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Brevet de géomètre mathématicien

Brevet de géomètre mathématicien1

De par le dieu porte-marotte,

À tous États de la Calotte

Sujets à notre autorité,

Salut, honneur et liberté.

De tout temps, suivant notre histoire,

Le jugement et la mémoire

Le bon sens, l’application,

L’étude, la contention,

Ayant été jugés nuisibles

Et sûrement incompatibles

Au repos, à l’âme, au destin

De notre empire calotin,

N’avons voulu jamais admettre

Parmi nous aucuns géomètres,

Gens préférant aux visions

Solides démonstrations.

Mais comme tout calotin change,

Il ne doit point paraître étrange

de ce qu’autrement nous pensons.

(Tout avec un peu de façon

Tourne à bien en fait de science.)

Cru nous avons, en conscience,

Ne devoir pas faire un cas tel

Du projet du Père Castel,

Où sont tous les traités d’usage

À princes, ducs, marquis et pages,

De mathématique s’entend,

Tous lesquels traités l’on apprend

Ou que du moins on peut apprendre

Sans les retenir ni comprendre.

Enfin, sans application,

Nous, donc avec attention

Voyant l’utilité si grande

D’un tel projet, qui ne demande

Pour de science être enrichi

Qu’un petit coup d’œil réfléchi,

Qui nous prouve avec évidence

Qu’on vient à force de science

À chasser de l’entendement

Ce que l’on savait bonnement,

Qu’on apprend, pourvu que l’on lise

Et la magie de l'analyse,

Et le grimoire des X X

Ci-devant relégué au Styx,

Enfin mainte autre connaissance

Mis en un corps sans consistance

Sans figure, ordre ou liaison,

Sans âme, symbole ou raison,

Le tout extrêmement conforme

Au dernier arrêt de réforme

Rendu par nous tout récemment

À la tête du Régiment.

Voulons accorder audit Père

Notre protection entière,

Que pour son travail insensé

Son zèle soit récompensé,

Que sous notre seule licence

Pouvoir, autorité, puissance

Incessamment soit établi

En notre bonne raptoly [sic]

Sise près le pôle antarctique

Un collège mathématique

Où seront à notre grand bien

Sciences réduites à rien,

Suivant leur poids, mesure et nombre.

Voulons qu’il soit mis en lieu sombre,

Et ce pour plus grande clarté.

Là, que nul ne soit accepté

Sans une épreuve rigoureuse.

Qu’il soit distrait, impatient,

Superficiel, peu pliant ;

Là, que jamais il ne s’avise

D’avoir connaissance précise.

Qu’il voit tout confusément,

En gros et généralement.

Pour ce soit à jamais banni

De notre troupe, académie,

De notre collège, en un mot

De tout notre empire calot,

Toutes les perceptions nettes

Simples, primitives et discrètes.

Qu’aucune définition

N’y soit prise sans caution.

Qu’au reste, pour aller plus vite,

Chaque personne y soit instruite

Suivant la susdite façon

Par lueur, idée, soupçon,

Possibilité, conjecture,

Vraisemblance d’abord obscure,

Puis vraisemblance tout à fait,

Vérité, preuve, enfin le fait.

Voulons qu’on y métamorphose

Tout terme d’art ; qu’on y compose

Un parallèle incessamment

À l’usage du Régiment.

Que l’on y place sans rien craindre

Un pot à beurre pour cylindre ;

Qu’un cercle y soit un rond coudé,

Un angle un pli, le cube un dé,

Qu’un chapeau pointu soit un cône,

Bref que tous les mots l’on détrône

Et que l’on réduise au niveau

Du moindre petit soliveau

Le fier parallélépipède.

Et pour un plus certain remède

Enjoignons à tous nos sujets

De leur courir sus désormais.

Voulons qu’à notre académie

Soit chambre de cosmographie,

Où seront montrés comptes faits,

Et que devant l’un des préfets

Artiste, ingénieur, manœuvre

Soient tenus de faire chef-d’œuvre,

Le tout pour apprendre à compter

Et pour plus tôt exécuter

Ces projets rares et comiques.

Voulons qu’arbres analytiques

Sans aucun délai soient planté

Aux marais du Nil si vantés

Comme en lieu propre par essence

À leur donner bonne substance.

Leur enjoignons de porter fruit

Et tirera de leur profit

Son revenu ledit collège.

Là sera fait un beau manège

Où par le Père sans retard,

Gens seront instruits en tel art

Qu’ils pourront par méthode sûre

Compter les progrès à mesure

Qu’on les verra développer

Sans aucun laisser échapper.

Bois, branches, feuilles et le reste

Un atome, le moindre reste

Seront observés pas à pas.

Et pour montrer enfin le cas

Que nous faisons des découvertes

À l’Etat calotin offertes,

Nous déclarons par ce cartel

Le Révérend Père Castel

Pour toujours notre géomètre.

Si lui permettons de se mettre

Notre mathématicien,

Titre qui lui viendra fort bien,

Avec dix mille écus de rente

Dont le dote par ces présentes

Notre calotine faveur,

À déduire sur le meilleur

Et le plus clair de nos finances,

Le tout payable en échéance

À prendre chacun en son temps

Sur notre trésorier Bontens.

  • 1 Cette pièce est une espèce de remerciement de Du S. à M. J. S… P… Célèbre à qui il doit une partie de sa fortune (M.).

Numéro
$4217





Références

F.Fr.9353, f°245r-247v - F.Fr.12785, f°70r-76v - F.Fr.15015, f°103r-108r - Lille BM, MS 63, p.382-92