L'Empire des airs
L’empire des airs1
Tandis que l’on critique,
A tort et à travers,
Montgolfier vole dans les airs ;
Et, monté sur son globe,
Cet Icare nouveau
Étonne le badaud.
L’Anglais se désespère
Et montre de l’humeur
De ne pas être l’inventeur
De cette découverte
Du globe aérien
Qui s’élève si bien.
Ces fiers insulaires,
Se disant rois des eaux,
Pourront aller sur leurs vaisseaux
Voguer à l’aventure
Dessus cet élément
Qui est si inconstant.
Sur mer, comme sur terre,
Nous allons dominer,
Rien ne pourra nous résister ;
Nous lancerons la foudre
Où bon nous semblera
Par le moyen du gaz.
Bientôt avec l’Olympe
Nous communiquerons ;
Vers le beau pays nous irons
Où sont toutes ces belles,
Ces vierges, ces houris
Peuplant le paradis.
Pour moi, si je voyage,
Je veux pour mon ballon
N’avoir que ma chère Lison ;
Dedans son joli globe
J’introduirai mon gaz…
Et puis et cetera.
- 1Cette chanson fut composée à l’occasion de l’ascension effectuée par le physicien Charles et l’un des frères Robert, le 1er décembre, dans le jardin des Tuileries, en présence d’une foule immense qui avait payé les places fort cher. Les deux aéronautes, après s’être élevés à une hauteur de 7 000 pieds, touchèrent terre dans la plaine de Nesle ; là, Robert sortit de la nacelle, et Charles, reprenant son voyage, alla descendre à une lieue et demie de la première station, après une nouvelle course de trente-cinq minutes. « Il serait difficile, écrivait le jour même Métra à son correspondant, de vous exprimer, de vous peindre le ravissement et l’enthousiasme qu’a produit dans cette capitale le spectacle merveilleux dont MM. Charles et Robert viennent de la faire jouir. O la journée mémorable ! vraiment, il faudrait être Homère ou Pindare pour la solenniser dignement. » Peu après, le Roi, voulant récompenser les auteurs des découvertes aérostatiques, donna à Montgolfier le cordon de Saint-Michel ; le physicien Charles fut doté d’une pension de deux mille livres, Pilâtre de Rozier et les frères Robert d’une pension de mille livres chacun. En même temps le Journal de Paris annonçait que le baron de Breteuil avait reçu l’ordre de faire graver une médaille commémorative et que le comte d’Angiviller était chargé de préparer le projet d’un monument qui serait élevé dans le jardin des Tuileries à l’endroit même où Charles et Robert avaient effectué leur ascension. (R)
Raunié, X,109-11