Le Tombeau de d’Argenson
Le tombeau de d’Argenson
Le voilà donc dans son dernier manoir
Ce sombre auteur de tout malin vouloir,
Et d’Argenson s’est rejoint à sa femme.
Son buste je veux aller voir. —
Je l’ai vu, reprit une dame,
Mais, selon mon petit savoir,
Je crois que le sculpteur aurait dû se pourvoir
Pour mieux représenter et son corps et son âme
Non de marbre blanc, mais de noir1
.
- 1« Aujourd’hui, 8 mai, à huit heures du matin, écrit Barbier, est mort M. d’Argenson, âgé de soixante-dix ans, ci‑devant garde des Sceaux et ministre des finances. Il est mort dans le couvent de Traisnel, faubourg Saint‑Antoine, où il s’était retiré depuis un temps. Il était fort ami de la prieure, fille d’esprit et de condition. » — « Samedi, 10 mai, on a porté le corps de M. d’Argenson à Saint‑Nicolas du Chardonnet, où il a sa sépulture, à dix heures du matin, avec un cortège convenable à sa dignité. Le peuple accompagnait la pompe en maudissant le défunt ; les femmes se jetaient sur les chevaux : Ah ! voilà le fripon ! le chien qui nous a fait tant de mal ! Le peuple lui a attribué sans sujet la suite du Système. Tout le mal s’est fait depuis qu’il n’était plus en place. On ne peut lui reprocher que le lit de justice. » Et Marais : « On a apaisé avec beaucoup de peine la populace furieuse, qui n’avait jamais osé le regarder en face pendant sa vie et qui voulait arracher la barbe au lion mort. Je ne sais qui aura son âme ; il doit y avoir un beau débat en l’autre monde comme en celui‑ci à qui l’emportera. » (R)
Raunié, IV,10-11