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Le Jugement du procès du duc de la Force

Le jugement du procès du duc de la Force1
Or écoutez, petits et grands :
Nos seigneurs étant sur les bancs2
Pour condamner le monopole,
De Mesme alors prit la parole
Et dit : Qu’on appelle Orient !
D’abord parut le patient.

On lui dit d’un ton aigre-doux :
Il faut vous mettre à deux genoux ;
Apprenez que la cour vous blâme
Et qu’elle vous déclare infâme
Pour avoir prêté votre nom
A JacquesNompar de Caumont.

Après lui comparut Duparc3 ,
Suivi de Landais4 et Bernard5 ,
Auxquels d’une voix claire et nette
On dit : La cour vous admoneste ;
Soyez plus sages à l’avenir,
Ou bien on saura vous punir.

Ensuite on fit entrer Caumont,
Auquel on demanda son nom,
S’il est parent ou domestique
De cette troupe magnifique
De crocheteurs et de commis,
Enfin s’il est de leurs amis.

Mais Nompar ayant dit que non6 ,
La cour lui demanda raison
D’avoir promis de grosses sommes
Afin qu’on lui livrât des hommes
Pour envoyer bien loin d’ici,
Habiter le Mississipi7 .

Caumont dit, sans se desserrer :
Messieurs, il faut vous déclarer
Que, si vous punissez ce crime,
Vous pendrez plus d’une victime
Plusieurs confrères que je vois
En ont usé tout comme moi8 .

On lui fit cette question :
Comment êtes-vous caution
De Bernard, votre secrétaire ?
Monsieur, on ne saurait vous taire
Qu’un fait tellement odieux
Est indigne de vos aïeux.

Puis la cour le fit retirer
Et se mit à délibérer
Disant quelle sera la peine
De ce marchand de chair humaine.
D’être blâmé il n’est besoin,
Tout l’univers en prend le soin.

L’admonester ne suffit pas,
Caumont n’en ferait aucun cas ;
Mais, pour punir son avance,
Il faut confisquer son épice,
Ses mirobolans, et son zin,
En un mot tout son magasin.

Ainsi finit le jugement9 .
Plaignons ce triste événement.
Est-il rien de si déplorable
Que cette histoire lamentable ?
Elle ferait fendre le cœur
Si Nompar avait quelque honneur10 .

  • 1Autre titre: Chansons sur le jugement du procès de M. le duc de la Force le 12 du mois de juillet 1721 (Arsenal 3231)
  • 2L’arrêt du Parlement fut rendu le 12 juillet. (R)
  • 3Tailleur, beau‑père de Bernard. (R)
  • 4« Landais, qui est un Malouin, chevalier de l’ordre de Saint‑Michel, a fait venir bien des marchandises d’un vaisseau vendu à Saint‑Malo, et ce sont celles trouvées aux Augustins. »(Journal de Marais) (R)
  • 5Intendant du duc de la Force. (R)
  • 6« Tous les accusés ont été entendus et M. le duc de La Force lui‑même, qui a bien parlé, qui a protesté, comme s’il était devant Dieu qu’il ne connaissait point le chevalier Landais, qui s’est expliqué éloquemment, et qui n’a été embarrassé que pour le cautionnement par lui prêté pour Bernard son secrétaire dans une société de la Louisiane. » (Journal de Marais) (R)
  • 7Dans le mémoire donné par les épiciers, le duc de la Force était accusé d’avoir fait enlever quatre cents familles, soit environ mille personnes, pour peupler la Louisiane que devait exploiter la compagnie dont il était directeur. Bernard faisait fonction de caissier, et Landais était chargé d’acheter les armes pour les émigrants ; douze lieues carrées avaient été concédées à la compagnie. (R)
  • 8On entend parler de M. le duc d’Antin, de MM. de Vauvré et de Saint-Aubin, maîtres des requêtes, qui étaient de part avec lui pour envoyer des hommes et des femmes pour peupler les concessions du Mississipi. (M.) (R)
  • 9Qu’Orient sera blâmé et condamné en 100 livres d’amende, le chevalier Landais, Bernard et Duparc admonestés et 20 livres d’amende. Le contrat de marchandises fait par Landais à Orient déclaré nul, et à 6000 livres de dommages et intérêts envers les épiciers. (M.) — L’arrêt ainsi résumé est fort incomplet, et il y manque ce qui a trait au principal accusé ; il nous paraît donc utile d’en transcrire les dispositions omises : « Sera tenu le dit Henri‑Jacques Nompar de Caumont, duc de La Force, de se comporter à l’avenir d’une manière irréprochable et telle qu’il convient à sa naissance et à sa dignité de pair de France. En outre, la Cour condamne Charles Orient à être blâmé à genoux, le condamne à 100 livres d’amende, le déclare déchu de sa maîtrise, et lui fait défense de s’immiscer dans le commerce ; condamne Bernard, Landais et Duparc à être admonestés, et à aumôner chacun la somme de 20 livres au profit des prisonniers de la Conciergerie, leur fait défense de récidiver ; condamne Orient, Bernard etc, en 6000 livres de dommages-intérêts envers lesdits maîtres et gardes des marchands épiciers, et aux dépens du procès ; ordonne que toutes les marchandises comprises en la saisie seront vendues, etc. » (R)
  • 10« Pour la note du duc de La Force, remarque Marais elle est et demeurera à perpétuité dans l’arrêt pour sa honte et le déshonneur de sa maison. Les juges ont été persuadés, à entendre Orient, que c’était un fripon. » Et ailleurs : « On a chanté des chansons sur le jugement du duc de La Force, sur l’air des Pendus, il ne perdra pas une petite miette de honte. » (R)

Numéro
$0448


Année
1721 (Castries)




Références

Raunié, IV,24-28 - Clairambault, F.Fr.12698, p.35-38 - Maurepas, F.Fr.12630, p.367-69 - F.Fr.9350, f°138v-143v - F.Fr.9352, f°143r-144v - F.Fr.10285 (Barbier), f°161r-162r - F.Fr.10475, f°207-208 - F.Fr.12673, p.364-69 - F.Fr.13655, p.470 -F.Fr.15131, p.263-67 - F.Fr.15143, p.75-78 (incomplet) - Arsenal 2930, p.349-53 - Arsenal 2937, f°354r-355v - Arsenal 2962, p.129-32 - Arsenal 3115, f°198r-199v - Arsenal 3231, p.565-68 - BHVP, MS 639, p.81-85 - BHVP, MS 659, p.165-69 - Mazarine, MS 2163, p.436-40 - Mazarine Castries 3983, p.93-96 - BHVP, MS 547, (non numéroté) - Toulouse BM, MS 855, f°161v-163v - Barbier, I, 138-40