Conseils ironiques aux chansonniers, sur les mœurs du temps
Conseils ironiques aux chansonniers, sur les mœurs du temps1
Chansonniers mes confrères,
Le cœur,
L’honneur,
Ce sont des chimères :
Dans vos chansons légères,
Traitez de vieux abus,
De rébus,
De phébus
Les vertus
Qu’on n’a plus.
Tâchez d’historier
Quelque conte ordurier,
Mais avec bienséance :
De mots
Trop gros
L’oreille s’offense :
Tirez votre indécence
Du fond de vos sujets,
Et des faits
Faux ou vrais,
Scandaleux,
Mais joyeux.
Les madrigaux sont fades :
L’apprêt
Qu’on met
A ces vers maussades
Ne vaut pas les boutades
D’un chansonnier sans art,
Et sans fard,
Mais gaillard,
Indécent
Mais plaisant.
Et puis, tous ces nigauds,
Qui font des madrigaux,
Supposent à nos dames,
Des cœurs,
Des mœurs,
Des vertus, des âmes,
Et remplissent de flammes,
Et de beaux sentiments,
Nos amants,
Presque éteints,
Vrais pantins
Libertins.
L’amour est mort en France :
C’est un
Défunt
Mort de trop d’aisance ;
Et c’est la jouissance,
Qui succède en ce lieu
A ce dieu
Des Gaulois,
Des bourgeois
D’autrefois.
Chansonniers de bon sens,
Ne parlez donc qu’aux sens :
Peignez-nous sans scrupule,
Chantez,
Vantez,
Les talents d’Hercule ;
Tournez en ridicule
Ceux qui n’avancent pas
Plus d’un pas,
Ou qui font
Un affront,
Au second.
- 1M. Caulet, qui, sur la prise de ce fort redoutable et la défaite de l’amiral Bing [Byng], fit ces jolis couplets qui lui ont valu une pension de la Cour, en a fait sur le même air qui n’ont pas moins de mérite en un autre genre. Les voici : - Collé lui-meme s’explique sur ce poème :Le succès de ses couplets sur la prise de Fort-Mahon l’avait « engagé à en faire trois autres sur le même air, mais d’une façon plus régulière et par conséquent plus gênante ; j’ai mis en rime le vers qui se répétait quatre fois au milieu du couplet, et le vers qui se répétait aussi quatre fois à la fin. Cette difficulté m’a piqué et je crois l’avoir vaincue. » (Collé, II,52-54, juillet 1756). Il notera plus tard : « je regarde ces couplets-ci comme les meilleurs et les plus difficiles que j’aie faits.
CLK, mai 1757, t.I, p.173 - CLG [éd.Kölving],), IV,139-40