Épitaphe de l’abbé Pellegrin
Épitaphe de l’abbé Pellegrin
Ci-gît le pauvre Pellegrin,
Qui dans le double emploi de prêtre et de poète,
éprouva mille fois l’embarras où nous jette
La crainte de mourir de faim.
Longtemps vainqueur de son destin,
Le matin catholique et le soir idolâtre,
Il dîna de l’autel et soupa du théâtre,
Mais notre bon prélat voulant le détourner
De l’abus scandaleux de ce partage impie,
Lui retrancha l’autel la moitié de sa vie
Et parce qu’il soupait, l’empêchait de dîner.
Il s’en plaignit, disant d’un ton de tragédie :
Pleurez, pleurez mes yeux et fondez-vous en eau,
La moitié de ma vie a mis l’autre au tombeau.
Il n’en devint que plus esclave de la rime,
D’une faim innocente éternelle victime.
Malgré Minerve et les sifflets
Il voulut obliger le théâtre et la presse
À le dédommager du repas dont la messe
Ne pouvait plus faire les frais.
Comme sa muse était nourriture ordinaire,
Qui n’eût juré qu’enfin par l’inanition
Il aurait vu finir sa vie et sa misère.
Cependant il est mort d’indigestion.
NAF.9184, p.411