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La naïade des Tuileries

La naïade des Tuileries1
Le fleuve dont les eaux tranquilles
Embellissent le sein de la reine des villes,
Avait quitté sa source et visitait ses bords :
Il arrive, il entend mille cris d’allégresse,
Et voit tout Paris qui s’empresse
A faire de sa joie éclater les transports.
Surpris, il s’arrête, il appelle
Au palais de nos rois la naïade fidèle :
Nymphe, qui, par le choix des dieux,
Partageant les honneurs de Zéphire et de Flore,
Dans ces jardins délicieux
Baignez les jeunes fleurs et les pressez d’éclore,
Parlez, de quels concerts retentit ce séjour ?
Quels feux, transformés en étoiles,
Dans l’absence du dieu du jour,
Ont de la nuit obscure écarté tous les voiles ?
D’où naissent ces plaisirs, ces danses, ces festins ?
De quels nouveaux bienfaits nous comblent les destins ? —
Dieu de ces bords, dit-elle, à quels torrents de larmes
Succèdent ces ris et ces jeux !
Hélas ! vous êtes trop heureux
D’avoir ignoré nos alarmes !
Notre roi, notre espoir, nos plus chères amours,
Ce reste précieux du plus grand des monarques
Ce prince… j’en frémis, nous avons vu ses jours
Menacés du ciseau des Parques !
Vous frémissez vous-même. Ah ! quels troubles affreux
Agitaient son peuple fidèle,
Aux moments qu’une ardeur cruelle
Pour cette tendre fleur faisait craindre ses feux !
Tel qu’un lis, la gloire de Flore,
Qu’en naissant l’Aurore embellit
Sitôt que du midi la chaleur le dévore
Perd son éclat et s’affaiblit,
Déjà sa tige languissante
Succombe sous le poids de sa tête mourante ;
Tel, ce prince charmant, digne présent des dieux,
Perdait tous les attraits dont il brille à nos yeux.
Je ne vous dirai point la douleur répandue,
La terreur portée en tous lieux,
Les pleurs d’une cour éperdue.
Et de quelles couleurs peindrais-je Villeroy,
Plus languissant encor, plus mourant que son roi ?
La valeur du guerrier ni la raison du sage
Ne parent point de si grands coups ;
Il croit voir les destins jaloux,
Prêts à lui ravir son ouvrage.
Un regard, un soupir de son prince accablé
Pénètre son âme sensible !
Il se trouble, il pâlit à ce péril terrible,
Le seul où son coeur ait tremblé.
Et toi, qui nous as fait admirer ta prudence2 ,
Lorsque de notre roi tu cultivais l’enfance,
Et préparais son jeune coeur
A ce qui doit un jour fonder notre bonheur,
Quelle mère jamais, livrée à la tristesse,
Voyant, dans son effroi, le bûcher préparé
Pour un fils expirant, seul fruit de sa tendresse,
Sentit de plus de traits tout son sein déchiré ?
Mais pourquoi rappeler ces images cruelles ?
Des horreurs du trépas notre roi sort vainqueur,
Il a déjà repris ces grâces naturelles
Qui lui savent ouvrir tous les chemins du coeur.
Chantez, Muses, chantez : il aime à vous entendre.
Le plus cher de vos favoris3 ,
Soigneux de le former dès l’âge le plus tendre,
Lui fait de vos talents connaître tout le prix.
Vous le verrez bientôt, sur cette heureuse rive,
A la douceur de vos chansons
Prêter une oreille attentive,
Exciter tous vos nourrissons.
Qu’à lui plaire chacun s’empresse,
Mais ne l’occupez point par de frivoles sons ;
Sous l’attrait du plaisir montrez-lui la sagesse,
Et jusque dans ses jeux tracez-lui des leçons.
Peignez les vifs transports que la France déploie ;
Et lui faisant voir notre amour ;
Source unique de notre joie,
Dites-lui qu’il nous doit le plus tendre retour.
Ce n’est point la magnificence,
Ni la gloire des grands exploits,
C’est l’amour mutuel des peuples et des rois
Qui d’un trône éclatant affermit la puissance.
Qu’à régner dans les cœurs il borne ses projets,
Nous l’aimons, notre amour espère
Qu’il gouvernera ses sujets
Moins comme roi que comme père. —
Nymphe, n’en doutez point : il comblera nos voeux,
S’écrie, à ce récit, le fleuve de la Seine ;
Favorables destins, puissance souveraine,
Qu’il vive seulement, et nous sommes heureux.
Vous, nymphe, marquez votre zèle,
Rassemblez à ses jeux les innocents plaisirs ;
Le ciel le rend à nos désirs,
Je cours au dieu des mers en porter la nouvelle4 .

  • 1La Naïade des Tuileries, sur l’heureux rétablissement de la santé du roi. — Par Danchet, de l’Académie royale des inscriptions et belles‑lettres, et l’un des Quarante de l’Académie française. (M.) (R)
  • 2 Mme la duchesse de Ventadour. (M.) (R)
  • 3Mgr l’évêque de Fréjus. (R)
  • 4 Il y a dans les recueils manuscrits beaucoup d’autres pièces sur le rétablissement de Louis XV. On comprendra sans peine qu’il nous était impossible de les reproduire toutes. Nous devons signaler, à titre de curiosité, une poésie latine de J.‑B. Louis Crévier, alors professeur au collège de Dormans‑Beauvais. (R)

Numéro
$0466


Année
1721

Auteur
Danchet



Références

Raunié, IV,77-81 - Clairambault, F.Fr.12698, p.161-65 - Maurepas, F.Fr.12630, p.448-71


Notes

Il y aurait eu une édition en 4 p. in-4°, selon Clairambault