Brevet de vivandière pour la Morin
De par le Dieu porte-marotte,
Nous, Général de la Calotte,
Pour satisfaire avec plaisir
Au louable et juste désir
De la Morin qui nous demande
Avec beaucoup d'empressement
Et comme une grâce très grande
D'être enrôlée au régiment.
Vu les titres et le mérite
De la demoiselle susdite,
Laquelle a prouvé par serment
Qu'elle aurait eu pour son amant
Un Duc et pair qui, par la force,
Aurait donné quelque détorce1
À son honneur qu'elle a toujours,
Dans ses mœurs et dans ses discours.
À ces causes, sur la requête,
Après mûre et solide enquête
De la vie et mœurs et bon train
De la demoiselle Morin,
La recevons parmi les nôtres,
Comme en avons reçu bien d'autres,
Qui conservant chaste dehors
Font tant d'honneur à notre corps.
Or comme le moindre scandale
Exclut du haut rang de vestale,
La recevons en qualité
De blanchisseuse ou vivandière,
Voulant par faveur singulière
Qu'elle opte des deux à son gré.
Défendons à notre milice,
Tant aux officiers que soldats,
Lui porter aucun préjudice,
Pour le fait d'aucun des deux cas.
Voulons que toute fourniture
D'espèce quelconque et nature,
Concernant sa peine et trafic,
Lui soit rendue ric-à-ric2 .
Cependant comme elle est d'un sexe,
Que très souvent maint escroc vexe,
Lui donnons pour indemnité,
Mille livres sur la fumée,
Poussière et brouillard qu'en été,
Cause la marche d'une armée.
Lui donnons notre médaillon
Pour le suspendre à sa crevée3 ,
Et pour qu'elle n'en soit grevée,
la simple calotte de plomb,
Avec les grelots et sonnettes,
Et timbres, propres aux coquettes,
Du premier rang et d'un grand nom.
Signé Torsac, et moi, Aymon.

• 1Synonyme d'entorse, le terme est attesté comme rare par Acad.
• 2Avec une exactitude rigoureuse. Il est du style familier. (Acad.)
• 3Le terme n'est pas attesté.