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Dubois cardinal

Dubois cardinal1
Or écoutez la nouvelle2
Qui vient d’arriver ici :
Rohan, ce commis fidèle,
A Rome a bien réussi3 .
Mandé par Dubois, son maître,
Pour acheter un chapeau,
Nous allons le voir paraître
Et couvrir son grand cerveau4 .

Que chacun se réjouisse !
Admirons Sa Sainteté,
Qui transforme en écrevisse
Ce vil crapaud crotté5 .
Après un si beau miracle,
Son infaillibilité
Ne doit plus trouver d’obstacle
Dans aucune Faculté.


Les mœurs de notre Éminence,
Son esprit, sa probité
Sont aussi connus en France
Que sa grande qualité6 .
On sait d’ailleurs les offices
Qu’il a rendus au Régent :
Aussi, pour pareils services7 ,
Fillon8 au chapeau prétend9 .

  • 1Autre titre: Sur la nomination du cardinal Dubois au cardinalat. Rohan qui fit cette négociation donna de l'argent au pape pour cela. (Lyon 1552) - Sur la nomination du cardinal Dubois. On dit que le cardinal de Rohan qui fit cette négociation acheta le chapeau comptant. (BHVP)
  • 2Ce soir 25 juillet, écrit Marais, est arrivée la nouvelle de Rome que le pape avait donné le chapeau de cardinal à Mgr l’archevêque de Cambrai, autrement l’abbé Dubois. On croyait ce chapeau perdu, mais le voilà retrouvé. La famille du pape, qui n’est pas riche, en a touché de bon argent, et a mieux fait que le défunt qui promettait et ne tenait point. » Et Barbier ajoute de son côté : « Dubois doit être bien content d’être prince de l’Empire par son archevêché et prince de l’Église. On dit que ce chapeau de cardinal qui a été demandé par les princes étrangers, c’est-à‑dire par l’empereur et le roi d’Espagne, coûte au Régent quatre millions. » Lemontey, qui a retracé, d’après les documents conservés aux Archives des affaires étrangères, les intrigues laborieuses de cette négociation, estime qu’elle coûta huit millions à la France. (R)
  • 3Le cardinal de Rohan ; qui se trouvait à Rome pour le conclave, partageait avec l’abbé de Tencin le soin des intérêts de Dubois. (R)
  • 4Et couvrir un maquereau (BHVP)
  • 5Innocent XIII devait la tiare à l’appui de la France, qu’il avait obtenu en promettant le chapeau à Dubois. Si sa promesse eût été seulement verbale, il en eût sans doute indéfiniment retardé l’exécution ; mais l’abbé de Tencin avait exigé un engagement écrit. « Après les cérémonies de l’exaltation, raconte Duclos, Tencin somma le pape de tenir sa parole. Le pontife, naturellement vertueux, qui s’était laissé arracher ce malheureux écrit dans une vapeur d’ambition, répondit qu’il se reprocherait éternellement d’avoir aspiré au pontificat par une espèce de simonie, mais qu’il n’aggraverait pas sa faute par la prostitution du cardinalat à un sujet si indigne. L’abbé de Tencin, qui ne comprenait pas trop ces délicatesses de conscience, insista avec chaleur. Le pape résista avec fermeté. Quand celui‑ci parlait de sa conscience, l’autre opposait son honneur et celui de Dubois. Ces deux hommes réunis n’en paraissaient pas plus forts au Saint‑Père. La lutte dura longtemps et à différentes reprises. Tencin, voyant qu’il ne pouvait persuader le pape par des raisonnements, le menaça de rendre le billet public. Le Saint‑Père effrayé crut qu’il valait mieux encore épargner ce scandale à l’Église que de s’opiniâtrer à refuser un chapeau dont l’avilissement n’était pas sans exemple. » Il s’exécuta, et Dubois fut cardinal (R).
  • 6« 26 juillet — Le Régent a présenté au roi le nouveau cardinal Dubois, et lui a dit qu’il n’y avait point d’homme dans son royaume qui eût rendu de plus grands services que lui à l’Église et à l’État. Cela se peut justifier par la part qu’il a eue aux traités d’alliance avec les couronnes étrangères et à l’accommodement de la Constitution. De savoir si l’Église et l’État en sont mieux, c’est une autre question. » (Journal de Marais.) Madame est plus équitable pour Dubois, qu’elle aimait d’ailleurs assez peu. Tout en raillant sa promotion au cardinalat par cette phrase singulière : « Alberoni a ainsi un copain », elle rend justice à ses talents : « Il a beaucoup de moyens, c’est incontestable, et s’il était aussi honnête homme qu’il est capable il ne laisserait rien à désirer. » (R)
  • 7Aussi pour le même office / Fillon eut Châteaumorand (F.Fr.10475, F.Fr.15231)
  • 8Fameuse maquerelle (BHVP)
  • 9L’on dit qu’à de tels offices / Fillon à Fontevrault prétend (Buvat).

Numéro
$0455


Année
1721 juillet




Références

Raunié, IV,49-51 - Clairambault, F.Fr.12698, p.29-30 - Maurepas, F.Fr.12630, p.353-54 - F.Fr.9350, f°115v- F.Fr.10285 (Barbier), f°166r - F.Fr.12800, p.108 - F.Fr.15131, p.368-69 - Mazarine 2164, p.44-46 - Mazarine MS 2166, p.135-36 -  BHVP, MS 639, p.204-05 - BHVP, MS 547, (non numéroté) - Lyon BM, MS 1552, p.415  - Toulouse BM, MS 855, f°183v-184v - Buvat, II,275-76 - Marais, I, 426