Calotte de Beauregard
Calotte de Beauregard
Nous, grands juges de la Calotte,
Plus souverains que ceux de rote,
Ayant aucunement égard
Aux plaintes du Sieur Beauregard,
Digne officier d’infanterie,
Qui devant notre Seigneurie
S’est plaint qu'Arouet, jeune rimeur,
À Versailles, en mauvaise humeur,
L’aurait maltraité de parole
En présence même du Roi,
Lui disant qu’il jouait un rôle
D’homme ignoble et de bas aloi,
Savoir d’espion et de mouche.
Or, quoique de telles qualités
Soient de constantes vérités,
Comme la vérité pique et touche
Plus que le mensonge, il aurait
Pour se venger dudit Arouet
Surpris le poète à son aise
S’en retournant dans une chaise,
Auquel sans respect d’Apollon,
Des neuf sœurs et du saint Vallon,
Il aurait donné bastonnade
Capable de rendre malade
Le corps le mieux constitué.
Or d’autant que ledit poète,
Étant pour lors destitué
Tant de pistolet que de brette,
Ne put à son corps défendant
S’empêcher de perdre une dent,
Action que certains génies,
Accoutumés aux calomnies,
Prétendent mériter la hart
Du côté dudit Beauregard,
Disant qu’en France un honnête homme
Se bat en brave et point n’assomme
Son ennemi de guet à pent.
À ces causes rendant justice,
Admettons dans notre milice
Le Sieur Beauregard pour exempt.
Commettons à toute capture
Ledit pour mettre en prison sûre
Les coupables du Régiment,
Déclarés tels par jugement.
Lui conseillons pour saine garde
De se munir d’un corselet
À l’épreuve du pistolet
Ou d’une haute d’hallebarde,
Car après une telle affaire
Le poète Arouet de Voltaire
Aurait droit, sans l’en avertir,
De le faire au plus tôt partir
Pour un pays nommé Tartare
Où domine Pluton l’avare.
Discours qui, prosaïquement,
En toute langue signifie
Qu’il pourrait par ressentiment
Le dépêcher pour l’autre vie.
Lyon BM, MS 750, f°250v-251v - Lyon BM, MS 751, f°100v-101r