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Les Massacres de Beauvais

Les massacres de Beauvais1
Quoi ! Beauvais, des hommes féroces,
Dans la paix seuls courageux,
Par les meurtres les plus atroces
Pourront ensanglanter tes jeux,
Et dans un timide silence
Souffrant qu’on s’égorge à loisir,
Devant la suprême puissance
Tu n’oserais aller gémir !

J’implore, ô mon roi, ta vengeance :
J’ai vu tes gardes inhumains
Contre ton peuple sans défense
Tourner leurs parricides mains ;
J’ai vu de leurs loges perfides
Des tigres sur nous s’acharnant,
Nous porter des coups homicides
Et rire en nous assassinant.

Témoins de cette barbarie,
O trop faciles citoyens,
Sortez de votre léthargie,
Réunissez vos cris aux miens !
Semant par d’adultères flammes
La honte au sein de vos amours,
Ces vils corrupteurs de vos femmes
En veulent encore à vos jours.

Chassez ces hôtes sanguinaires ;
Bannissez-les de vos foyers :
C’est être assassin de ses frères
Que d’en souffrir les meurtriers.
Mais quoi ! déjà nos élégantes
Les promènent avec orgueil
Le long des maisons gémissantes
Qu’ils viennent de remplir de deuil !

Lâches habitants d’une ville
Autrefois pleine de valeur ;
Allez, rampez, peuple imbécile,
Vous méritez votre malheur.
A la soldatesque insolente
Livrez vos femmes sans pudeur,
Et caressez la main sanglante
Qui vous prend la vie et l’honneur2 .

  • 1« On s’entretenait avec indignation dans les sociétés d’une scène tragique que les gardes du corps du Roi de la compagnie de Noailles, casernés à Beauvais, venaient d’y donner depuis peu dans la salle de spectacle où, s’étant soi‑disant rendus, au nombre de trente, par suite d’une rixe qui s’était élevée la veille entre eux et les habitants de ladite ville qui occupaient le parterre, à l’occasion d’un chapeau que l’un de leurs camarades s’était obstiné à tenir sur sa tête étant dans une loge nonobstant les invitations réitérées qu’il avait reçues de l’ôter, et ayant affecté tous de montrer la même obstination, sur les clameurs qui s’étaient élevées de nouveau de la part du parterre, avaient pris le cruel parti de tomber l’épée à la main sur tous ceux qui s’y trouvaient, frappant et perçant indistinctement de tous côtés, tandis que deux de leurs camarades postés à la porte pointaient à leur tour tous les fuyards, au point que trois ou quatre particuliers étaient morts sur la place, et que plus d’une douzaine d’autres avaient été grièvement blessés. On rapportait que le Roi, d’après les plaintes et les représentations faites à Sa Majesté par les officiers municipaux de ladite ville, sur l’atrocité d’un tel crime, puisque ces militaires avaient lâchement et de dessein prémédité attaqué à main armée des personnes absolument sans défense, avait ordonné qu’ils fussent livrés aux juges ordinaires pour être poursuivis et jugés dans toute la rigueur des ordonnances. » (Journal de Hardy.) (R
  • 2« Quelque poète de la ville de Beauvais, vraisemblablement indigné de l’impunité des assassins, gardes du corps de cette ville, du moins de la lenteur avec laquelle on procède à la vindicte publique et plus encore de la lâcheté des habitants, les tolérant dans leur sein, et des femmes ne rougissant pas plus de les voir autour d’elles et d’en recevoir les hommages, a composé sur ce sujet une ode vigoureuse qui mérite de circuler par l’énergie des sentiments, des images et du style. Elle n’est que manuscrite, et messieurs les gardes du corps l’empêchent autant qu’ils peuvent de se répandre, ce qui la rend difficile à trouver. » (Mémoires secrets)

Numéro
$1577


Année
1786




Références

Raunié, X,215-17 - Mémoires secrets, XXXII, 41-42