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Le Tombeau de la Gloire détruit par les titans

Du Comique Opéra, vainqueur intéressé,

Vous, que ses traits badins ont tant de fois blessé,

Devenez généreux après votre vengeance,

Et de son frère aîné soulagez l'indigence.

Ne lui refusez plus le Samson l’Osiris1

Ni l'œuvre prohibé par les faibles esprits :

Du préjugé dévot mes actrices guéries,

Sur Pandore2  et sur vous sont enfin aguerries.

Votre compositeur si naturel, si doux,

Qui du petit Bernard3  s'éleva jusqu'à vous,

Nous a fait de Lully détester les sottises.

Desenquinaudés-nous par vos pièces exquises.

Eh quoi ! ne voulez-vous triompher qu'à la Cour,

Et sans vous dégrader ne puis-je avoir mon tour ?

Du plaisir des Bourgeois devenu plus avare

Vous leur avez soustrait l’Infante de Navarre4

Soit : mon intérêt seul anime ici ma voix,

Et j'aime assez à voir l'Histrion aux abois.

Je vous l'avoue encor, votre nom me chatouille,

Avec de vils Rimeurs ma noblesse se rouille,

Les Auteurs illustrés ont chez moi tout accueil,

Seuls, de mon origine ils soutiennent l'orgueil.

Je reçus en naissant, le nom d’Académie :

Sur vos rares talents une autre est endormie,

Mon choix de ses refus5 peut vous dédommager,

Entrés dans le seul Corps qui vous puisse agréger.

Chapelain dont le nom dégénère en injure,

Comme vous du Parnasse obtint la Dictature,

Au clair voyant Colbert, par amis suborné,

Chapelain parut grand, & fut pensionné.

C'est à lui que l'on doit une triste Pucelle

Vous en faites une autre6 et plus gaillarde qu'elle,

Une, dont le projet a percé les cafés ;

Et je suis à souscrire un des plus échauffes.

Mais ce travail burlesque absorbe-t-il vos veilles?

C'est un délassement à vos graves merveilles :

Délassez-vous pour moi par un tendre Ballet

Modelé sur Platée7  et vainqueur du sifflet.

Versailles, j'y consens, en aura les prémices,

Des restes succulents je ferai mes délices.

Vous choisirez le temps, vous serez bien payé,

Et de mes Pensions tel nom sera rayé,

Je vous y substitue, et vous cède l'aubaine. . . .

Ah Seigneur ! commandez aux deux bords de la Seine,

Vous avez fait du bruit au quartier de Bussy,

Au quartier de Saint Roch il faut briller aussi.

O que j'attends l'hiver avec impatience ! 

Quels succès à la Cour ! je les chante d'avance.

On répète : je vois votre comptoir dressé,

Et de vos Ambulants le manège empressé,

Gestes, cris enroués, menaces, beau délire,

Valets, comédiens, tout rit, et moi j'admire.

On vous joue et rejoue. Oui, soyez seul nommé,

Qu'aux Rivaux dangereux ce beau champ soit fermé !

Que de vos Conjurés la cohorte mutine

Proscrire Crébillon, et Corneille, et Racine,

Et qu'insultant au goût que le crédit soumet,

Elle ramène au jour feu votre Mahomet.

  • 1Deux opéras mis en Musique par le sieur Rameau et refusés depuis dix ans (M.)
  • 2Opéra composé pour la Cour, répété et proscrit à cause des allusions, en janvier 1745, malgré la beauté de la Musique (M.)
  • 3Auteur des paroles de Castor et Pollux (M.)
  • 4Comédie-ballet, représentée à la Cour en février 1745 et refusée à la Comédie (M.)
  • 5Refusé à l'Académie, en janvier 1743, quoique sans concurrent ; elle invita un prélat de remplir la place vaquante (M.)
  • 6La justice est en quête de cette pièce (M.).
  • 7Ballet sifflé à la Cour, refusé à l'Opéra (M.)

Numéro
$5807


Année
1745




Références

Le Temple De La Gloire | détruit par lès Titans. [suivi de] Tombeau de la Gloire | de M. de V..., s. l. [Paris], s. n., 1745. Exemplaire unique : F-Pn YE 33774


Notes

Le Temple de la Gloire, opéra (musique de Rameau) commandé à Voltaire à la gloire de Louis XV. Voir $5806. Merci à Julien Dubruque de nous avoir signalé ce très document.