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Lettres de noblesse en faveur de M. Samuel Bernard Banquier

Lettres de noblesse en faveur de Mr. S[amuel] B[ernard]
De par le dieu de l’allégresse,
Antipode de la tristesse,
Ennemi de l’austérité
Et guide de la vérité,
Nous, les Régents de la Calotte,
Épris de la dive Marotte,
À tous nos bons sujets, salut !
Comme nous n’avons d’autre but
Dans le suprême ministère
Par nous exercé que de plaire
En rendant les mortels heureux
Et les prévenant de nos vœux,
Ayant parfaite connaissance
Qu'un banquier de grande importance
De grand crédit et grand renom
(Samuel Bernard est son nom)
Quoiqu’issu de vile roture,
Mérite par mainte aventure
Arrivée ici sous nos yeux
Les titres les plus glorieux ;
Informés avec certitude
Qu’il fait dès longtemps son étude
De vivre comme un grand seigneur,
Qu’il n’a rien même plus à cœur
Que d’imiter notre noblesse,
Qu’il a tout l’esprit et l’adresse
Que possèdent les courtisans
Pour tromper et duper les gens,
Sachant que par sa banqueroute
Il s’est fait une belle route
Vers la fortune et la faveur,
Et que, vivant avec splendeur
Dans les plaisirs, dans l’opulence,
Il voit dans l’extrême indigence
La plupart de sa parenté
Sans en être déconcerté ;
Qu’il a règle sûre et parfaite
Pour ne payer aucune dette
Qu’âgé de quatre-vingt-deux ans,
Sur le modèle de nos grands
Il a maîtresse entretenue
Pour être par d’autres revue,
Que la France manquant de grains
Il en a des pays lointains
Fait venir grande abondance,
Qu’il est le salut de la France,
Comme le Sieur Jean Law le fut,
Ayant tous deux le même but
Secondant dans cette industrie
Et le zèle pour la patrie
Que font paraître dans Paris
Les quatre bons frères Pâris,
Fils de l’hôte de la Montagne,
Devenus les rois de Cocagne.
À ces causes, nousdits Régents,
De Momus fidèles agents,
Jugeons que ce banquier insigne
Est de toute manière digne
Que nous l’agrégions promptement
Dans les nobles du Régiment.
Nous voulons que par ces présentes,
Authentiques lettres patentes,
De cuistre et manant qu’il était
Il soit réputé franc et net,
Honnête et brave gentilhomme
Sans qu’il lui coûte aucune somme
Pour acquérir ce rang d’honneur
Qu'il reçoit de notre faveur.
Voulons que sa race future
Sans égard à sa source impure,
Soit tenue ayant des aïeux
Qui descendaient de demi-dieux.
Lui décernons pour récompense
Parfaite et plénière indulgence
De ses tours de Maître Gonin ;
Changeons son illicite gain
En gain honnête et légitime.
Plus nous le lavons de tout crime
Par icelle élévation,
Pour qu’il vive en distinction
Et qu’il soutienne sa noblesse
En pure et loyale largesse.
Nous voulons qu’il ait tous les ans
La somme de cent mille francs
À prendre sur chacune et toutes
Les faillites et banqueroutes
Que les frères Pâris et lui
Aimant beaucoup le bien d’autrui
Procureront dans le royaume
Et qu’il flaire doux comme baume.
Au surplus, nous lui faisons don
De triple calotte de plomb,
Ornée de grandes oreilles
Qui ne trouvent pas leur pareille.
Lui concédons pareillement
Le grand cordon du Régiment,
Parsemé de grelots, sonnettes,
De papillons, de girouettes,
Singes, sauterelles et rats.
Voulons de plus que pende au bas
Dudit cordon notre médaille
De la plus belle et grande taille,
Qui puisse flatter son désir.
Donné par notre bon plaisir,
Sous le sceau, couleur verte et bleue,
À lacs de crin, à triple queue,
Tout le Conseil étant assis,
En l’an mille sept cent vingt et six.

 

Numéro
$4071


Année
1726




Références

1725, II, Supplément 8-11 - 1726, 270-272 - 1754, V,20-23 -  F.Fr.9353, f°259r-260v - F.Fr.12654, p.223-227 - F.Fr.12785, f°150r-151r -  F.Fr.15016, f°241r-245r - F.Fr.25570, p.693-698 - Grenoble BM, MS 587, f°131v-133v - Lille BM, MS 62, p.157-163