Le jeu de la Constitution
Le jeu de la Constitution1
Voici le jeu qu’on appelle
De la Constitution.
Jeu fin, dont l’invention
N’est pas tout à fait nouvelle2
,
Et qui gagner y voudra
Au concile appelle, appelle,
Et qui gagner y voudra
Au concile appellera.
Pour appeler au concile
On suit la tradition,
Et par la succession
Des apôtres l’on défile,
Mais qui neuf d’abord fera
Aura le gain trop facile
Mais qui neuf d’abord fera
A l’un des appels ira.
Qui par six et trois commence
A vingt-six va se placer,
C’est là qu’on a fait tracer
L’appel où s’ouvrit la danse,
Et qui cinq et quatre fait
Au second appel s’avance,
Et qui cinq et quatre fait
A cinquante-trois se met.
A six un pont se présente,
Pont des explications,
Ou par des contorsions
Pour passer on se tourmente
Et pour ne se pas noyer
A douze on fait sa descente ;
Et pour ne se pas noyer
Certain prix il faut payer.
Quand on est au nombre douze
Là, c’est l’acceptation,
Dont nulle précaution
N’empêche qu’on s’y blouse.
Le grand nombre qui suivra
Quelque parti qu’on épouse,
Le grand nombre qui suivra
De mal en pis conduira.
D’un à deux le plus grand nombre
C’est le deux : on le jouera.
Et par là l’on tombera
Dans le labyrinthe sombre.
Puis on rétrogradera
Comme au cadran d’Achas, l’ombre,
Puis on rétrogradera
Vers l’un d’où l’on reviendra.
Lorsque par trois dans le schisme
On se voit précipité,
On retourne à l’unité,
C’est là notre catéchisme ;
Mais on paye en retournant
Le prix de ce catéchisme.
Mais on paye en retournant
Le même prix qu’en entrant.
Quand la règle générale
Vous conduit au cabaret,
De l’accommodement fait
Par la vertu cardinale,
Les joueurs vous régalez
Et deux fois ils ont la balle,
Les joueurs vous régalez
Et puis vous vous en allez.
Le six dans la tour vous jette ;
Tour de la confusion,
Où chacun parle un jargon
Que n’entend nul interprète :
Vous payez en attendant
Que quelque autre vous rachète,
Vous payez en attendant
Que quelque autre en fasse autant.
Quand vous ouvrez la barrière
Du triple avertissement,
Par un double mouvement
Vous faites votre carrière.
Va le dé moindre en avant,
Va le plus grand en arrière ;
Va le dé moindre en avant.
Ainsi Languet fait souvent.
Dans le puits de Démocrite
Si le sort vous a jeté,
Vous cherchez la vérité
Sans espoir et sans mérite.
Mais dès qu’un autre y viendra
Payez la somme prescrite
Mais dès qu’un autre y viendra
Il vous en délivrera.
Lorsque par un cas bizarre,
En allant ou revenant,
Votre dé va rencontrant
La Mort dessous la tiare,
Il faut, je n’y puis penser,
que la Mort est barbare !
Il faut, je n’y puis penser,
Payer et recommencer.
Qui point sur point accumule
Et croit faire son chemin,
En approchant de la fin
Doit craindre le ridicule ;
Au cardinal il viendra
Et recu recu… recule,
Au cardinal il viendra
Et recu reculera3
.
- 1La malignité des satiriques donnait naissance aux inventions les plus bizarres, comme le prouve cette pièce. « On a imaginé, remarque Marais, que le jeu de l’Oie avait des rapports avec l’affaire de la Constitution ; on a fait une carte où tout le jeu mène au concile qui est le n° 63. Le cardinal, qui est le cardinal de Noailles, y est gravé au n° 62, d’où on recule en arrière comme à l’Oie, parce que le cardinal recule toujours et a toujours reculé. Il tourne le dos au concile. La prison est la Bastille. La Mort est celle de Clément XI et ainsi de suite. L’imagination est plaisante. » L’estampe à laquelle se rapporte le jeu a été reproduite dans les Poésies sur la Constitution Unigenitus (Villefranche, 1724). (R)
- 2Voici un extrait de la notice sur le jeu, qui est placée au centre de l’estampe : « Ce jeu, comme on le voit par la forme, n’est qu’une imitation du jeu de l’Oye. Ceux qui en sont instruits en concevront aisément les rapports. Au lieu du jardin de l’Oye, c’est au concile qu’il faut arriver pour gagner. On y va par la tradition des apôtres, dont le nombre est égal à celui des oyes et dont ils tiennent la place. Le nom qu’on rencontre au nombre 6 marque les explications par le moyen desquelles on passe à l’acceptation ; elle se trouve à I2, parce que ce nombre est le plus grand qu’on puisse faire en deux dés et que le grand nombre est la règle des acceptants. Le labyrinthe, c’est l’erreur où tombent ceux qui souscrivent à la condamnation des cent-une propositions ; le cabaret est le lieu de l’accommodement. Le corps de doctrine, c’est le puits où l’on a caché la vérité. La prison c’est la Bastille. La Mort où le jeu recommence, c’est celle de Clément XI. Tous ces rapports semblent présager que l’histoire de la Constitution ne sera plus qu’un conte de ma mère l’Oye. » (R)
- 3En 1723, parut un poème du même genre qui avait pour titre : Essai du nouveau conte de ma mère l’Oye ou les Enluminures du jeu de la Constitution. Son étendue ne nous a pas permis de le reproduire ; on le trouvera dans les Poésies sur la Constitution. (R)
Raunié, IV,156-61 - Arsenal 2975/2, p.96-97 - Mazarine Castries 3985, p.445-49 - Marais, I, 530-31