Brevet adressé aux jansénistes au sujet du livre de Marie Alacoque, de M. Languet, évêque de Soissons
Brevet adressé aux jansénistes au sujet du livre de Marie Alacoque,
de M. Languet, évêque de Soissons
De par le dieu porte-marotte,
Nous, général de la Calotte,
Ayant pleins pouvoirs d’iceluy
Sur le ridicule d’autrui,
Attendu que dans notre empire
Le grand système est la satire,
Avons donné ce mandement
À tous appelants, jansénistes,
Luthériens et Calvinistes,
Unis ensemble étroitement
De langage et de sentiment
Sous le titre d’antipapistes.
Et comme il est fort à propos,
Utile et de la bienséance,
De ne pas souffrir que les sots
Poussent trop loin leur impudence,
Vu le gros livre de Languet,
Surnommé Marie Alacoque,
Dont presque tout Paris se moque,
Surtout gens de votre collet
Qui sur le camail violet
Tiennent toujours malin colloque,
Nous permettons que désormais
Du prélat vous puissiez médire.
Par quoi vous aurez soin d’écrire
Rondeaux, épigrammes, couplets.
Car votre secte n’eut jamais
Plus belle occasion d’écrire.
Toutefois silence imposons
Au prélat qui gouverne Auxerre
Car il a reçu trop d’affront
Faisant guerre trop ouvertement
Au vicaire de Dieu sur terre.
Mais nous permettons à Colbert
De vomir toute sa colère
Contre Soissons, son adversaire,
Dans un style vif et disert.
Du grand Joachim le suffrage
Met la secte en autorité.
Il est vrai qu’en plus d’un ouvrage
Le bonhomme, enflammé de rage,
A blessé la sincérité
En tronquant maint et maint passage ;
Rare effet de l’amour divin
Qu’il prêche avec un zèle extrême
Tandis que son bénin système
Renverse l’amour du prochain.
Ordonnons qu’on fasse revivre
Le vieux Godescalq et Bayus
Et le très saint Jansénius,
Et les cinq erreurs de son livre.
De Quesnel les moelleux écrits
Seront prêchés dans le pays,
Et l’on dira que sa morale
Est si pure qu’elle ravale
Le grand chef-d’œuvre d’A Kempis.
De Dieu pour le salut des hommes
Vous proscrirez la volonté.
Vous suivrez du temps où nous sommes
Ce qui sur la réalité
Par Courayer fut adopté.
Vous traiterez comme manie
Les honneurs qu’on rend à Marie,
Au public il faudra donner
Votre maxime la plus belle :
La prière d’un infidèle
Ne peut servir qu’à le damner.
En même temps vous déchaîner
Contre l’Église ultramontaine.
Cette Église fière et hautaine
Ne tend qu’à vous exterminer.
Après cette sainte démarche,
Nous voulons que les appelants
Annoncent partout qu’il est temps
D’élire en France un patriarche
Ainsi qu’ils ont fait dans Utrecht,
Où Calvin voit leur nouvelle arche
Le reconnaître avec respect.
N’oubliez pas noire critique
Contre tout le corps jésuitique ;
Il mérite votre fureur,
Car nuit et jour il ne s’applique
Qu’à préserver de votre erreur
Le bon vieux peuple catholique.
Contre eux vous remettrez au jour
Pascal inspiré par le Diable,
L’enluminure détestable,
Et l’œuvre obscène de Grécourt,
Puis frapperez mainte médaille,
Ferez appliquer maints placards,
Soudoierez bien les Savoyards.
Pour vous débaucher la canaille,
Montrerez visages blafards
Au peuple qui toujours criaille.
Par là vous gagnez bien des gens,
Votre figure pâle et triste
En faisant rire un moliniste
Du moins trompe les ignorants.
Pour braver Marie Alacoque
Ferez imprimer au hasard
Les miracles qu’à Saint-Médard
A fait votre saint équivoque
Dont Languet sera bien camard.
Or pour confirmer la licence
Que nous vous donnons sans regret,
Savoir d’exercer médisance,
Satire, mirage et malin trait.
Item, de prêcher hérésie
Comme devant fut usité.
Si néanmoins qu’hypocrisie
Par vous soit dite charité
Et vu que votre gent dévote
Sous le beau nom de vérité,
De franchise et de liberté
Ne fut jamais qu’une marotte,
Touchés de sa fidélité
Nous vous donnons double calotte
Relevant oreilles en haut
Et feutre doublement clabaud,
Ornement qui toujours dénote
Un zélé partisan d’Arnauld.
Or jurerez de toujours mordre
Jésuite et pontife romain
Nous vous donnons à cette fin
L’habit et le collier de l’ordre,
La cape et le manteau tout neuf,
Semé de têtes de gorgone
Avec un coquillage d’œuf
Au bout d’un ruban vert et jaune.
Et sera le présent édit
Exécuté sans nulle clause
Signé Spada qui toujours rit
Et moi, Ronchard, qui toujours glose.
Grenoble BM, MS 587, 140v-143r
Le poème a été écrit fin 1729, début 1730, en réaction à la Vie de Marguerite Alacoque (1729) et avant que Languet de Gergy soit promu à l'évêque de Sens.