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Les Tribulations de Monsieur Boniface

Les tribulations de Monsieur Boniface1
Mais n’est-il pas cocasse,
Ce monsieur Boniface ?
Voyez quelle grimace,
Quelle mine il fait là.
Le pauvre homme se fâche ;
C’est que sous sa moustache
On lui met le panache
Que nos garçons n'ont pas.

Hôte de la Grand-Pinte,
Je vous porte ma plainte ;
Ma femme est là qui pinte
Avec deux avocats. —
Ne fais point de tapage,
Car ta moitié, fort sage,
Te laisse ici pour gage
Et l’écot sur les bras. —

Il vient à la police
Pour demander justice :
Voyez quelle malice !
On l’écoute comme ça.
J’ai, dit-il, la jaunisse,
Mine de pain d’épice. —
Va chercher ta nourrice,
Elle te guérira. —

Il court à la rivière
Pour s’en faire une bière,
Montant sur une pierre
Pour s’enfoncer plus bas.
Il se salit la mine,
Il se crotte l’échine ;
Revenant il clopine,
La Seine n’en veut pas.

Sur les tours Notre-Dame
J’irai, dessus mon âme,
Me venger de ma femme
En me jetant en bas.
Il veut monter la rampe,
Voilà-t-il pas la crampe,
Et mon vilain décampe
Sans avoir fait un pas.

Au détour d’une rue
Il faut que je me tue,
Le front contre un plâtras,
Dit-il ; puis il se rue.
Il sent qu’on le repousse,
Il choit de la secousse,
Mais le bois qui rebrousse
N’est pas brisé pour ça.

Voyons si cette lame
Pourra m’arracher l’âme ;
Vengeons-nous d’une infâme
Par un noble trépas.
Le pas est difficile.
La main n’est pas habile,
La lame qui vacille
Passe au-dessus du bras.

Il court chez la sorcière,
Demande une manière
Comment il pourra faire
Pour avoir le front ras. —
Ferme l’œil quand tu veilles,
Sois dur des deux oreilles,
Je te promets merveilles,
Car rien ne sentiras. —

Voyons en chirurgie,
Voyons en pharmacie,
Quelques gens de génie,
Connaissant ce mal-là. —
Malade ridicule,
Avale la pilule ;
Jusqu’au moindre scrupule
On te la dorera.

Dans sa dernière transe
Il court à l’audience :
Messieurs, je veux vengeance,
Je suis… et cetera. —
Dandin, plein de prudence,
Prend en main la balance :
C’est cornes d’abondance.
Va, tu les porteras.

Messieurs de la Sorbonne,
A vous je m’abandonne ;
Ma pauvre âme s’étonne
S’il faut mourir comm’ça. —
Ami, prends patience,
Tu fais ta pénitence ;
Cela vaut indulgence
Pour qui ne s’en plaint pas.

  • 1 A propos des Mémoires publiés par Kornmann. (R)

Numéro
$1596


Année
1787




Références

Raunié, X,271-74