustice,
Les lois n’ont plus de force où règne l’avarice !
L’audace d’une femme élude les serments,
Convertit ton sang même en de vains ornements,
Et, bravant l’infamie en imitant sa mère,
Vend jusqu’au déshonneur de sa flamme adultère.
Que dis-je ? c’était peu qu’en proie à sa fureur,
Elle suivît les pas d’un père sans honneur8
.
Un malheureux rebut des gardes de tes princes9
Par des maux imprévus accable les provinces ;
Vil artisan d’impôts, il est seul écouté,
Triste choix d’une infâme et d’un prince hébété.
Jouissant autrefois d’une heureuse abondance,
Le laboureur charmé, flatté par l’espérance,
Ornant avec plaisir ses fertiles guérets,
Cultivait en repos les trésors de Cérès.
Ses troupeaux bondissants au milieu de la plaine,
Du zéphir amoureux sentaient la douce haleine :
Tout croissait à l’envi dans les champs fortunés ;
Mais, depuis que des cœurs au crime accoutumés,
Augmentant tous les jours la misère publique,
Exercent les horreurs d’un peuple tyrannique,
Depuis qu’ils ont osé combler tous leurs forfaits
Par un subside affreux au milieu de la paix10
,
N’espère plus revoir tes campagnes fertiles.
Déjà le désespoir accourant dans les villes
D’un déluge de maux te fait sentir le poids
Thémis de son Sénat emprunte en vain la voix.
Rien ne peut arrêter leurs avides licences
Et l’on n’écoute point ses sages remontrances.
Tu croyais, mais en vain, qu’un hymen glorieux
Te pourrait amener un siècle plus heureux.
Trop inutile espoir ; une indigne alliance
Souille le sang des rois, auteurs de ta naissance
Mais quoi ! pour te venger ton sort est dans ta main.
Enfonce ton épée au sein d’un inhumain ;
Perce, délivre-toi de ce Cyclope horrible11
;
Et donne à l’avenir un exemple terrible,
En livrant aux bourreaux le conseil malheureux
Qui te fait éprouver un sort si douloureux.
- 1Regrets de la France au mois de décembre 1725 (Arsenal 2962)
- 2Ceci est une atroce calomnie.
- 3M. le duc d’Orléans Régent. (M.) (R)
- 4M. le Duc. (M.) (R)
- 5Mme de Prie. (M.) (R)
- 6On entend parler de la cherté du pain pendant les mois de juillet et août 1725. (M.) (R)
- 7Le roi à son sacre jure entre autres choses de ne mettre jamais aucun impôt sur le pain (M.) (R)
- 8M. Berthelot de Pléneuf. (M.) (R)
- 9Pâris Duvernay. (M.) (R)
- 10Le cinquantième. (M.) (R)
- 11On a déjà vu que le duc de Bourbon était borgne ; de là ce surnom de Cyclope qui lui est fréquemment appliqué. (R)
Raunié, V,70-73 - 1732/1735, III, 28-32 - 1752, III, 28-32 - Clairambault, F.Fr.12699, p. 257-60 - Arsenal 2962, p.323-26 - Arsenal 3128, f°61v-62v - Arsenal 3133, p.52-54 - Lille BM, MS 66, p.229-33