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A propos du Mariage de Figaro

A propos du Mariage de Figaro1
Jadis on a vu Thalie2 ,
Jeune et d’assez belle humeur,
Se permettre la saillie
Sans alarmer la pudeur ;
En mauvaise compagnie
On voit bien à ses discours
Qu’elle vit sur ses vieux jours.

Mesdames, plus de grimace,
Plus d’éventails, plus d’hélas !
On pourra vous dire en face
Ce qu’on vous contait tout bas ;
Ce n’est que changer de place,
L’amour y perd ; mais enfin
C’est abréger le chemin.

Près de cet amas grotesque
De fripons et de catins,
Parlant en style burlesque
De leurs projets libertins ;
Pourquoi d’un ton pédantesque
S’écrier : ah ! quelle horreur3  !
C’est l’histoire de l’auteur.

Oui, Messieurs, la comédie
Que tout Paris applaudit,
Des erreurs vous peint la vie
Du grand homme qui la fit ;
De l’impudence impunie
On admire le héros
Sous les traits de Figaro.

  • 1Louis XVI, après avoir lu en manuscrit le Mariage de Figaro, avait déclaré que la pièce était injouable ; Beaumarchais ne se laissa pas arrêter par l’appréciation du Roi. Soutenu par la coterie de la duchesse de Polignac, il fit répéter secrètement l’ouvrage à Paris sur le théâtre des Menus‑Plaisirs ; mais la première représentation, annoncée pour le 13 juin 1783, fut formellement interdite par le lieutenant de police. Beaumarchais, sans se déconcerter, poursuivit ses démarches et obtint que la pièce serait jouée chez le comte de Vaudreuil, sur le théâtre du château de Gennevilliers. Enhardi par ce premier succès, il redoubla d’intrigues, et, après avoir obtenu par de nombreuses corrections l’approbation de la censure, il réussit enfin à faire représenter son œuvre, le 27 avril 1784, et ce jour devint une date mémorable dans l’histoire du Théâtre‑Français. « Jamais pièce n’a attiré une affluence pareille ; tout Paris voulait voir ces fameuses noces, et la salle s’est trouvée remplie presque au moment où les portes ont été ouvertes au public, à peine la moitié de ceux qui les assiégeaient depuis huit heures du matin a‑t‑elle pu parvenir à se placer, la plupart entraient par force en jetant leur argent aux portiers. On n’est pas tour à tour plus humble, plus hardi, plus empressé pour obtenir une grâce de la cour que ne l’étaient tous nos jeunes seigneurs pour s’assurer d’une place à la première représentation de Figaro ; plus d’une duchesse s’est estimée, ce jour‑là, trop heureuse de trouver dans les balcons, où les femmes comme il faut ne se placent guère, un méchant petit tabouret à côté de Mlles Du Thé, Carline et compagnie. Le Mariage de Figaro a eu, dès la première représentation, un succès prodigieux. » (CLG)
  • 21er juin – La chanson dont on a parlé contre la pièce du Sieur de Beaumarchais est en quatre couplets, sur le même air que ceux chantés à la fin, par les divers personnages. (Mémoires secrets)
  • 3« En nous offrant le caractère intrigant et sans pudeur de son spirituel et adroit Figaro, un comte Almaviva dégoûté de sa femme, séduisant sa camériste, pourchassant encore la fille de son jardinier ; un page beau comme l’amour, jeune comme lui, amoureux de la comtesse et brûlant de désir pour toutes les femmes qu’il voit, une comtesse Almaviva, plus tendre, plus sensible que nos usages ne permettent aux femmes de le paraître au théâtre et surtout aux femmes mariées ; en rassemblant, dis-je tous ces personnages, ou corrompus, ou près de l’être, en les entourant d’une troupe d’imbéciles ou de fripons, M. de Beaumarchais n’a sûrement pas eu la prétention de faire une pièce essentiellement morale. » (Ibid.)

Numéro
$1539


Année
1784




Références

Raunié, X,133-35 - Mémoires secrets, XXVI, 21-22