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Les Exploits du duc de la Force

Les exploits du duc de la Force
Parnasse français, prends le deuil ;
Que tout rimeur, la larme à l’œil,
Emploie aujourd’hui l’énergie
De La plus piteuse élégie.

Pleurez, marchands et financiers,
Pleurez, gens de tous les métiers,
Pleurez l’universel génie
Qui tous ensemble les allie.

C’est lui qui sut associer
Le prédicateur au guerrier,
Témoin la mission dragonne
Que l’a vu prêcher la Garonne.

On l’a vu duc, commis, sergent ;
On le voit chez la docte gent
L’Horace comme le Mécène,
Le fontainier de l’Hippocrène.

Mississipi, monstrueux corps,
Qui mieux que lui mut tes ressorts ?
Qui mieux tira la quintessence
Du commerce et de la finance ?

Il avait fait avec grand soin,
De suif, de cire, de vieil oing,
Thé, café, sucre et cochenille,
Une petite pacotille.

Après avoir chez l’Augustin1
Bien établi son magasin,
Il vivotait en confiance,
Car qui mal ne fait mal ne pense.

Cependant de mauvais esprits
Parmi le peuple de Paris
Taxent de monopole un homme
Digne de la première Rome2 .

A l’État ces Romains si grands
Immolaient rang, amis, parents.
Qu’ont-ils fait que ne l’ait vu faire
Le huguenot, l’homme d’affaire ?

De ces traits éclatants peut-on
Conclure au moins avec raison
Que l’intérêt soit une amorce
Pour la grande âme de La Force ?

A cœur noble, nobles desseins :
Du provenant de Mazarin
Plus raisonnablement croirais-je
Qu’il fera bâtir un collège.

J’y vois renté plus d’un régent,
Qui montre à gagner de l’argent
Au jeune seigneur qu’il exerce
Dans la finance et le commerce.

Mais, ô temps ! ô mœurs ! ô Thémis
Loin de punir ses ennemis,
Quel démon te rendit propice
A la surprise, à l’injustice ?

Où fuir ? où te cacheras-tu ?
Quel asile pour toi, vertu ?
Quoi donc ! d’accord avec le crime,
Thémis, Themis même l’opprime

Petits et grands qui m’écoutez,
De cet exemple profitez.
Si jamais vous faites de cache,
Gardez-vous bien qu’on ne le sache3 .

Que valet, femme ni bigot
Ne puisse éventer le magot.
Usez de cette prévoyance,
Et puis dormez en assurance.

  • 1Il avait mis dans le couvent des Grands‑Augustins des marchandises qui furent saisies. (M.) — « On a saisi, dans le couvent des Augustins, écrit Marais, plusieurs marchandises d’épicerie et des porcelaines et paravents de la Chine, qui y avaient été mis par un nommé Orient, dans les chambres que ces religieux lui avaient louées et dans leur bibliothèque. On les a enlevées parce que Orient les vendait en détail. Il a été depuis arrêté, et il a déclaré dans son interrogatoire que ces marchandises appartenaient au duc de La Force, ce qui a arrêté les poursuites du lieutenant de police, qui ne peut pas connaître de ce qui regarde un duc et pair. » Cette saisie fut l’origine d’un long et scandaleux procès qui couvrit le duc de La Force de honte et de ridicule. On en trouvera les détails dans le Journal de Marais et dans celui de Barbier, qui semblent prendre un malin plaisir à les accumuler. (R)
  • 2En sa qualité d’avocat, Marais discute au point de vue juridique l’accusation de monopole portée contre le duc de La Force. « J’ai voulu examiner, dit‑il, le crime du duc de La Force ; ce ne peut être un monopole, puisqu’il n’a pas amassé toute une marchandise nécessaire à la vie, il a seulement contrevenu aux ordonnances qui défendent le négoce et trafic aux gentilshommes, mais il n’est pas défendu en gros, et il y a un édit d’août 1699 qui permet à la noblesse le commerce de mer sans déroger. Quand le duc aurait vendu en détail, ce ne serait pas une matière criminelle, et il semble qu’il y a dans tout ceci une procédure irrégulière, qui cache quelque vengeance secrète. » Saint-Simon, plus explicite, précise ce que Marais laisse seulement soupçonner, et explique comment le prince de Conti, dans un but de vengeance personnelle, donna le branle à cette affaire. « Law parti, le prince de Conti imagina de faire une insulte juridique au duc de La Force, sous prétexte de monopole, bien assuré que de Mesmes et le Parlement se porteraient de grand cœur à faire cet affront à un duc et pair. Il ne se trouva à la fin que de la Chine des paravents et quelques autres colifichets semblables, qui montrèrent en plein l’iniquité, l’excès et l’abus de la passion. » Le Parlement se trouva bien aise d’humilier un adversaire qui s’était montré dans l’affaire du Bonnet l’ardent défenseur des prérogatives des ducs, et le duc de La Force fut choisi comme victime expiatoire du système. (R)
  • 3« Vous me demanderez, écrit Madame, pourquoi le duc seul est puni, lorsqu’il y a bien d’autres seigneurs qui ont agi comme lui : la raison est que les autres ont été plus adroits que lui, et qu’ils ont opéré en secret, de sorte qu’on ne peut les connaître. Son malheur est un châtiment de Dieu, qui le punit d’avoir horriblement persécuté les réformés. » (R)

Numéro
$0442


Année
1721




Références

Raunié, IV,14-18 - Clairambault, F.Fr.12698, p.41-42 - Maurepas, F.Fr.12630, p.371-74