Aller au contenu principal

Sur la bataille de Fontenoy par le vicaire du lieu

Vers sur la bataille de Fontenoy
Par le vicaire du lieu
A Fontenoy
Quoi ! je serai silencieux
Comme une huître dans son écaille,
Quand de Fontenoy la bataille
Met tout en train jusqu’aux vieilleux
Et que chacun rime ou rimaille !
Ai-je donc peur qu’on me raille
D’oser faire une strophe ou deux
Après ce chantre si fameux
Qui célèbre depuis Noailles
Jusqu’au moindre petit morveux
Portant talon rouge à Versailles1  ?
Sans parler la langue des dieux
Et faire de ces vers pompeux
Qu’en écoutant souvent on bâille ?
Ne puis-je au moins, vaille que vaille,
Célébrer mon Roi glorieux ?
Souvent le cœur ingénieux
Vaut bien un esprit qui travaille.
Le rossignol mélodieux
N’empêche pas qu’en même lieu
Un peuple d’oiseaux ne piaille
Et l’on entend jusqu’à la caille
Chanter l’amour, chanter ses feux.
Le transport vif, tumultueux,
Et le vivat de la canaille
Sont plus expressifs, valent mieux
Que le style fastidieux
D’un orateur pédant qui braille.
Je puis donc crier avec eux :
Vive Louis victorieux,
Qui dès qu’on entend qu’on tiraille
Et que l’Anglais présomptueux
S’avance et contre nous feraille
De Tournay quittant la muraille
Part et va d’un pas courageux
A l’endroit le plus périlleux
Où frappant d’estoc et de taille
Vous chasse comme truandaille
Ces ennemis ambitieux
A qui nous sommes odieux
Plus que le pape et la prétraille,
Plus farouches que valeureux
Malgré le [ill.] orgueilleux
De Sir Rosbiff de Cornouailles
Ces ennemis toujours hargneux
Qui d’un air fier et dédaigneux
Nous regardaient comme marmaille
La peur qu’eut notre valetaille
Fit qu’un instant devint douteux
Mais que ce Saxon belliqueux
Que de Mars a l’air et la taille
Eut rallié nos piétons bleus (sic)
Nos gens devenus furieux
Dissipèrent cette racaille
Comme un renard fait la volaille
Et nos soldats audacieux
Bravant le tonnerre et les feux
De leurs canons pleins de mitraille
Semblaient de fiers chevaux fougueux
Qui franchissent un feu de paille.
Et toi, digne présent des cieux,
À ton âge crois-tu qu’il faille
Egaler déjà tes aïeux ?
Et lorsqu’on est si précieux
À seize ans faut-il que l’on aille
Affronter des périls affreux ?
Mais écartons loin de nos yeux
Ces objets dont mon cœur tressaille
Et de nos amis honteux
Sans craindre aucune représaille
Rions, dansons, faisons ripaille
Et que l’écho d’un ton joyeux
D’après ce peuple trop heureux
Sans cesse répète et criaille :
Vive Louis victorieux !
Et pour les sourds qu’une médaille
Redise ainsi qu’à nos neveux,
Vive Louis victorieux !

 

  • 1Voltaire.

Numéro
$3190


Année
1745




Références

Maurepas, F.Fr.12648, p.261-4 - F.Fr.13658, p.95-99