Aller au contenu principal

Les Trois ministres

Les trois ministres
Soit au dedans, soit au dehors,
Si quelque ennemi nous veut nuire,
Nous serons toujours les plus forts,
Quand nous aurons pour nous conduire
Trois ministres d'un grand renom:
Argenson, Dubois et Bignon1 .

Argenson n'a pas son pareil
Pour le conseil, pour la finance ;
L'abbé Bignon2 est un soleil
Qui peut seul éclairer la France ;
Mais si quelqu'un je préférais,
Je serais pour l'abbé Dubois.

Il nous écrit qu'assurément,
Entre la France et l'Angleterre, .
Selon son petit jugement,
On ne verra jamais la guerre,
Tant qu'à l'Anglais on donnera
Tout ce qu'il nous demandera3 .

Bignon a fait voir au Régent
Que si glands ou feuilles de chêne
En France avaient cours pour argent,
On pourrait s'acquitter sans peine;
Et qu'il voudrait en ces deniers
Satisfaire ses créanciers4 .

L'heureux amant de Villemont,
Du monde entier sait le système:
Par son raisonnement profond,
Il soutient le pouvoir suprême ;
Enfin au conseil, tous les jours,
Il surprend par ses beaux discours5 .

  • 1Le mot de ministre est pris ici dans une acception tout à fait générale ; car au moment où fut composée la chanson, l’abbé Dubois était encore ambassadeur à Londres, et l’abbé Bignon était simplement conseiller d’État d’église. (R)
  • 2Jean‑Paul Bignon (1662‑1723), prêtre de l’Oratoire, était devenu successivement prédicateur du roi, abbé de Saint‑Quentin‑en‑l’Isle et conseiller d’État (1701). Il succéda en 1718 à l’abbé de Louvois comme bibliothécaire et intendant du cabinet des médailles du roi. Il était membre de l’Académie française, membre honoraire de l’Académie des inscriptions et de l’Académie des sciences. (R)
  • 3 Saint‑Simon n’apprécie pas autrement la politique de Dubois. « L’infidèle ministre, dit‑il, en parlant de la Triple-Alliance, ne pensa plus qu’à profiter de la conjoncture : faire en effet tout ce qui conviendrait à l’Angleterre ; le faire de manière qu’à lui seul elle en eût toute l’obligation ; lui faire bien sentir ses forces auprès de son maître, et faire son marché aux dépens du Régent et du royaume. Il n’ignorait pas que le commerce était la partie la plus sensible de l’Angleterre. Il ne pouvait pas ignorer sa jalousie du nôtre. Il l’avait déjà bien servie en persuadant au Régent de laisser tomber la marine pour ôter toute jalousie au roi George. » Et Dubois lui‑même écrivait à lord Stanhope, lorsqu’il fut nommé secrétaire d’État des affaires étrangères (14 octobre 1718) : « Je vous dois jusqu’à la place que j’occupe, dont je souhaite avec passion de faire usage selon votre cœur, c’est‑à‑dire pour le service de Sa Majesté Britannique dont les intérêts me seront toujours chers. » (R)
  • 4L’abbé Bignon s’occupait d’affaires de finances. On lit dans le Journal de Dangeau (29 janvier) : « L’abbé Bignon et le Petit‑Renaud travaillent à un projet sur la dîme royale qui n’est pas tout à fait comme celui du maréchal de Vauban qui est imprimé, mais qui en approche fort. » (R)
  • 5Le marquis d’Argenson écrit dans ses Mémoires : « Personne ne parlait mieux en public que mon père, moins brillant par une érudition de légiste que par une éloquence forte de choses, de grandes maximes et de pensées élevées. Il fallut ensuite réparer les brèches ouvertes par les ennemis de l’État. Nul ne savait mon père propre à l’administration des finances comme il s’est montré. Mais la qualité d’homme sage, aimant le bien public, ferme, travailleur et bon économe, est de beaucoup préférable à cette maudite science financière qui a perdu la France. » (R)

Numéro
$0293


Année
1718




Références

Raunié, III,53-55 - Clairambault, F.Fr.12697, p.99 - Maurepas, F.Fr.12629, p.325-26 - Arsenal 3132, p.393-94