L’archevêque et le bourreau1
Lorsqu’à Reims on revit Mailly,
De tous il fut bien accueilli ;
On fit une réjouissance
Et chacun à Son Éminence
Marqua sa jubilation
Par une illumination.

Le bourreau se mit à crier :
Je ne serai pas le dernier
A témoigner mon allégresse,
Je vais en ce jour de liesse
Faire connaître à Monseigneur
Comment je veux lui faire honneur.

Aussitôt dit, aussitôt fait.
Du pasteur il prend le portrait,
Il l’attache au bout d’une corde,
Le suspend sans miséricorde,
Et puis il l’élève bien haut
Au beau milieu d’un échafaud.

Le cardinal fut confondu
Lorsqu’il se vit ainsi pendu ;
Il dit, pour punir la manie
Du bourreau : Je l’excommunie !
Et déclare cet insolent
Bien plus damné qu’un appelant.

L’autre dit : De ce jugement,
Seigneur, j’appelle au Parlement ;
On sait que ses arrêts sont sages.
Souvenez-vous de vos ouvrages,
Et que l’archevêque de Reims
A déjà passé par mes mains2 .

Malheureux, dit le cardinal,
Je récuse ce tribunal
Qui, par une vaine chimère,
A restreint les droits du Saint-Père,
Et qui toujours fut révolté
Contre l’infaillibilité.

Le bourreau lui répartit : Bon !
Je n’entends rien à ce jargon.
Le prélat répond : Dieu m’assiste,
Il faut que tu sois janséniste ;
Un disciple de Molina
M’eût-il traité comme cela ?

Le bourreau, las d’être prêché,
S’en alla tout droit au marché,
Où de sa peine on le défraye ;
Chacun lui donne double paye,
Disant : C’est un homme d’honneur,
Il a pendu notre pasteur.

• 1Autres titres : Contre l’archevêque de Reims (Clairambault) /  Sur Monsieur le cardinal de Mailly lorsqu’il arriva à Reims au mois de juillet 1721 (Arsenal 3231)
• 2Le bourreau avait déjà brûlé une lettre de cet archevêque au Régent, en exécution d’un arrêt du mois de mars 1718. En juin 1719, le Parlement avait condamné une autre de ses lettres au feu. (R)