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La France au Parlement

La France au Parlement
Auguste tribunal, ma gloire et mon appui,
C’est toi dans mes malheurs que j’implore aujourd’hui,
Mes maux sont à leur comble, et le courroux céleste
Ne me laisse entrevoir qu’un avenir funeste.
Ici de mes enfants, par des coups redoublés,
Sur un terrain trompeur les pieds sont ébranlés ;
Là sur un char de feu, le démon de la guerre,
Ne cesse, autour de moi, de lancer son tonnerre.
La Mort, la faux en main, sur ses pâles coursiers,
Vole, frappe et partout moissonne mes guerriers.
Chacun semble enivré d’un esprit de vertige,
Qui des antiques mœurs laisse à peine un vestige.
Le Schisme, l’œil en feu, souffle dans les Prélats
Sa rage, et dans mon sein appelle les combats.
La piété s’éteint, le goût fuit, les arts tombent ;
Sous le poids des impôts les provinces succombent.
Des avides traitants le sordide intérêt
Sans enrichir le Prince, appauvrit le sujet.
On voit sur les débris du vrai patriotisme,
S’élever sans rougir le perfide égoïsme.
Les uns sont sans droiture et les autres sans mœurs ;
Le crime altier triomphe et Thémis est en pleurs.
Enfin, tristes jouets d’une fatale ivresse,
Et l’Eglise et l’Etat s’entreheurtent sans cesse.
Que de maux ! Mais que dis-je ? il en est un plus grand,
Que je viens à vos pieds dévoiler en pleurant ;
Mal funeste et secret, source en maux trop féconde,
D’où partent les fléaux qui ravagent le monde.
Que l’Univers entier se réveille à ma voix ;
Je vais intéresser les Sujets et les Rois.
Parmi les corps divers qu’embrasse mon enceinte,
Il en est un qui porte une trompeuse empreinte.
La sainteté paraît couronner son berceau,
L’austère piété le marque de son sceau ;
Pauvreté rigoureuse, exacte continence ;
Humilité profonde, étroite obéissance,
De ces dons précieux on le croit décoré ;
Par le plus saint des noms son nom est consacré,
L’étendard de la Foi le couvre et le déguise ;
La gloire du Très-haut, ces mots sont sa devise.
Des plus belles couleurs il marche revêtu :
Tous ses dehors enfin sont ceux de la vertu.
Sous un masque trompeur que le crime est à craindre !
Quel monstre plus fatal que celui qui sait feindre !
Sous un nom devant qui tout fléchit en tremblant,
Que d’horreur le Démon ménage en se voilant !
Née de l’Ambition, au sein de l’ignorance,
Dans le mien, malgré moi, ce monstre a pris naissance.
Plus guerrier que dévot, le fameux Loyola,
Sous le roc de Manrese en rêvant l’enfanta.
Dans le délire ardent d’un transport extatique,
Il se crut honoré d’un instinct prophétique ;
Et prit pour vision l’effet d’un sang bouillant
Que des traces de guerre échauffaient en dormant.
Epuisé par le jeûne, aigri par un faux zèle,
Il voit de combattants une image nouvelle ;
Et Jésus et Satan sous divers étendards,
Jaloux de régner seuls s’offrent à ses regards ;
Tous deux d’un doux espoir flattant son cœur docile,
Montrent de l’Univers la conquête facile.
Ce spectacle à son âme allume un feu secret,
Sa vaste ambition enfante un grand projet.
De ces deux concurrents également Apôtre,
Il prétend à ses vœux asservir l’un et l’autre,
Emprunter les secours de l’enfer et du ciel,
Et par eux devenir Monarque Universel.
« Oui, dit-il, ce spectacle enflamme mon courage.
Entre ces deux rivaux le monde se partage ;
Je pourrais par le jeu de leurs ressorts divers
Sous mes lois, à mon gré, réunir l’univers ;
En prêchant de Jésus le sévère Evangile,
J’ouvre à mes premier pas une route facile ;
Les ruses de Satan assurent mon progrès.
En n’offrant que des fleurs, puis-je être sans succès ?
Des uns, la croix en main, gagnant la confiance,
Je les fais à mes pieds ramper par conscience ;
Aux autres présentant la coupe des plaisirs,
Je fixe leur suffrage en flattant leurs désirs.
L’homme à qui le connaît, est facile à réduire ;
Il ne faut que savoir éblouir ou séduire.
Au défaut de cet art, pour enchaîner les cœurs,
Que de secrets Satan cache en ses profondeurs !
Ainsi des deux rivaux le pouvoir tributaire
Peut mettre dans mes mains le sceptre de la terre.
Employons tour à tour et Jésus et Satan. »
Du hardi Loyola tel est le vaste plan.
Aveuglé par l’éclat d’un pieux fanatisme,
Il mesure la terre et sous son despotisme
Embrassant saintement les Peuples et les Rois,
Il conçoit l’Antéchrist sous  l’ombre de la croix.
A peine dans Paris vois-je paraître Ignace,
Qu’il ose, en rampant même, essayer son audace.
Vil disciple, et déjà zélé réformateur,
Humblement despotique, il s’érige en docteur.
Il prêche, échauffe, instruit, prend un air de prophète ;
Et son maître devient sa première conquête,
Salmeron, Rodrigès, Xavier, Bobadilla,
Volent, et prosternés aux pieds de Loyola,
Sous la foi d’un serment entrent dans sa carrière.
Quand Satan se transforme en ange de lumière,
Qui pourrait échapper à son art séducteur ?
La conscience est même un lien dans l’erreur.
Ces premiers partisans s’enrôlent avec zèle
Sous un chef que le ciel en apparence appelle.
Tout parle en sa faveur, l’exemple est son garant ;
Et le Chrétien dans lui cache le conquérant.
Mais, malgré les efforts de ce funeste germe,
Pour mieux envelopper le poison qu’il renferme,
D’Ignace en frémissant je vis bientôt le but ;
Tout s’émeut dans mon sein contre un tel institut.
Prélats, religieux, Parlement et Sorbonne,
A l’aspect d’un tel monstre à l’instant tout frissonne.
De noirs pressentiments font craindre son progrès.
L’adroite politique en vain voile ses traits ;
A travers le nuage on entrevoit la foudre.
Chez moi, ce n’est qu’un cri : qu’il soit réduit en poudre.
Loyola sans pâlir entend l’arrêt fatal.
Par l’excès du mal même il remédie au mal.
Il apprend de bonne heure à céder  l’orage.
Un naufrage apparent le sauve du naufrage.

Loyola disparaît. Dans Rome, plus heureux,
Il porte ses projets, ses talents et ses vœux.
Rome, où l’ambition, sous un manteau modeste,
Sanctifie à son gré ce que le ciel déteste ;
Rome, où  l’esprit d’intrigue, adroit, insinuant,
A son but à coup sûr arrive en serpentant ;
Rome, où les yeux baissés, l’orgueil marche avec pompe,
Où, d’un air ingénu sous le serment l’on trompe ;
Rome, où l’art des détours, vainqueur des vrais talents,
Sans aile prend l’essor et se hâte à pas lents ;
Plus criminelle enfin, quoique moins idolâtre,
Rome aux talents d’Ignace ouvre un vaste théâtre.
Sur ces augustes fronts que la pourpre embellit,
Au langage flatteur la vanité sourit.
Ignace qui le voit, en politique habile,
Glisse un subtil poison dans le miel qu’il distille ;
Des satrapes sacrés qu’il aveugle avec art
Au pied du trône saint il se fait un rempart.
Farnèse alors régnait, et son âme hautaine
S’enflait en savourant la grandeur souveraine.
Entre l’Aigle et les Lis son bras est étendu.
Pour s’assurer l’Empire, il le tient suspendu.
Au fond du Vatican déjà l’orgueil élève
(la croix dans une main, et dans l’autre le glaive)
Ce monstrueux colosse, aux pieds duquel les Rois
Devaient, humbles vassaux, sacrifier leurs droits.
Ignace, à son aspect, entre en un saint délire :
« Voici pour moi, dit-il, le chemin de l’empire.
Des trônes, celui-ci sans doute est le premier,
C’est à lui de régler le sort du monde entier.
Balançant les destins des têtes souveraines,
De l’univers chrétien un Pape tient les rênes ;
Il domine les Rois, il faut régner par lui.
Donnons à ma grandeur son trône pour appui.
Gagnons le fier Pontife ; à mes vœux qu’il réponde.
Maître une fois de lui, je le serai du monde. »
Il dit, et l’œil baissé, saisi d’un saint respect,
Il s’approche du trône, et tremble à son aspect.
Prosterné, du Saint Siège il baise la poussière ;
Des hommages muets précèdent sa prière.
Bientôt, de l’éloquence empruntant les couleurs,
Il éblouit, remue et pénètre les cœurs ;
De Farnèse, avec art, flattant l’humeur altière,
Sous son joug respectable il voit l’Europe entière.
Du Très Haut, dans sa bouche, il met les ordres saints,
L’empreinte sur son front et la foudre en ses mains.
Tantôt d’un zèle ardent brûlant pour l’Evangile,
Il en peint en traits vifs le triomphe facile.
De Rome jusqu’en Chine il veut porter les lois,
Et partout établir le culte de la croix ;
Et tantôt saisissant le faible des Pontifes,
Il met dans leurs liens, tout jusques aux Califes.
D’un nouvel institut, l’appui du Vatican,
D’un pinceau délicat il trace l’heureux plan.
Il offre au Pape enfin des partisans sans nombre,
Qui, soumis à sa voix, combattant sous son ombre,
Esclaves par devoirs, victimes par serments,
Seront de ses desseins d’éternels instruments.
Quel plus puissant vainqueur que l’art de la parole !
Qui prodigue l’encens, enivre son idole.
Farnèse est ébloui ; le piège de l’orgueil,
Sous l’appareil du bien se cache, est son écueil.
Trop jaloux de l’honneur du triple diadème,
Il croit voir l’Evangile et ne voit que lui-même.
Il approuve d’Ignace et les vœux et l’objet ;
De l’anneau du pêcheur scelle enfin son projet.
Jour fatal ! où l’on voit une main respectable
Couronner le berceau d’un monstre détestable !
L’éclat de la tiare embellit tous ses traits ;
De la vertu son art emprunte mille attraits ;
Son souffle est dangereux, mais sous le sceau d’un Pape
Le poison disparaît, et son horreur échappe.
L’Antéchrist vient de naître, et Rome sans soupçon
Voit ravir à Jésus ses armes et son nom.
Décoré d’une Bulle, Ignace en obtient d’autres.
Par elles, ses enfants, érigés en apôtres,
Sous l’abri du Saint-Siège au-dessus des revers,
Ont droit, dans leurs liens, d’embrasser l’Univers.
Je frémis en voyant l’orgueil de l’entreprise.
Moi, jalouse en tout temps des droits de mon Eglise,
Libre dès le berceau, par un nouveau destin,
Me faudra-t-il subir le joug ultramontain ?
Désormais asservie aux lois de la tiare,
Ne pourrai-je échapper aux fers qu’on me prépare ?
Vous, de mes droits sacrés généreux défenseurs,
Armez-vous, il est temps, augustes sénateurs.
D’un despotisme altier redoutez les entraves ;
Soyez au trône saint soumis, jamais esclaves.
De Dieu seul dépendant, il faut, ô souverains,
Baiser les pieds du Pape et lui lier les mains.
Mes cris sont entendus. L’organe de la France,
Le fameux Dumesnil prend alors ma défense ;
Le Caton de son temps, l’intrépide Brulart
Des lois aux attentats oppose le rempart.
Vos aïeux, fiers appuis du pouvoir monarchique,
Jettent dans l’avenir un regard prophétique ;
De la secte naissante annoncent les fureurs,
Des fléaux à l’Eglise, à l’Etat des malheurs.
Cette secte, dit-on, n’est propre qu’à détruire,
Pour la foi dangereuse, incapable d’instruire ;
A son seul intérêt prompte à tout  immoler ;
Pour se venger déjà prête à tout désoler ;
Sans scrupule, partout semant la zizanie ;
Contre tous, sans rougir, soufflant la calomnie ;
Sur les débris de tout, cherchant à triompher ;
Vrai monstre que trop tôt on ne peut étouffer.
Du Peuple et du Sénat tel est le cri qu’arrache
Un serpent qui sur eux en s’irritant s’attache.
Ardente à l’écarter, je me tourmente en vain ;
Le reptile se glisse et rentre dans mon sein.
Lainès vient : quel mortel ! fécond en artifices,
Composé monstrueux de talents et de vices ;
Lainès dans ses discours plus hardi qu’éloquent ;
Dans son air, dans son jeu, moins ferme qu’intrigant,
Dont Trente avec horreur entendit les blasphèmes,
Et qui là, sans effroi, reçut tant d’anathèmes ;
Successeur d’Inigo, digne chef d’un tel corps,
L’ambitieux Lainès arrive sur mes bords.
Est-ce un caméléon qui vient frapper ma vue ?
Lanès flatte, promet, menace, s’insinue ;
Simple, artificieux, orgueilleux et rampant,
Il est tout, ose tout, si sa gloire en dépend.
Médicis dans ses mains tenait alors mes rênes ;
Lainès pour la gagner n’a qu’à baiser ses chaînes.
Souple à la cour des grands, humble aux pieds des prélats,
Il règle au gré du temps ses discours et ses pas.
Il encense, on l’écoute ; il se cache, on l’honore.
Duprat, Guise, Tournon que la pourpre décore,
Surpris par les dehors d’un maintien imposteur,
Des Princes à Lainès ménagent la faveur.
La vertu dans les cours plairait peu sous un casque ;
Mais on veut qu’un prêtre en ait au moins le masque ;
L’air décent dans un moine y trouve des appuis.
L’écorce des vertus y sert mieux que leurs fruits,
Dans l’art d’édifier, les disciples d’Ignace
Excellent : qu’on les sonde, on n’y voit que grimace.
Médicis les connaît, s’en sert et les soutient ;
Lainès se prête à tout, brigue tout et l’obtient.
Voici l’instant, dit-il, de jeter dans la France
Les fondements heureux d’une haute puissance.
Je vois qu’en ma faveur le vent souffle à la Cour ;
Par un nouveau succès je marche chaque jour.
Dans les miens Médicis a mis sa confiance ;
Nous tenons par ses mains le sceptre de la France.
Espérons ; c’est beaucoup que d’être à ses genoux ;
Le premier pas est fait ; ce royaume est à nous.
Deux objets pour conduire au but qui m’intéresse,
Doivent seuls m’occuper ; la Cour et la jeunesse.
Il faut ramper dans l’une et sur l’autre régner.
Avec ces deux ressorts nous pouvons tout gagner :
Par l’un, du magistrat bravant la résistance,
A son gré, de Thémis on force la balance ;
Par l’autre, du Public on est maître, et l’on peut
Semer habilement tels principes qu’on veut.
Un système si beau n’est point un vain fantôme ;
Par ce double lien on tient tout un Royaume.
C’est ainsi que Lainès me prépare des fers,
Habile à combiner mille moyens divers.
D’un adroit courtisan prenant le caractère,
Ce pieux imposteur surprend le ministère.
De Rome il fait valoir, prudemment effronté,
L’authentique décret que Farnèse a dicté.
Avec la Cour voyant que le Sénat s’accorde,
Par ses clients, entr’eux il sème la discorde.
Sa cabale intrigante, aveuglant les esprits,
Du Trône au Parlement fait passer mille édits.
Armés du sceau royal, dans un coin de la Ville,
De pauvres mendiants demandent un asile.
Les ministres des lois s’opposent à leurs vœux :
Du Bellay les proscrit ; les arts tonnent contr’eux ;
Mais au mépris de tout, le Sceptre les protège ;
Et, fier de son crédit, Lainès ouvre un collège.
jour, qu’en traits de sang mes fastes ont tracé,
Puisses-tu par mes pleurs être enfin effacé !
De ce germe fatal, qu’en dépit de ma plainte,
Paris, en murmurant reçoit dans son enceinte ;
En vain les Marion, les Pasquier, les Arnauld,
Cassandres de leur temps, annoncent mille maux.
Que vois-je ! en moins d’un siècle, une secte perfide
Trompe tous mes efforts, comme un torrent rapide,
Brise tout, se répand, inonde mes Cités,
Et n’enfante en mon sein que des calamités.
Par quel ressort secret, d’une force infernale
Vit-on si promptement une faible cabale
Du sein de la poussière affrontant jusqu’aux Rois,
D’un vol victorieux monter où je la vois ?
Est-ce un magique effort ? un hasard ? un prodige ?
Déchirons le tissu qui couvre ce prodige ;
Entrons dans les détours d’un labyrinthe affreux ;
Exposons, en sondant l’abîme ténébreux,
Comment un monstre horrible est né d’un vil insecte.
Régner, et régner seule, est l’objet de la secte.
Mais comment subjuguer tant de peuples divers ?
D’un diadème unique ombrager l’univers ?
Mettre à ses pieds les Rois ? ne former qu’un royaume ?
Comment réaliser cet étranger fantôme ?
A l’école d’Ignace, aidé par son esprit,
Lainès conçoit un plan digne de l’Antéchrist.
Il faut former, dit-il, un corps, le corps des Nôtres,
Qui, se renouvelant, survive à tous les autres.
Ses membres quoiqu’unis, épars dans l’Univers,
Pourront avec le temps se plier sous nos fers ;
Que son Chef, seul moteur des puissances secondes,
Du fond d’un cabinet, gouverne les deux Mondes ;
Qu’un seul esprit agisse, âme de ce grand corps,
Et vers un même but dirige ses ressorts ;
Image du Très-Haut, que ce Chef redoutable,
Mobile, actif partout et toujours immuable,
Fixe et concentre en lui le pouvoir souverain ;
Que tout marche à son gré sous le poids de sa main,
Propriété des biens, secrets des consciences,
Usage des talents, vœux, craintes, espérances,
Tout doit aller au Chef ; au plus vaste pouvoir
Doit se joindre dans lui le droit de tout savoir.
Source et centre de tout, dans sa main souveraine
Des corps et des esprits tenant l’immense chaîne,
Ce Chef, selon les temps, variant ses efforts,
Au faîte des grandeurs pourra porter son corps.
Pour mieux fortifier ce Despotisme utile,
Il faut que tout sujet sache, instrument docile,
Au signal qu’il reçoit (ce point est important)
Sans chagrin, sans murmure, obéir à l’instant :
Que le pénible joug d’un dur apprentissage
Plie un novice altier sous l’esprit d’esclavage ;
Mais fier de son état, qu’il en aime les lois,
Et préfère son sort au sort des plus grands Rois.
Protée universel, oiseau, poisson, reptile,
Que ce corps soit sans nom, et puisse en prendre mille.
Isolé sur la terre et partout répandu ;
Mêlé de tous les corps et jamais confondu ;
Etrange hermaphrodite, admirable amphibie,
Qu’il change de figure, et d’habit et de vie :
Religieux sans chœur, sans règle régulier,
Qu’il soit sacré, profane, et moine et séculier ;
Sans bien, négociant, comédien, empirique,
Mendiant, potentat, luthérien, catholique ;
Une troupe de serfs, un peuple de héros ;
Et rien de tout cela pour tout être à propos.
Mais comment composer cette énorme machine,
Lui fournir des ressorts, empêcher sa ruine ?
Le voici : dans nos mains, sous l’œil du Général,
De nos soins la jeunesse est l’objet principal.
Des enfants qu’on instruit, le cœur tendre et sensible
De toute impression sans doute est susceptible.
Quand de nos sectateurs le zèle ingénieux
Nous aura par surprise ouvert différents lieux,
Quelle ressource immense en de nombreux collèges,
Où l’adresse aux enfants peut tendre mille pièges,
Offrir de notre corps un tableau séduisant,
Vanter de nos travaux le détail amusant ;
Flatter l’un par l’espoir d’être un grand personnage ;
A à l’autre en traits brillants étaler l’avantage
De voir prôner par tous ses talents, ses vertus,
Ouvrir le Ciel à tous, et leur montrer Jésus
Qui se hâte, à la mort, d’y donner une place
A qui s’offre couvert de la robe d’Ignace !
D’illustres nourrissons séduits par tant d’appas,
Quel essaim tous les ans va voler dans nos bras !
Alors, dans des liens consacrés par nos fêtes,
Aux pieds des saints Autels enchaînant nos conquêtes ;
Sans nous lier nous-mêmes à ces nouveaux clients,
On peut former dans eux de nouveaux conquérants.
De notre auguste corps, à l’humble prosélyte
On ne peut trop vanter l’éclat et le mérite.
Cette sublime idée en enflammant son cœur,
D’un faible athlète en fait un ardent défenseur.
Par un heureux progrès, et malgré mille épines,
L’arbre insensiblement étendant ses racines,
Il faudra l’arroser, étendre ses rameaux.
Plutus seul le rendra fécond en fruits nouveaux.
Du genre humain toujours l’or fut le grand mobile,
C’est l’idole du temps : sans or tout est stérile.
Soyons pauvres par vœu, mais sans l’être autrement.
Notre grandeur l’exige, amassons de l’argent.
S’agit-il de trésors ? Toute voie est licite.
Un riche meurt, il faut que notre corps hérite.
Le commerce au travail ouvre une mine d’or :
Franchissons les deux mers, prenons un libre essor.
De l’Apôtre zélé le manteau qu’on respecte
Couvrira du marchand la manœuvre suspecte.
On ne redoute pas de pauvres mendiants.
Le vœu de pauvreté peut nous rendre opulents.
Surtout dans ces cités où le talent s’exerce,
Où la faveur d’un port ouvre un riche commerce,
C’est là, sans dévoiler le but où nous tendons,
Qu’il faut avec adresse établir nos maisons.
Banques, bureaux, comptoirs, vaisseaux, manufactures
Tout vient avec le temps, l’art et mille impostures.
Que ce mot, entre nous échappé sans regret,
Y reste enseveli sous un profond secret.
Mais des plus grands trésors c’est la clef la plus sûre.
Banqueroutes, larcins, vols, artifice, usure,
Echange frauduleux, mensonge en achetant,
Faux actes, faux billets, parjure en promettant,
Tout crime, si le corps y gagne, n’est plus crime ;
Tout profit, s’il est grand, dès lors est légitime.
La Mission surtout est pour nous un trésor.
Elle conduit nos pas dans ces climats, où l’or
Par de serviles mains répandu dans les nôtres,
Peut sans peine en Crésus transformer nos Apôtres.
Mais comment du midi s’étendre jusqu’au nord,
Et sans être partout, régler tout sans effort ?
Il faut associer une force étrangère,
De clients déguisés briguer le ministère,
Par l’appât d’un vil gain, duper un corps vénal,
Un dévot par la croix, un prince au tribunal.
De notre habit sacré vanter les influences ;
Au soin de nous servir lier les indulgences ;
Payer des partisans, les semer en tous lieux,
Pour agir par leurs mains et tout voir par leurs yeux,
Enfin l’art d’enjôler, si fécond en amorces,
Peut dans tous les climats multiplier nos forces.
Ces nouveaux agrégés pour nous saurons agir :
Sans paraître, par eux nous pourrons tout régir.
Mais ceux qui sont à nous, et sans être des nôtres,
Comment sous nos drapeaux les joindre avec les autres ?
Que sous l’humble manteau de la religion,
La croix soit l’instrument de notre ambition.
Assemblons en secret, par un concours utile,
Ces étrangers jaloux d’entendre l’Evangile :
Que tout sexe et tout âge, hommes, femmes, enfants,
Financiers, soldats, magistrats, artisans,
Tous voyant dans nos mains la clef de la doctrine,
Qu’ils viennent se nourrir des fruits qu’on leur destine.
C’est d’abord en ouvrant les cieux et les enfers
Qu’on étonne, qu’on frappe et qu’on forge des fers.
Un zèle vif séduit, enlève mille obstacles.
L’éloquence toujours fut féconde en miracles.
Dans ces réduits sacrés où, maître des esprits,
Aux semons qu’on débite on donne un si grand prix ;
C’est alors qu’avec art colorant ces maximes
Qui de leurs traits affreux dépouillent tous les crimes,
On engage au besoin de pieux scélérats
A voler par devoir aux plus noirs attentats.
Là, du ciel, par prudence, élargissant la voie,
On conduit par des fleurs à l’éternelle joie ;
On se fait des amis en les justifiant :
Un vœu sous nos drapeaux les fixe en les liant.
Sous un masque emprunté, par un tel artifice,
Dans les divers états on pénètre, on se glisse.
Par là, que de poissons viendront dans nos filets !
Et que d’Ignaciens en rabats, en plumets !
A mes vœux, il est vrai, j’entrevois mille obstacles.
Du temple de Thémis, du pied des tabernacles,
Du sein des arts, partout des ennemis nombreux
Naissent et vont tramer des complots dangereux.
Ecoutez, mes enfants, et reprenez courage :
Il est plus d’un moyen de conjurer l’orage.
Sous le sceau du secret je vais développer,
Entourés d’ennemis, l’art de les dissiper.
D’abord, gardez-vous bien d’affronter la tempête :
Le sage en se cachant sait dérober sa tête ;
La foudre en vains éclats souvent s’évanouit :
Le vent change ; un beau jour suit une affreuse nuit.
Le calme revient-il ? alors il fut combattre.
Attaquez en détail, vous pouvez tout abattre.
Les coups qui sont cachés sont toujours les plus sûrs.
Par la sape et la mine on renverse les murs.
Les savants sont d’abord pour vous les plus à craindre :
Sous des traits odieux apprenez  à les  peindre :
Sur leurs meilleurs écrits jetez de noirs soupçons ;
Dans leur texte altéré, montrez de vrais poisons ;
Armez Rome contre eux. Du manteau d’hérétique
Couvrez, pour mieux frapper, leur Secte fanatique,
Et si, même à vos yeux, leurs principes sont clairs,
N’importe ; donnez-leur un sens louche et pervers ;
Mille plumes en vain font leur apologie ;
Pour les perdre à coup sûr taxez-les d’hérésie ;
Forgez-en ; et formant des fantômes nouveaux,
De les réaliser accusez vos rivaux.
Qui sait bien manier l’art de la calomnie
Triomphe tôt ou tard d’une secte ennemie.
Qu’on crie au novateur, on s’échauffe soudain ;
Rome à vos cris s’alarme et sonne le tocsin.
Joignez au Vatican l’autorité royale ;
On ne verra partout qu’une secte fatale,
A qui, sans examen, on fera le procès.
L’intrigue fut toujours la mère des succès ;
Peut-elle avec l’empire armer le sacerdoce ?
Tout tombe sous le sceptre, ou tremble sous la crosse.
Mais il est un moyen qui pourrait, mes enfants,
Des savants sans éclat vous rendre triomphants
(Lente je l’avouerai, mais heureuse ressource) :
De la religion, c’est de fermer la source.
Otez les livres saints, dans de pieux romans
Offrez aux curieux de vains amusements
Les bons écrits, qu’ils soient remplacés par les nôtres.
Aux sermons instructifs, substituez-en d’autres
Qui, montrant l’inutile et cachant le devoir,
Brillent sans éclairer, piquent sans émouvoir ;
Le pompeux appareil d’une éloquence humaine
Peut plaire, et le pêcheur restera dans sa chaîne.
Amusez par des vers, des fables, des écrits,
Stériles mais légers, frivoles mais fleuris ;
Prompts à tout obscurcir par d’épaisses ténèbres
Vous n’assurez qu’à vous le droit d’être célèbres ;
Préférez l’amusant aux travaux assidus,
Les danses aux beaux arts, les grâces aux vertus ;
Vainqueurs par le progrès d’une ignorance crasse,
Vous verrez la Sorbonne, impuissante carcasse,
Sous un tas de mourants ne traînant que des morts,
Loin de vous attaquer, seconder vos efforts.
Peut-être que jaloux de droits imaginaires,
Les pasteurs (importuns, mais faibles adversaires)
Tâcheront par leurs cris de traverser nos vœux.
Mais Rome étant pour nous, que peut-on craindre d’eux ?
Opposons aux prélats ces nombreux privilèges
Dont Farnèse a déjà décoré nos collèges.
Du joug hiérarchique affranchis de tout temps,
Rampant sans obéir, vivons indépendants.
Des mitres, en effet, irons-nous, vils esclaves,
Maîtres de les donner, recevoir des entraves ?
Sur le pouvoir des clefs, dédaignons des pasteurs
Les foudres impuissants, les stériles clameurs ;
Faisons plus : de festons ornons nos tabernacles ;
Amorçons par l’éclat de nos pompeux spectacles ;
Un peuple qu’aisément la douceur de nos voix
Peut, du joug pastoral, attirer sous nos lois.
Souverains du clergé, maîtres du sanctuaire,
C’est à nous d’exercer un pouvoir arbitraire.
Prélats, pasteurs, brebis, jusques aux sacrements,
Tout à notre grandeur doit servir d’instruments.
Mais, enfants, prenons garde ; oui, notre grandeur même
Peut nous fermer la route à la grandeur suprême.
La gloire a ses dangers, l’éclat fait des jaloux ;
De la foudre, en montant, on doit craindre les coups.
Les magistrats, les rois, inquiets sur nos ligues,
Pourraient à nos progrès opposer quelques digues ;
Le soupçon seul alarme, et peut-être bientôt
Verrez-vous contre nous tramer plus d’un complot.
Sans doute, attendons-nous à plus d’une traverse ;
Mais qui veille sait tout et rien ne le renverse.
Veillons pour pénétrer l’esprit des factions.
Il faut dans chaque cour payer des espions.
Intrigant par devoir, par intérêt prodigue,
On démêle bientôt les plus sourdes intrigues.
De faibles ennemis trament-ils contre nous ?
Perdons-les sagement ; il faut de faibles coups.
Mais en vain d’un monarque encensant tous les vices,
Briguons-nous la faveur de ses regards propices,
Il nous opprime. Alors si le mal est pressant,
Employons sans scrupule un remède puissant :
Un Roi, qu’est-il au prix d’un corps tel que le nôtre ?
Et si pour sauver l’un, il faut immoler l’autre,
Le devoir n’est-il pas écrit dans notre loi ?
Un Roi qui veut nous perdre, à nos yeux n’est plus Roi.
Sans être ses sujets, nous vivons sous son règne ;
Heureux de nous avoir, qu’il nous aime et qu’il craigne.
C’est au Ciel qu’on s’oppose en s’opposant à nous ;
On croit servir le Ciel, on sert notre courroux.
Contre les criminels les poisons sont sur terre :
Et quel crime d’oser nous déclarer la guerre.
Le meurtre d’un tyran n’est point un attentat :
Qui peut blâmer Judith d’avoir sauvé l’Etat ?
De principes si sûrs semés avec adresse,
Que de fruits peut cueillir notre active sagesse !
Mais à ces grands secrets que, par serments liés,
Quarante d’entre nous soient seuls initiés.
Les autres sous nos mains, ministres pleins de zèle,
Prompts à voler au terme où le chef les appelle,
Par leurs talents divers placés utilement,
Mettront tout leur mérite à suivre aveuglément.
Telles sont donc les lois que doit mettre en pratique
De nos quarante élus la sage politique.
Au grand art d’imposer par des dehors trompeurs.
Former sans se trahir ses discours et ses mœurs ;
Se glisser sourdement dans de puissantes villes ?
Par adresse envahir de riches domiciles ;
En feignant au public de se sacrifier,
S’emparer des enfants, germe d’un peuple entier,
Plier sur ses projets leurs goûts, leurs caractères ;
S’assurer prudemment, par les enfants, des pères ;
Par eux renouveler un Royaume à son gré ;
S’en faire pour soi-même un soutien assuré ;
De la religion connaissant bien la force,
Employer à propos ou le fond ou l’écorce ;
S’en jouer sans scrupule, en ajoutant ses lois
Sur l’intérêt d’un corps qui fait tout pour ses droits ;
Asservir à son gain et la terre et les ondes ;
Dans un commerce immense embrasser les deux mondes ;
Pour enlever des biens, épier les moments ;
Dépouiller l’orphelin, dicter des testaments,
Suborner des témoins, ravir des héritages ;
Pour noircir ses rivaux fabriquer mille ouvrages ;
Par de hardis larcins piller des commerçants ;
Pour s’arroger des droits, perdre des innocents ;
En prêtant, opprimer par des grosses usures ;
Frustrer ses créanciers , se jouer des parjures ;
Ramper au pieds des Grands pour les fouler aux siens ;
Pyrrhoniens, Dévots, idolâtres, Chrétiens,
Faire, pour s’agrandir, les plus vils personnages ;
Par le fer, par le feu, par de puissants breuvages,
Dévouer à la mort ses ennemis divers ;
Se permettre enfin tout, pour tout mettre en ses fers.
Remplissons un tel plan, le ciel nous autorise,
De nos progrès la terre un jour sera surprise ;
Régner est notre objet ; ramper est le début ;
Oser tout, le moyen : voilà notre institut.
Que d’horreurs vous présente, ô Sénat respectable,
De ce Corps monstrueux le Code épouvantable !
Et que voit-on partout, que ses funestes fruits,
Quelquefois étouffés, et toujours reproduits ?
Expliquez-moi, comment cette immense machine,
Du Nord jusqu’au Midi, du Pérou jusqu’en Chine,
Roulant sur un pivot que Rome a dans ses murs,
Ne vomit qu’attentats et que dogmes impurs ?
Est-il rien en effet que cette indigne race
N’ait souillé par les traits de sa coupable audace ?
Dans la religion profanes novateurs,
Ils ont tout infecté par un torrent d’erreurs.
Dans le monde, voyez, cet hydre insatiable
Dévore ou frappe tout de sa dent redoutable.
Les uns, du noir poison de leurs dogmes pervers,
Apôtres de Satan, ont sali l’univers ;
Les autres, je les vois, dans leurs courses rapides,
Sur tout, sans aucun frein, porter leurs mains avides ;
Ici, fiers de leur pompe, aux autels d’un Chinois,
Ces Moines Mandarins foulent aux pieds la Croix ;
Et là, du nouveau monde usurpateurs avares,
Jaloux d’engloutir seuls les trésors les plus rares,
Ils vont le sabre en main, rivaux des Potentats,
Pleins d’ardeur, au carnage animer des soldats ;
Tantôt, d’un saint pontife affrontant les menaces,
De Rome avec hauteur dédaignant les disgrâces,
Devant Confucius fléchissant les genoux,
Du faible Vatican ils bravent le courroux ;
Et tantôt partisans d’un dogme ridicule,
Adorateurs zélés d’une insolente Bulle,
Ils osent pour la faire adorer en tout lieu,
Prêter au Pape un droit de s’ériger en Dieu.
Quel monstrueux amas d’effroyables maximes !
Des vertus, à leur gré, souvent ils font des crimes.
Et leurs vices, sont-ils vivement combattus ?
Ils osent transformer les vices en vertus.
Aux bords du Maraignan, apôtres sanguinaires,
On les voit, conducteurs d’aveugles tributaires,
Sous le prétexte faux de leur prêcher la foi,
Leur peindre en vrai tyran leur légitime roi.
Sur les rives de Seine, adroitement  perfides,
Ames de noirs complots, féconds en homicides,
Trompant le Souverain selon leurs intérêts,
Ils osent sous son nom écraser ses sujets.
Les croirait-on réels, ces étonnants contrastes,
Si les faits n’étaient pas consignés dans mes fastes,
Quel étrange génie agite ce grand Corps !
Nul calme en son repos, nul frein dans ses transports.
Quand on le croit en paix, sa marche souterraine
Prépare à ses rivaux une perte soudaine.
Un air humble enveloppe un orgueil excessif ;
Plus il paraît tranquille, et plus il est actif ;
Par la main d’un Ministre il lance au loin la foudre ;
Il lève au Ciel les yeux, Port-Royal tombe en poudre.
Il prêche, et la vertu reste dans le mépris ;
Il rampe et sur ses pas je ne vois que débris ;
Il travaille à la vigne, et partout la désole ;
En baisant une croix, il encense une idole ;
L’Evangile à la main, il foule aux pieds la loi ;
Il embrasse un Autel, et poignarde son Roi.
Le front dans la poussière, il sème l’épouvante ;
Devant lui l’amour marche, et sa trace est sanglante,
Sincère dans son air, dans le fond imposteur,
Sans jamais la quitter, il rétracte une erreur.
Il pardonne tout haut, et partout dans la France
Le fer et le poison signalent sa vengeance.
Quel monstre, qui, toujours fidèle au même plan,
Joint au nom de Jésus les fureurs de Satan !
Pensez-vous, Sénateurs, qu’une injuste colère
Guide ici mon pinceau pour peindre une chimère ?
Je n’ai fait qu’ébaucher ; sûre de votre aveu,
Je ne me trompe ici qu’en en disant trop peu.
Ai-je porté la main dans ces sources impures
D’où Montalte, avec art, a tiré tant d’ordures ?
Ai-je peint à vos yeux de tas de Directeurs
De nos Mystères saints lâches profanateurs,
Qui jettent un vernis sur des forfaits étranges,
Et prodiguent aux chiens le Saint, le pain des Anges ?
Ai-je peint ces Docteurs qui, nouveaux Ariens,
Sociniens masqués, hardis Pélagiens,
Jusqu’au sein du Très-Haut portant leur front superbe,
Par mille affreux excès ont blasphémé son Verbe,
Ont osé de sa Grâce anéantir l’effet,
Et de leur volonté la rendre le jouet ?
A ces traits, que d’horreur je pourrais joindre encore,
En peignant ces forfaits que la nature abhorre ;
Forfaits en vain punis dans ces climats déserts
Que d’un soufre enflammé des torrents ont couvert ;
Je pourrais vous montrer le monstre de la Ligue
Enfanté par l’effort d’une fatale intrigue,
Sous la robe d’Ignace éclos pour mon malheur,
Et traînant à sa voix la Discorde et l’Horreur :
Mais cachons des tableaux, sources de tant d’alarmes.
Que ces Ignaciens m’ont arraché de larmes !
Je pleure plus d’un Roi que leurs traits ont percé.
Mon Trône fume encore du sang qu’ils nt versé…
Je tressaille d’horreur ; c’est le sang de mon Père.
Anges saints, défendez une tête aussi chère !
Dois-je seule trembler ? et n’est-ce que chez moi
Que le serpent se cache et jette ainsi l’effroi ?
Vienne, Gênes, Madrid, et Naples, et Venise,
La Vistule, le Rhin, l’Escaut et la Tamise,
Que de témoins divers, sous les mêmes liens
Gémissent, et contr’eux joignent leurs cris aux miens !
Albion tremble encore en lisant ses annales.
Que de projets affreux, que de noires cabales
Cette engeance maudite a formé dans son sein !
Dieu ! quel jour, où frappé d’un foudre souterrain,
On eût vu son Sénat, éclatante victime,
Enlevé dans les airs, englouti dans l’abîme !
De l’Aurore au Couchant, suivez d’un œil fidèle
Sous la main de son chef cette race cruelle ;
Est-il un seul complot par l’Enfer enfanté,
Qui ne porte le sceau de sa Société ?
La douceur la précède, et la mort l’accompagne :
Ce Chef, vraiment rival du vieux de la Montagne,
Sous un masque imposant, pour ses affreux desseins
Fait marcher d’un coup d’œil trente mille Assassins.
Serons-nous donc toujours le jouet de leur rage ?
Ouvrez les yeux, voyez sur les rives du Tage ;
Victimes trop longtemps de préjugés divers,
Lisbonne sent son joug, et brise enfin ses fers :
Les échafauds sont prêts, une sentence prompte
Va de ces scélérats éterniser la honte.
Ecrite en traits de sang et du sang de leur roi,
Elle apprendra bientôt qu’hypocrites, sans foi,
Ces pieux séducteurs, du sceau de l’Evangile
Consacrant sans remords tout parricide utile ;
Des faveurs de leur Roi comblés de toutes parts,
Ces ingrats, dans son cœur, ont conduit cent poignards ;
Que, chassés du berceau de l’impur Molinisme
Pour des faits abhorrés au sein du paganisme,
Ils doivent, sous le poids du bras d’un Dieu vengeur,
Etre à jamais du monde et l’opprobre et l’horreur.
Et moi, qui les devrais fouler dans la poussière,
Je les vois en tout lieu porter leur tête altière.
Ministres de Thémis, son glaive est dans vos mains,
Et vous jetez sur eux des regards incertains !
Apprenez que partout ils sont voués au crime ;
Que l’esprit de Lisbonne à Paris les anime ;
Que tous au même char enchaînés par Satan,
Mus par un même Chef, suivent un même plan.
L’évidence des faits saisit les moins crédules.
Hé quoi ! vous balancez… quels injustes scrupules
Ménagent sans raison vos tyrans et les miens !
Auraient-ils à vos yeux le rang de citoyens ?
Ils ne sont point à moi ; je ne suis pas leur mère :
Etrangers dans mon sein, je leur suis étrangère.
Leur état chancelant, ébranlé mille fois,
Ne fut jamais fixé par le lien des lois.
Ardents pour ma dépouille, ils veulent ma ruine.
Otez, en les chassant, un poison qui me mine.
Par quel fatal bandeau vos yeux sont-ils couverts ?
Tant de délais, pour vous, me font craindre leurs fers.
Attendez-vous qu’enfin ils s’arment et vous frappent ?
Ils ne craignent que vous. Tremblez, s’ils vous échappent.
A leurs corps, de tout temps, le vôtre est en horreur ;
Leurs regards sont sur vous des regards de fureur.
Vous les avez flétris ; ils vous doivent leur haine.
Prononcez leur ruine, ou la vôtre est certaine.
Ces Sylla, qui jamais n’ont pardonné d’affronts,
Sur leur liste fatale ont inscrit tous vos noms.
Déjà cent fois, jaloux de vous réduire en poudre,
Sur vos têtes leurs bras ont fait gronder la foudre.
Exils, enlèvement, ordres trop rigoureux ;
Que de coups imprévus vous avez reçus d’eux !
Pourquoi, de vos malheurs spectateurs insensibles,
Confiez-vous encore à des mains si nuisibles
Mes enfants, votre appui, mon espoir le plus doux,
Et laisser mes agneaux sous la griffe des loups ?
Pourquoi ? … Mais je finis, auguste Aréopage ;
L’espoir de mon salut est dans votre courage.
En frappant mes tyrans, signalez votre amour :
La chute du colosse est l’ouvrage d’un jour ;
Le succès est certain, et la gloire immortelle :
Lisbonne à l’Univers doit servir de modèle.
FIN

 

Numéro
$3948


Année
1760

Auteur
Guidi (Louis)



Références

BM Lyon, 809742