Aller au contenu principal

Sur la guerre d'Italie

Or, écoutez, petits et grands,
L'histoire d'un triste accident1
Qui, quoiqu'il soit presque incroyable,
Est cependant très véritable.
En plein jour l'ennemi surprit
Toute une armée dedans son lit.

Les Français et les Allemands
S'entreparlèrent depuis longtemps
Tout à travers d'une rivière.
Dans une confiance entière
Chacun dormait tranquillement
Ou du moins faisait le semblant.

Le général de Konigseg2
Qui avait toujours l'oeil au guet,
N'apercevant garde ni ronde,
Se dit, ma foi, tout me seconde.
Broglio par trop est confiant.
Profitons de l'heureux moment.

Il fit donner toute la nuit
Aux grenadiers poudre et biscuit.
Dans ce couvent il faut nous rendre.
Ce fut le 15 de septembre
Et quand la cloche sonnera
D'abord chez Broglio on entrera.

Près la maison du maréchal
Il y avait un interval
Entre Dauphin et Picardie.
L'allemande cavalerie
S'y plaça, disant au piquet
En bon français le mot du guet.

Sur les sept heures du matin
Sonna le réveil-matin.
Tout sortit en criant : tue, tue.
Toute la garde en fut émue.
On réveilla le maréchal
Qui dormait sans penser à mal.

L'on tua, l'on fit prisonnier
Tout ce qu'on pût dans ce quartier.
Broglie, comme un second Anchise,
Se sauva tout nud en chemise,
Tenant en main se deux enfants,
Montrant le cul tout en fuyant.

Carament pris, Beaumont tué,
Sur le trésor se sont rués,
Ils ont pillé tout l'équipage
Du maréchal et le bagage
De quinze ou seize bataillons,
Brûlé tentes et pavillons.

Un pied chaussé et l'autre nu,
Tout fuyait se croyant perdu.
Mais Maillebois, Derville, Bervilles,
Trois généraux des plus habiles,
Arrêtèrent ces premiers fuyards,
Les rangeaient sous leurs étendards.

Ce jour fatal nous a coûté
Trois mille hommes tout bien compté.
C'est une triste camisade.
Dieu préserve de telle aubade
Et fasse que nos commandants
Soient désormais plus vigilants.

Pardonnez encore un propos.
Si nous donnons dans leurs panneaux,
C'est que de trop près on regarde.
On aime bien la sauvegarde,
Mais payer cher un espion
Ce n'est pas là leur attention.

Voyez de quoi dépend le sort
D'un général qui toujours dort.
Une petite négligence
De trois rois3 perdait l'espérance
Si le projet de l'ennemi
Eût été vivement suivi.

Le seize, le roi4 rassembla
Ce qui était par ci, par là,
Fit ranger l'armée en bataille
Et dit : voilà cette canaille
Qui nous ont pris en trahison.
Bientôt après nous les verrons.

Les soldats, furieux, marris
D'avoir été ainsi surpris,
S'excitèrent à la vengeance.
Faites-nous prendre la revanche
Et nous ferons aux Allemands
Mordre la terre à belles dents.

Le dix-sept, l'armée marcha.
Ce qui restait on partagea,
L'un en habit, l'autre en veste.
Du pain n'y en eut point de reste
Et à la queue Mailbois on mit
Qui vaillamment la défendit.

Le dix-huit, l'armée se campa
Sur Guastalla et Luzzara
Elle se rangea en bataille
Et le soldat sans pain ni maille
De battre brûlait de désir
L'ennemi qu'il voyait venir.

Le général de Konigseg
Pour mettre à fin son beau projet
S'en alla dessus les rivières
Pour nous couper tous nos derrières
Disant les Français sont battus
Et pour le coup ils sont perdus.

Ce fut le dix-neuf à grand train,
Sur les dix heures du matin,
Que l'ennemi vint en colonne
La trompette la charge sonne
Animant le coeur du soldat
Il vole furieux au combat.

Un bruit terrible on entendit,
Et partout le sang rejaillit,
Le pistolet et cimeterre
Faisant voler têtes à terre
Des deux côtés il s'acharnait
Comme dogues qui se mordaient.

Le roi courait de rang en rang
Criant partout courage, enfants,
Soutenons l'honneur de la France.
Mes Piémontais, à la vengeance,
Je vais combattre à vos côtés.
Nouss vaincrons si vous m'imitez.

Que dire des carabiniers
Qui descendent de leurs coursiers
Voyant Auvergne fort en terre
Pour les défendre pied à terre
Puis remontant sur leurs chevaux
Des cuirassiers font voir le dos.

A la gauche le général
Voyant le combat inégal,
Il y fit passer trois brigades
Qui leur donnèrent les aubades
Et des dragons à pied aussi
Qui repoussèrent les ennemis.

Sept à huit heures on s'est battu,
Bien attaqué, bien défendu.
Jamais on ne vit tel carnage
Les soldats écumaient de rage
Le officiers, les généraux
S'y comportèrent en héros.

Jusqu'à trois heures on ne savait
Ni qui perdait ni qui gagnait.
Mais la droite ennemie vaincue,
En vain le reste s'évertue;
Il fallait céder à Biron
Le terrain et tout le canon.

Ce fut à cinq heures du soir
Que l'Allemand dit au revoir
Et tout à coup tourna les fesses.
Les Français les suivaient sans cesse
Criant : apprenez désormais
A nous laisser dormir en paix.

Nous avons bien trois mille morts
Et trois mille blessés encore
Qui font en tout plus de six mille.
Ce récit m'échauffe la bille
Peste soit du grand général
Qui nous a causé tout ce mal.

Si la victoire fait honneur
Un tel carnage fait horreur
Que Dieu par sa miséricorde
Aux trépassés pardon accorde
Le Te Deum on chantera
Accompagné d'un Libera.

  • 1Sur la guerre d'Italie. C'était M. le maréchal de Broglio qui commandait cette armée qui se laissa surprendre par les Allemands le 15 septembre à Guastalla. Il n'eut le temps que de se sauver en chemise et toute sa maison fut enlevée par l'ennemi, et l'armée de France fut en déroute.
  • 2 Général des Allemands.
  • 3La France était alliée à l'Espagne et à la Savoie pour faire la guerre à l'empereur.
  • 4Le roi de Sardaigne.

Numéro
$1742


Année
1734




Références

F.Fr.12675, p.189-99 - F.Fr.15136, p.277-80 (incomplet) - Lyon BM, MS 1553, p.128-39 et 218-29