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Réflexions d’un provincial à Paris

Réflexions d’un provincial à Paris
Enfin j’ai vu la ville immense
Où les provinciaux vont chercher le bonheur.
J’ai dit en la voyant : Quelle magnificence !
La France est un grand corps dont Paris est le cœur.

J’ai vu ces tours où l’art insulte à la nature,
Temples saints que l’orgueil bâtit ;
J’ai vu ces longs bosquets, colosses de verdure,
Et ces palais si grands où l’homme est si petit.

Dans des chars transparents où le luxe se joue,
J’ai vu des dieux nonchalamment portés ;
J’ai fait mieux que les voir, ils m’ont couvert de boue,
Noble émanation de ces divinités.

J’ai vu multiplier les Muses et les Grâces ;
J’ai vu, sur cinq ou six Parnasses,
Le chaste Chérubin et le décent Jeannot,
Les prisons de Sedaine et les cercueils d’Arnaud.

Dans un temple de la magie,
Où les arts alliés joignent leur énergie,
J’ai vu des paladins qui, par un noble effort,
Dansaient à l’agonie et même après la mort.

J’ai vu des nymphes surannées
Inscrire sur leurs fronts le chiffre de vingt ans ;
J’ai vu des fleurs d’hiver et des roses fanées
Disputer la fraîcheur aux filles du printemps.

J’ai vu plus d’une aventurière
Afficher le plaisir, le chagrin dans le cœur,
Et des Vénus dans la misère
Crier : Venez ici, nous vendons le bonheur.

Enfin dans ce Paris chacun veut aller vivre,
C’est le rendez-vous des souhaits ;
Cependant je n’y vis jamais
Un seul homme content, à moins qu’il ne fût ivre.

Numéro
$1580


Année
1786




Références

Raunié, X,223-24