Chanson
Je consens, mes chers frères,
A vous initier
Dans les profonds mystères
Du lyrique métier1
;
Croirez-vous mes préceptes ?
Oui, monsieur le bailli
Vous ferez des adeptes.
Bon, monsieur le bailli.
Connaissez-vous Armide2
?
Oui, monsieur le bailli.
Quel ouvrage insipide !
Oui, monsieur le Bailli,
Sans chaleur, sans génie,
Fi ! monsieur le Bailli !
Mais vive Iphigénie !
Oui, monsieur le Bailli.
De la scène lyrique
Quinault n’est plus le roi :
Lisez ma Poétique,
Vous direz comme moi ;
Nous n’avons qu’un génie.
Oui, monsieur le Bailli,
L’auteur d’Iphigénie.
Oui, monsieur le Bailli.
Admirez sa sagesse,
Modeste en ses essais,
Par respect pour la Grèce
Il parle mal français3
,
Même en pillant Racine,
Son génie affaibli
Dément son origine.
Oui, monsieur le Bailli.
N’allez pas dans la fable
Vous choisir des sujets,
Point de Dieu, point de Diable,
Ni fêtes, ni ballets,
Cela sent trop l’enfance.
Oui, monsieur le Bailli.
On peut aimer la danse4
.
Hem ! monsieur le Bailli.
Toi, chef de mes athlètes,
Qui de ce pays-ci
Sais mesurer les têtes,
Sois mon superbe appui :
Cours, cabale au parterre5
,
Du fond je t’ai saisi,
La forme est ton affaire.
Oui, monsieur le Bailli.
- 1Couplets sur M. le bailli du Rollet, auteur de l'opéra d'Iphigénie, au sujet de sa brochure Lettres sur les drames (F.Fr.13652).
- 2Tous ces principes sont pris exactement dans sa Lettre (M.).
- 3Il n’y a que cela qui ne soit pas dans sa Lettre. Mais en est-ce moins vrai ? (M.)
- 4On dit que l’auteur avait une si furieuse passion pour la danse, qu’un jour il pria un danseur de souffrir qu’il se substituât à sa place et qu’il parût à l’Opéra (M.)
- 5On prétend qu’il a gagé un chapelier, grand aboyeur au parterre, pour applaudir à son opéra (M.)
F.Fr.13652, p.414-16 - Mémoires secrets, IX, 1820