Onguent pour la brûlure, ou le Secret pour empêcher les Jésuites de brûler les livres
Onguent pour la brûlure, ou Le Secret pour empêcher les Jésuites de brûler les livres.
À M. M. M. M.
Esprit, le plus fin des esprits,
Qui surprend et n’est point surpris,
Ne pourrais-je point vous surprendre
Quand je vous aurai fait entendre
Que ces ouvrages si chrétiens
Et qui n’étaient point pharisiens,
Viennent de souffrir un martyre
Dont la vertu même soupire
Dans cette place où les bourreaux
Plantent leurs infâmes poteaux.
Ces livres qu’il fallait apprendre
Ont été tous réduits en cendre1 .
Mais leur supplice est glorieux
Et leur cendre va jusqu’aux cieux.
Des cruautés si tyranniques
Les rendent presque canoniques,
Chacun d’eux étant réputé
Pour un martyr de vérité
Et la dévotion publique
Les gardent comme une relique.
J’ai promis vous les envoyer
Et je ne puis pas l’oublier.
Mais si je manque à ma promesse,
Ne m’accusez point de paresse,
Quand on promet trop promptement
C’est qu’on aime trop ardemment.
Mon amitié tendre et sensible
Ne se croyait rien d’impossible
Mais depuis cet embrasement
Elle cherche inutilement.
C’est pourquoi j’ai fait un dictame
Qui puisse éteindre cette flamme,
Un remède victorieux
Qui jette de l’eau sur ces feux
Et pour vous parler sans figure,
C’est de l’onguent pour la brûlure.
Ce remède étant préparé
Produit un effet assuré
Et sans doute on ne peut rien faire
Qui puisse être plus nécessaire
Car enfin les Pères héros
Étant pleins de feu jusqu’aux os
Et le vomissant par la bouche
Brûleront tout ce qui les touche
Et vont déjà sonner partout
Que l’on n’est pas encore au bout
Qu’il faut se donner patience,
Qu’on n’a pas fait quand on commence
Que quand les canes vont aux champs
La première va devant
Et que ces livres de mérite
Traîneront une belle suite.
Vous jugerez s’ils sont menteurs2
Mais ils disent que les auteurs
En bonne forme de justice
Sont dignes d’un très grand supplice
Et que les feux sont trop humains
Pour quiconque a fait les desseins.
Tout beau, tout beau, Pères jésuites,
Vos actions vont un peu vite,
Votre zèle est trop emporté,
Vous avez trop de charité
De vouloir donner le martyre
À ce cœur que le Ciel inspire,
Et c’est assez pour cet auteur
Qu’il soit indigne confesseur.
On sait que ce qui vous anime
Est qu’il confesse votre crime
Et jamais sa confession
N’obtiendra d’absolution
Encore que votre complaisance
Fasse largesse d’indulgence
Et qu’elle en donne en un moment
Pour jusqu’au jour du Jugement.
Toutefois quand un catholique
Offense votre politique
Et qu’il découvre vos desseins
Il n’est pour lui ni Dieu ni saints.
Pécher contre la Compagnie
C’est faire une offense infinie,
c’est plus que violer l’autel,
c’est un affreux péché mortel
qui vous fait tous mourir de rage,
qui vous fait bondir le courage
et malgré votre esprit si beau
vous fait crever dans votre peau.
Aussi, pour en tirer vengeance,
Par une horrible violence
Vous brûlez contre l’équité
Tout ce qui dit la vérité.
Les plus miraculeux ouvrages
Et les plus innocentes pages
Par une réprobation
Qui précède toute action
Sont justement condamnées
Avant même que d’être nées
Et tout autant qu’on en fera
Tout autant l’on en brûlera.
C’est la sentence extravagante
Prononcée en la chambre ardente.
Dannat, plus brûlant qu’un tison
Et plus fort en bois qu’en raison
O l’agréable rhétorique !
O la merveilleuse logique !
Où l’on résout tout sans parler,
Où l’on ne fait rien que brûler.
Se peut-il rien de plus commode
Que cette nouvelle méthode
Qui pour décharger les esprits
Met dans le feu tous les écrits ?
Peut-on trouver quelque manière
Plus claire que cette lumière
Qui jette un éclat merveilleux
Et dans l’esprit et dans les yeux ?
Toutes les méthodes communes
Auraient été trop importunes.
L’esprit ne s’y reconnaît pas,
Il y faut aller pas à pas,
Bien prendre toutes les mesures,
Bien reconnaître les figures ;
Mais ici sans raisonnement
On résout tout en un moment
Car enfin c’est bien tout résoudre
Que de réduire tout en poudre
Et c’est la vraie invention
De sortir hors de question.
On n’en a point d’inquiétude,
Tout cela se fait sans étude
Et sans aposter tant d’ergots,
Il n’en coûte que des fagots.
Mais afin que le feu s’excite
Et que le bois brûle plus vite
Les Pères soufflent tour à tour,
Et par la ville, et dans la cour,
Et soufflant à perte d’haleine
Autant que peut souffrir leur haine,
On ne voit dans ce corps fumeux
Que souffleurs et que boutefeux.
On reconnaît même à leur mine
Qu’ils ont une flamme intestine ;
Leur visage maigre et pensif
Est tout plein d’un feu corrosif
Et ces Pères épouvantables
Étant aussi noirs que les Diables
Il semble que leur passion
Les ait réduits tout en charbon,
Mais c’est de ce charbon qui fume,
C’est de ce charbon qui s’allume
Et qui pétille en ce traité
Par tout le monde si vanté,
Où l’on marque en beaux caractères
Le premier siècle de ces Pères.
Ce livre3 n’a pas un feuillet
Qui ne soit plein d’un feu follet
Et l’on voit courir sur ses pages
De certaines flammes volages
Qui, faisant égarer l’auteur,
Donne bien à rire au lecteur
Là, par des lumières suprêmes
Ces Pères se plaignant eux-mêmes4
Prennent les traits et la couleur
D’une flamboyante valeur.
Pensez-vous que ce soient des hommes5
Comme ceux du siècle où nous sommes ?
Non, non, sont de grands champions,
Sont des aigles, sont des lions6 ,
Enfin sont tous de grosses bêtes
Qui se plaisent dans les tempêtes
Et vont s’égayer dans les airs
Entre la foudre et les éclairs.
Aussi leur vanité s’écrie7
Quelle fleur de chevalerie,
O grand Dieu, quels hommes choisis,
Quels protecteurs et quels appuis,
Quels anges, quels foudres de guerre
Pour défendre l’Église entière.
Voilà certes un bel air de cour,
Je veux le chanter à mon tour.
O plaisante bouffonnerie,
Quelle fleur de chevalerie,
Quels protecteurs et quels appuis,
O grand Dieu, quels hommes choisis,
Quels anges, quels foudres de guerre
Pour défendre l’Église entière.
Ces Pères sont tous des héros,
Tous d’intrépides généraux ;
Ils sont tous faits pour la conquête,
Ils sont tous nés le casque en tête8
Les bras armés et le cœur haut,
Tout prêts à monter à l’assaut.
Dans cette milice enflammée
Un seul homme vaut une armée9
Et met plus d’ennemis à bas
Que ne feraient vingt mille bras
O force, O valeur infinie !
O généreuse compagnie !
Vit-on jamais de Régiment
Qui combattit plus vaillamment ?
Voici Brisacier10 qui s’avance,
Ce matamore en éloquence,
Ce maître absolu du hasard,
Ce brave et ce nouveau César,
Qui fait d’illustres commentaires
Sur ce q’uil a fait dans ses guerres,
Parmi (dit ce père orgueilleux11 )
Tant de services périlleux
Que l’on m’a vu rendre à la France.
J’ai fait admirer ma vaillance,
Et l’on sait assez que la peur
N’a point commerce avec mon cœur12 ,
C’est une passion de femme
Qui n’approche point de mon âme
Et l’on a cru que dans l’emploi
La peur même aurait peur de moi.
Je vous presse en homme de guerre13 ,
Montrez ce que vous savez faire.
Je viens à l’assaut contre vous14 ,
Voyons qui portera les coups :
Sonne tambour, sonne trompette,
Déjà ce valeureux athlète
Par une salve d’arguments
A forcé les retranchements15 .
Ne regardons pas davantage
Cet invincible personnage.
Ces efforts trop prodigieux
Vous raviront l’âme et les yeux,
Et nous ne pourrons plus connaître
Cet astre qui vient de paraître,
C’est Darouy16 , cet éloquent,
Ce canonnier du Vatican,
Dont la main toujours flamboyante
Dans une thèse foudroyante
Lança tous les carreaux romains
Sur la tête des souverains
Et pensa par une surprise
Mettre en prison toute l’Église.
Il est grand mathématicien
Et peut être un peu magicien,
Car, à vrai dire, il fait des choses
Qui passent les métamorphoses
Et parlant Galimatias
Tire du sac plus qu’il n’y a.
Oui, ce génie astrologique
Du fond de l’art mathématique
Par une étrange invention
A tiré l’Inquisition.
O force, O science, O sagesse,
Ne faut-il pas que l’on confesse
Que ce grand Père Darouy
À fait une morale inouïe.
Mais Lemoine, cet esprit d’ange,
Est un homme bien plus étrange.
On a beau lire, on a beau voir,
On ne saurait le concevoir
Et quoique tout soit bien visible
On se demande : est-il possible,
Est-il possible, O justes cieux,
Qu’un homme étant religieux,
Coule dans les plus belles âmes
De si contagieuses flammes ?
Est-il possible qu’en un temps
Où la charge de soixante ans
Lui fait courber la tête en terre,
Il fasse une amoureuse guerre
Et que son cœur soit plein de feux
Quand la neige est sur ses cheveux ?
Mais on voit que sa flamme éclate
Dans cette belle ode incarnate17
Où le rouge est si bien vanté
Pour la couleur et la beauté.
Ce Père a dit à sa galante
Que sa rougeur est plus brillante
Que ces feux sacrés et divins
Qui rougissent les chérubins.
Il y contemple sa Delphine,
La prend pour une chérubine
Et ce galant des amadis
S’imagine être en paradis,
Mais sentant bien que mon génie
Ne saurait faire la copie
De ces ouvrages sans égal
Je l’apporte en original.
Les chérubins, ces glorieux,
Composés de têtes et de plumes
Que Dieu de son esprit allume
Et qu’il éclaire de ses yeux.
Ces illustres faces volantes
Sont toujours rouges et brûlantes
Soit du feu de Dieu, soit du leur
Et dans leurs flammes mutuelles
Font du mouvement de leurs ailes
Un éventail à leur chaleur.
Mais la rougeur éclate en toi,
Delphine, ave plus d’avantage
Quand l’honneur est sur ton visage,
Vêtu de pourpre comme un roi.
Ce père, dans ce beau langage,
Renonce au céleste héritage
Et ne veut point aller aux cieux,
Ni voir les esprits glorieux.
A son avis les demoiselles
Sont sans comparaison plus belles
Et leur joli corps si bien pris,
Valent mieux que de purs esprits.
Ainsi tous ses ouvrages brillent
Il n’a que des vers qui pétillent
Et ne trace tous ses discours
Qu’avec les flèches des amours.
Il flatte, il muguette, il cajole18 ,
Affecte une vaine parole,
Parle de toutes les couleurs,
Fait des bouquets de mille fleurs
Et veut bien se donner la peine
D’accommoder une sirène,
De lui mettre sa chaîne d’or,
Sa coiffe et son apretador,
Après que, sur le bord de l’onde,
Il a peigné sa tresse blonde.
Vîtes-vous jamais rien de tel,
De si beau, de si naturel,
Et ne faut-il pas que l’Orphée
Qui chante ce galant trophée
Et qui trouve ces doux accords
Ait le démon des vers au corps.
Aussi ce poète19 par nature,
Cet artisan de l’imposture,
Nous assure que la belle eau
De cet agréable ruisseau
Sr le bord duquel il compose
Quelque douce métamorphose
Est si propice à faire des vers
Par le bruit de ses doux concerts
Que quand cette eau qui va si vite
Serait changée en eau bénite,
Retenant ses premiers appas,
Elle ne détournerait pas.
Le démon de la poésie
Dont son âme est toute saisie
Et qui l’a si fortement pris
Que c’est l’esprit de son esprit.
Cependant ces nouveaux apôtres
Veulent qu’on les compare aux autres,
Mais jugez par cette action
Si c’est la même mission.
Paul20 demandait dans ses prières
D’être anathème pour ses frères,
Et Lemoine, plein de douceurs,
Est anathème pour ses sœurs.
Pour plaire à quelques précieuses,
Pour cajoler des cajoleuses,
Ce fin galant, ce bel esprit,
Veut bien rompre avec Jésus-Christ.
Par une agréable méthode
Il fait des vertus à la mode
Une dévotion sans fiel
Et toute de sucre et de miel.
Il plante de longues allées
De fleurs, de jasmin étoilées
Et les gens surpris tout à coup
Trouvent le paradis au bout.
Vous trompez le monde, esprit traître,
Ce n’est qu’un paradis terrestre
Où les fleurs cachent un serpent
Plus cruel que celui d’Adam.
Votre dévotion aisée21
Est l’effort d’une âme embrasée
Qui tâche à trouver quelque tour
Pour canoniser son amour
Ainsi dans votre grand collège
Vos Pères faits au sacrilège
Ont mis Cupidon sur l’autel
À la place de l’Immortel.
Dans leur énigme épouvantable
Tous les dieux de l’ancienne fable
Folâtraient sans habillement
À l’ombre du Saint-Sacrement.
Jupiter, le maître des nues
Avait les cuisses toutes nues,
Et l’on aurait franchement dit
Qu’il venait de sortir du lit.
Junon, cette déesse alerte
Était librement découverte
Et montrait de certains appas
Que la pudeur ne nomme pas.
Au côté droit de cette belle
Le dieu Momus, aussi nu qu’elle
Lui jetait un regard brillant
Et cajolait tout en raillant.
Cependant Saturne le père
Ayant une faux plus légère
Et rajeuni de la moitié
Lui coupait l’herbe sous le pied.
Parmi ces plaisantes postures
Et ces chatouilleuses figures
Cupidon, ce petit vilain,
Était aussi nu que la main,
Impudent comme un petit singe,
Sans habillement et sans linge.
Or cet amour trop indiscret
N’avait rien du tout de secret
Voilà cette adorable image
À laquelle on rendit hommage
Et que l’on mit publiquement
Plus haut que le Saint-Sacrement.
Voilà cet indigne mystère
Qu’ils placent dans le sanctuaire,
Voilà ces chimériques dieux,
Dont ils sont les religieux.
Pour ces faux dieux, auteurs des crimes
Ils prennent de jeunes victimes
Dont le tendre tempérament
Peut s’enflammer en un moment.
Ces enfants qu’on leur abandonne
Et dans qui tout le sang bouillonne,
C’est ce que leurs vœux criminels
Destinés à ce profane autel
On appelle à ce sacrifice
Les ministres de la justice
Et pour en augmenter l’honneur
On choisit le jour du Seigneur22 .
Au lieu des célestes louanges
Qui font tout l’entretien des anges,
On murmure un certain concert
Que l’on répète dans l’enfer.
C’était assez, pères lubriques,
Que dans ces actions publiques
Vous fussiez dévots de Junon
Et grands prêtres de Cupidon,
Fallait-il que votre injustice
Allant encore de vice en vice
En brûlant le juste et le saint
Fit un sacrifice à Vulcain !
Je laisse à tant de saintes âmes
À juger quelles sont ces flammes
Et crois que, tout bien consulté,
C’est l’Envie et l’Impureté.
Mais un autre feu qui se glisse,
C’est le brasier de l’avarice
Et tous les membres de ce corps
Sont agités par ses efforts.
Cette flamme noire et mortelle
Est contraire à la naturelle.
Celle-ci monte incessamment
Mais l’autre coule obliquement
Et suivant qu’elle trouve à prendre
Elle sait monter ou descendre.
Ces directeurs trop obligeants23
Afin d’amorcer plus de gens
Font souvent de lâches descentes
Jusqu’aux pieds de leurs pénitentes
Et font pour elles tant de pas
Qu’ils s’en vont ensemble là-bas.
Ils ont de nouvelles maximes
Faites pour colorer les crimes
Accordant la religion
Avec l’inclination.
Suivant leurs maximes nouvelles
Les routes des cieux sont si belles
Et le temps si divertissant
Qu’on y peut aller en dansant
En faisant comme les étoiles
Qui, perçant les plus sombres voiles,
Et brillant d’un feu sans égal
Sont toutes les nuits dans le bal.
Il importe peu d’être sage24
Pour prétendre au divin partage,
On entre en paradis tout droit
Pourvu qu’on ait l’esprit adroit.
Quand on sait la cérémonie
On ne fait point de simonie,
Tout s’accommode justement
Par le moyen d’un compliment,
Et Bauny maître en l’art de plaire
Apprend la façon de le faire.
Ce marchand tout spirituel
Qui fait un étal de l’autel
Vous enseignera l’artifice
De trafiquer en bénéfice,
Et vous verrez que cet auteur
Est bien digne d’être facteur.
Mais c’est au fond de l’Amérique
Qu’ils tiennent leur grande boutique,
Qu’ils font des marchés de hasard
Avec le tiers et le quart.
La règle de la Compagnie
En ce pays est bien suivie,
Et pour conquêter de l’argent
Partout ils mettent voile au vent.
Mais parmi ces flammes cruelles,
Parmi ces flammes criminelles,
Parmi ces feux d’impureté
Et ces états de vanité,
Parmi ces foudres de vengeance
Et ces éclairs d’extravagance,
Ces gens n’ont pas la moindre ardeur
Du chaste feu de la pudeur.
Soit qu’ils mentent, soit qu’ils trahissent,
On ne voit jamais qu’ils rougissent,
Et ces Pères trop glorieux
Font rougir les autres pour eux.
J’aurais bien voulu pouvoir taire
Tous ces maux qu’ils ont osé faire,
Mais cette longue vérité
Était de la nécessité
Pour bien connaître la nature
De mon onguent pour la brûlure,
Par l’axiome général
Quand on veut bien guérir un mal
Il faut d’abord sur toutes choses
En bien reconnaître les causes.
C’est pourquoi je devais parler
De ces gens qui font tout brûler
Et par la même conséquence
Je dois encore en diligence
Rechercher ce que leur fureur
Entend sous cette vaine erreur
Qu’ils condamnent le calvinisme
et qu’ils nomment le jansénisme,
Car enfin c’est sous ce faux nom
Que l’on jette au feu la raison.
La grande bande des molinistes
Ne parle que des jansénistes,
Et depuis plus de quatorze ans
On épouvante les enfants,
Leur faisant dire au catéchisme :
Dieu nous garde du jansénisme.
C’est un monstre que Lucifer
À vomi du creux de l’enfer.
Un de ces Pères, plein de flamme,
Ayant longtemps appris sa gamme
La vint chanter en un sermon,
Criant à force de poumon :
Le jansénisme est dans le monde
Comme une hydre en poison féconde
Qui d’une goutte de son sang,
Fait naître un nouveau serpent
Et qui n’eût point été vaincue
Sans Hercule et sans sa massue.
Certes cette comparaison
S’ajuste fort à la raison,
Car enfin cet hydre effroyable
Et ce jansénisme exécrable
Ont beaucoup de conformité,
Et tous deux n’ont jamais été,
Tous deux ont cela de semblable
Qu’ils sont célèbres dans la fable
Et que les Pères fabuleux
Parlent fort souvent de tous deux
Dont ce jansénisme indicible
Au petit peuple si terrible
N’est qu’un spectre faible et nouveau
Formé dans le creux du cerveau
Donc cette hérésie étonnante
N’est qu’une parole sonnante,
Un terme purement vocal
Qui n’a rien du tout de mental
Que s’il en avait quelque chose
Depuis le temps qu’on le propose
Et qu’on cherche de tout côté
On aurait eu la vérité.
Les évêques dépositaires
Des sacrements et des mystères
Nous auraient sans doute éclaircis
Du mystère qu’on fait ici,
Mais puisque dans leurs assemblées
Trois ou quatre fois redoublées
Leur admirable jugement
Se termine au mot seulement
Il faut tenir pour authentique
Que ce jansénisme panique
Que l’on faisait si dangereux
N’est qu’une voix qui sonne creux,
Une question de grammaire
Qui ne vaut pas qu’on délibère
Enfin une erreur en ius
Qu’on appelle jansénius.
Mais si ce nom que chacun nomme
Et qu’on a tant maudit à Rome,
N’est point borné par un objet
Ni resserré dans un sujet,
Sachez que c’est un artifice
De ces professeurs en malice,
Et que par un dessein caché
Ils ont finement détaché
Afin que leur esprit l’applique
Quand le voudra la politique,
Perdant sous ce nom malheureux
Quiconque parlera contre eux.
Ces esprits tous pleins de bourrasques
Font de ce nom comme d’un masque
Ils en déguisent l’équité,
Ils en morguent la vérité,
Ils en font une momerie,
Un faux jeu de bouffonnerie,
Où comme tout Paris connaît,
Ils se sont servis de cornets.
Cornet25 le malheureux organe
De cette bande si profane,
Fut pris pour l’exécution
De cette horrible invention.
Cet artisan mélancolique,
Au fond de sa noire boutique,
Forgea cinq dogmes principaux
Qui sont cinq crimes capitaux.
Ces propositions tournées
Exprès pour être condamnées
Avaient toute la fausseté
Qui peut porter Sa Sainteté
À lancer du haut de sa chaire
Tous les foudres de sa colère
Et l’on ne doit point s’étonner
Si d’abord on ouït tonner
Et si, sans être examinées,
Elles ont été condamnées.
Mais certes les plus grands esprits
Ne sauraient être trop surpris
Qu’un prélat à qui l’on impose
Et qui ne fut point dans la cause
Au bout de cet événement
Se trouve dans le jugement
Et qu’une trop prompte sentence
Dise anathème à ce qu’il pense
Sans même qu’elle ait prononcé
Ce que ce prélat a pensé.
Alexandre par ses censures
Condamne les cinq impostures
Comme une œuvre d’iniquité,
D’erreur, de témérité,
Et de plus, ce pontife insiste
Que c’est dans le sens janséniste ;
Mais ce grand vicaire de Christ
Touchant ce sens n’a rien écrit,
Sachant bien que dans cette affaire
Jésus-Christ n’a point de vicaire
Et que pour voir au fond du cœur
Il faut en être créateur.
Aussi, par un art fort commode,
Chacun fait un sens à sa mode,
Et pour donner un plus grand choix
On en a fait sept à la fois,
Ce qui fit dire à quelques bêtes
Que c’était le monstre à sept têtes,
Dont on voit l’horrible crayon
Dans une sainte vision26 .
D’autres personnes scrupuleuses,
Après mille opinions creuses,
Demandaient presqu’à tous passants
Quel était donc ce mauvais sens,
En voyant qu’en cette matière
Chacun parlait à sa manière.
Ces dévots ont cru bonnement
Qu’on leur cachait pieusement
Et que ce sens illégitime
Était ce détestable crime,
Ce crime qu’on ose exprimer
Et que Paul défend de nommer27 .
Mais s’il faut que l’on s’en rapporte
À cette peinture si forte
Qu’en a fait la Société
Dans son almanach28 tant vanté,
On verra dans cette figure
Où l’art fait honte à la nature,
Que ce jansénisme embrouillant
Est un songe fait en veillant,
Cette figure vagabonde
Qui longtemps a couru le monde
Est un désordre du cerveau,
Un chaos horrible et nouveau,
Et semblable en beaucoup de choses
Au chaos des métamorphoses.
On y voit un prélat dépeint
Avec son habit le plus saint,
Cette robe qu’il avait mise
Au jour qu’il épousa l’Église,
Et ce prélat presque rampant
A les ailes d’un vieux serpent.
C’est ainsi que le moliniste
A dépeint le sens janséniste.
Mais pourrait-il dépeindre mieux
Un spectre superstitieux ?
Et les hommes ont-ils des ailes
Autre part qu’aux faibles cervelles ?
Donc, à le considérer bien,
Ce sens est un peu plus que rien,
Ce jansénisme est un prétexte,
Une glose sans aucun texte,
Pour entretenir le bureau,
Étant de même qu’un zéro
Qui ne valant rien de lui-même
Ajoute une valeur extrême.
Car enfin c’est par ce faux sens
Que les Pères sont toujours puissants
Et s’il n’étaient des jansénistes,
Ce serait fait des molinistes.
Déjà tous ces soldats romains
Seraient tombés sous leurs desseins,
Mais quand des Français intrépides
Battent ces troupes parricides,
Quand ils sapent leurs fondements
Et forcent leurs retranchements,
Ces pernicieux dogmatiques
N’ont qu’à crier aux jansénistes
Et d’abord ce nom malheureux
Amasse tant de gens pour eux
Qu’il faut enfin que la justice
Laisse triompher l’artifice.
Le bruit de cet étrange nom
Fait plus d’effet que le canon
Et cet horrible cri de guerre,
Plus étonnant que le tonnerre,
Peut faire par un coup fatal
Un embrasement général
Si l’on ne trouve en la nature
Quelque remède à la brûlure.
Mais grâces aux cieux, j’en ai du bon
Et qui ne craint point le charbon ;
On peut suivre cette ordonnance,
Elle vient de l’expérience
Et voici tout, de point en point,
Ce qu’il faut et qu’il ne faut point.
Il faut pour première maxime
Prendre l’esprit le plus sublime
De ces feuillets savants et saints
Que l’on appelle les Desseins,
Il faut les passer sous silence
Ou bien, sachant ce qu’ils ont dit,
Y faire un ample contredit,
Car en disant la même chose
Au même danger on s’expose,
Et l’on sera brûlé comme eux
Par l’ordre des Pères fumeux.
Il faut donc redoubler son zèle,
Avoir cette pièce nouvelle,
En prendre le sens et le tour,
Savoir parfaitement le pour,
Afin que si l’on s’y rencontre
On dise assurément le contre.
Ce livre d’une fermeté
Naturelle à la vérité,
Ne sachant point faire la mine
Assure que la foi divine
À reçu de Dieu seulement
Ce qu’elle croit divinement
Et que tout ce qu’invente l’homme,
Fût-il de Paris ou de Rome
À l’esprit ne fait point de loi
Et n’en peut exiger la foi,
Cette foi n’est pas une [ill.]
Mais un divin droit de réserve
Qui n’est dû qu’à l’autorité
De la première vérité,
Et prétendre à ce droit suprême
C’est entreprendre sur Dieu même,
Car enfin tout autre qu’un Dieu
Dans cet endroit n’a point de lieu
Et ce serait un sacrilège
Pour qui Rome est sans privilège.
Les droits de Dieu sont très constants,
Ils ne relèvent point du temps
Et ces droits toujours adorables
En tout temps sont inviolables.
Ces droits pourtant sont violés
Quand sur des faits non révélés
Une téméraire puissance
Exige une ferme créance
Et veut que de bouche et de cœur
On proteste contre un auteur
À cause que dans son ouvrage
À quelques gens il fait ombrage.
Mais cette façon de parler
Est un moyen qui fait brûler.
Les feuilles que l’on a brûlées
De ce même air étaient stylées
Et leur mal, tout bien consulté,
C’est d’avoir dit la vérité.
Donc un remède salutaire
C’est de dire tout le contraire,
D’avoir un esprit complaisant
Et qui s’accommode au présent.
Il fait signer sur toutes choses
Ce que le Pape nous propose
Sans examiner s’il l’a dit,
Ou de sa chaire29 ou de son lit.
Cette disparité subtile
Est une finesse inutile,
Une vaine distinction
De nouvelle création
Que l’on ne voit point dans les Pères
Et qui vient de textes légers.
Enfin pour ne point s’égarer
Il ne faut point délibérer
Et toujours être, quoi qu’on die,
De l’avis de la Compagnie.
Les foudres du haut Vatican
Ne tombent jamais dans le camp,
Et c’est la milice romaine
Qui va comme Rome la mène
Et qui fait au Pape un serment30
De l’obéir aveuglément.
Cette prodigieuse armée
Du faste de Rome animée,
S’avançant d’un pas sans pareil,
Voit plus que ne voit le soleil
Et se vante que c’est par elle
Que l’Église est universelle.
Il ne sera point contesté
Que cette humble Société,
Qui n’a jamais eu de seconde
Ne s’étende par tout le monde,
Dans le fond du Pérou pour l’or,
Du Canada pour le castor,
Dont l’Inde et dans la Cochinchine
Pour du bois et de la racine,
Enfin, de l’un à l’autre bout,
Pour faire de l’argent de tout.
Avec l’appui de cette bande
Il ne faut pas qu’on appréhende,
On est assuré du salut
Et l’on ne manque point ce but.
Elle est plus sûre que la Bible
Et plus que le Pape infaillible,
Puisque c’est son autorité
Qui fait l’infaillibilité31 .
Le symbole de ces apôtres
Ajoute cet article aux autres,
Corrigeant par un nouveau sens
L’ignorance des premiers temps
Où la qualité d’infaillible
Ne fut jamais intelligible.
Mais enfin la Société,
Cette source de vérité,
Avec ses divines lumières
Nous a dessillé les paupières
Et par des merveilleux appas
Veut faire voir ce qui n’est pas32 .
Croyons pourtant sans résistance
Tout ce que son caprice pense,
Et, qu’il soit mal ou qu’il soit bien,
Croyons tout, n’examinons rien.
Ces Pères sont dans une estime
Qui peut justifier le crime ;
Et s’il arrivait qu’un d’entre eux
Eût commis quelque crime affreux,
On croirait le crime équitable
Plutôt que le Père coupable.
Puis donc qu’il est avantageux
De faire le crime avec eux,
Il faut d’abord, sans qu’on insiste,
Condamner le sens janséniste
Et ne point craindre une action
Dont les Pères sont caution.
La plupart des prélats de France
Ne prenant point d’autre assurance,
Ont mis leur autorité
Aux soins de la Société,
Et dans le dessein de lui plaire,
Ont fait ce fameux Formulaire
Qui veut que de bouche et de cœur
On prononce contre un auteur.
Ils ont témoigné tant de zèle
Sur cette question nouvelle
Qu’enfin, pour en venir à bout
Ces prélats abandonnent tout,
Jusqu’à rompre avec violence
Les règles de la résidence.
Mais puisque dans ce grand dessein
Ils ne veulent qu’un coup de main,
Une signature sans peine,
Où la main doit être certaine
Étant contre un évêque mort33
Qui ne peut plus faire de tort.
Il faut se mettre sur la liste,
Condamner le sens janséniste,
Dire tout ce que l’on dira,
Faire tout ce que l’on fera.
C’est l’ordonnance la plus sûre
Pour se garder de la brûlure.
Mais ces amis, quoiqu’obligeants,
Déplairont à certaines gens,
Qui sont fort mauvais politiques
Pour être trop bons catholiques,
Ne considérant pas assez
Que l’on n’est plus au temps passé
Et que suivant l’ordre du sage
Chaque chose au monde a son âge.
Mais (dirent-ils) la vérité
Étant de toute éternité,
N’est point sujette aux destinées
Qui déterminent les années
Et c’est un esprit immortel
Qui n’a qu’un jour perpétuel.
Sur cette vérité suprême
Que Dieu nous enseigne lui-même,
Il faut dans un esprit pieux
Régler sa créance et ses vœux,
De cette vérité fidèle
Il faut se faire un saint modèle
Et n’est-ce point les partisans
De tant de prélats courtisans,
Qui ne portent dans l’assemblée
Qu’une tête toujours troublée
De l’esprit follet de la cour
Qu’ils vont consulter nuit et jour,
Réformant toutes leurs censures
Suivant les cours des aventures
Ces évêques sans charité,
Ces époux sans fidélité,
Quittent leurs épouses en colère
Pour venir outrager leur frère,
Outrageant même indignement
Ceux qui se vengent saintement
Et voulant que leur injustice
Ait tout le monde pour complice
Afin qu’il ne se trouve point
Ni de juges, ni de témoins.
Mais malgré toute leur pratique
Dieu jugera leur politique
Et tant d’évêques généreux
Un jour témoigneront contre eux,
Ces témoins sont irréprochables,
Sont des pasteurs infatigables,
Veillant toujours sur leurs troupeaux
Comme des célestes flambeaux,
Répandant toujours leur lumière,
Ne quittant jamais leur carrière
Et ne prenant point le détour
Pour venir s’égayer en cour
Leur charité toujours ardente,
Leur flamme toujours agissante
Ne peut trouver de temps perdu
Pour penser au fait prétendu.
Ce fait est seulement l’affaire
Des prélats qui n’ont rien à faire,
L’inquiétude et le grand soin
De ceux qui ne s’en donnent point
Et qui, dans leur humeur hautaine,
Croiront avoir pris trop de peine
De nommer ce fait important
Sur qui l’on délibère tant.
C’est bien en vain qu’on leur demande
Il ne faut point qu’on y prétende
On ne saura rien de ce fait
Sinon que c’est un grand secret ;
Oui, c’est un secret d’importance
Pour autoriser leur absence
Et pour importuner le Roi
Sous ombre d’un je ne sais quoi.
Quelle extravagante entreprise !
Quelle honte à toute l’Église !
Et quels ressentiments, O Cieux,
Pour tant d’évêques si pieux
Lorsqu’ils connaissent que leurs frères
Avilissent leurs caractères
Sur une vaine question,
Sur une imagination,
Et se consument d’un faux zèle
Pour une pure bagatelle.
Dans ce malheur, ces grands prélats
Pleurent les maux qu’ils ne font pas ;
Mais un jour ces âmes si saintes,
Ayant poussé de longues plaintes,
Finiront leurs gémissements
Et donneront leurs jugements
Quand Dieu sur un trône de flammes
Viendra juger toutes les âmes
Et fera voir publiquement
Ce que l’on cache injustement.
Mais avant ce jour de colère,
La postérité plus sincère
Sur tout ce fait prononcera
Et sans doute qu’elle en rira,
Examinant avec justice
Par quel injurieux caprice
On prend plaisir à tout cacher
Afin de faire tout chercher.
Elle sera contrainte à rire
Ne pouvant s’empêcher de dire
Qu’on faisait jouer les prélats
Au cache-cache mitoulats.
L’Église, au fort de sa prière,
S’arme d’une sainte colère
Et lance les foudres divins
Sur les téméraires devins.
Mais malgré cette loi divine
Ces prélats veulent qu’on devine
Et dans leur célèbre attention
Disent tous qu’ils ne diront rien ;
Que dans ce dangereux mystère
La politique est de se taire,
Que cependant l’on signera
Puis arrive ce que pourra.
Ainsi les évêques s’énoncent,
Ces divins oracles prononcent
Et leurs admirables desseins
Sortant du profond de leurs seins
Renouvellent leur Formulaire
Par une lettre circulaire,
Laquelle, à parler franchement,
Est circulaire doublement.
Cette machine d’éloquence
Qui ne recule et qui n’avance
Est un grand cercle de discours
Qui tourne et retourne toujours
Et qui veut toujours que l’on signe
Sans permettre qu’on examine.
Enfin ces évêques de Cour
Pour l’Église n’ont point d’amour
Et n’en craignent point le divorce,
Veulent qu’on croie à toute force.
Cependant dans la sainte loi
L’amour seul enseigne la foi,
Et la foi la plus éclatante
Sans charité n’est pas vivante.
Pourquoi donc cette cruauté :
Prêcher la foi sans charité ?
Pourquoi, prélats inexorables,
Êtes-vous si peu charitables
Que de refuser à nos vœux
De clairs et de justes aveux
Sur ce traité de foi divine
Qu’il faut que tout le monde signe ?
Tout cela c’est la vérité,
Mais ce n’est pas la sûreté.
Un raisonnement véritable
Dans ce temps est un cas brûlable
Et quoiqu’il s’accommode au sens,
Ne s’accommodant pas au temps
Il ne faut jamais en attendre
Qu’une triste et funeste cendre.
Il faut donc être un peu flatteur,
Même au hasard d’être menteur,
N’avoir pas un esprit si ferme,
Jamais ne se donner du terme,
Être du parti le plus fort,
Toujours se joindre avec le sort
Afin que, suivant la rencontre,
On fasse le pour et le contre.
C’est se mettre en captivité
Que de servir la vérité
Et par une ruse nouvelle
Il vaut bien mieux se servir d’elle,
La dissimuler, la fléchir,
La détourner et la gauchir,
En faire des tours de souplesse
Et n’être point tout d’une pièce
Comme ces gens d’un cœur entier
Qui rompraient plutôt que plier,
Et qui, quoi que l’on ait pu faire,
N’ont point signé le Formulaire,
Résistant avec plus d’effort
Que si c’était signer leur mort.
Que cet esprit si catholique
Fera rire la politique ?
Rien ne peut mieux la divertir
Qu’un homme qui craint de mentir
Et dont l’esprit est assez bête
Pour s’exposer à la tempête
Et pour chercher la vérité
Lorsque l’orage est excité.
Après tout, serait-ce être sage
Si dans le malheur d’un naufrage
On aimait mieux mourir dans l’eau
Et descendre vif au tombeau
Que prendre une planche flottante
Et que la fortune présente.
Il faut en dire autant des feux,
Et puisqu’ils sont si dangereux
Et que la seule signature
Est un remède à leur brûlure,
Ne serait-ce pas s’y jeter
Et soi-même les irriter
Que d’avoir encore du scrupule
À souscrire cette formule ;
Que s’il fallait la commenter
Encore pourrait-on résister.
Car après tout un commentaire
Coûterait quelque peine à faire
Mais enfin puisque tout y est,
Puisqu’il n’y manque pas un trait,
Puisque d’une façon galante
Cette formule accommodante
Fut faite avec tant d’examen
Qu’il ne reste qu’à dire Amen ;
Puisque, pour cette signature
Il ne faut qu’un mot d’écriture,
Puisqu’enfin dans cette saison,
Bien loin d’exiger la raison
L’assemblée en donne dispense
Par une secrète prudence,
Et même ordonnant de signer
Ne permet pas de raisonner.
Pourquoi se rendre difficile
À mettre deux mots d’apostille
Que l’on peut écrire aisément
Sans esprit et sans jugement ?
Mais (dit-on) c’est en cela même
Que la foudre serait extrême.
Ce n’est que la plume d’oison
Qui peut écrire sans raison,
Et même quand la signature
Serait bonne de sa nature,
La faire en examinant rien,
Ce serait mal faire le bien.
Faisons tout avec connaissance,
De crainte que dans l’ignorance
Une aveugle témérité
Ne trahisse la vérité.
Car enfin la vérité même
Souffrit la mort et le blasphème
Parce que ceux qui l’accusaient
Ne savaient pas ce qu’ils faisaient.
L’ignorance est trop infidèle,
Elle est aveugle et criminelle,
Elle va toujours dans la nuit.
Elle perd quiconque la suit
Et tant d’actions imprudentes,
Tant de passions violentes,
Tant de détours et de faux pas
Viennent de ce qu’on ne sait pas ;
Si l’on sait quels sont les charmes
Dont la vérité fait ses armes,
Tous les cœurs et tous les esprits
Seraient heureusement épris,
Et la reconnaissance si belle
N’aurait plus des vœux que pour elle.
Mais par un voile injurieux
L’ignorance empêche nos yeux
De voir cette beauté suprême,
Le divin portrait de Dieu même.
Peut-on donc avec jugement
La suivre en son aveuglement ?
Surtout lorsqu’avec évidence
On voit qu’on est dans l’ignorance
Et que tout ce qu’on sait d’un point
Est qu’on sait qu’on ne le sait point ?
Est-il homme au monde assez bête
Qui n’ait une réponse prête
Et ne décide absolument
Qu’il faut de l’éclaircissement ?
Donnez-en donc, Révérends Pères,
Donnez du jour à ces matières ;
Parlez, on vous écoutera,
Dites vrai, on s’étonnera
Et croyez, Pères molinistes,
Que les prétendus jansénistes
Sont trop savants dans leur devoir
Pour souscrire sans rien savoir,
Et quoi que vous en puissiez dire
Ce n’est pas leur façon d’écrire.
On voit assez par leurs écrits
Qui convainquent tous les esprits
Et par leur méthode si nette
Qu’ils n’écrivent pas aveuglette.
Cependant votre esprit guerrier34
Dans nos triomphes de papier
Les a dépeints comme profanes,
Leur donnant des oreilles d’ânes.
Mais certes vous les batteriez
Ou du moins les étrilleriez
S’ils avaient assez d’ignorance
Pour souscrire sans connaissance.
Non, non, ne le prétendez pas
Et gardez pour vous tous vos bâts.
À tout ce que l’on vient de dire,
Je dis qu’il n’est pas temps de rire,
Et qu’il faut songer seulement
À souscrire présentement.
C’est à quoi l’on se doit résoudre
Sous peine d’être mis en poudre.
C’est là la fin, c’est là le but :
Hors de cela point de salut.
Si la signature n’est mise,
On n’est point enfant de l’Église
Et l’on doit souscrire le fait
Sans savoir même ce que c’est.
Car c’est comme un nouveau baptême
Où l’on ne dit rien de soi-même.
Les Jésuites comme parrains
Expliqueront tous les desseins,
Feront si bien ce qu’il faut faire
Que même il n’est pas nécessaire
Dans une telle occasion
D’avoir l’usage de raison,
Et le meilleur ce serait d’être
Comme l’enfant qui vient de naître.
Ah ! dit le jansénisme adroit
Je pénètre au fond du secret
Je comprends bien qu’il faut tout taire
Afin que l’on puisse tout faire
Et ne doit point dire ce que c’est
Qu’après que l’on aura tout fait.
Mais quand ces misérables Pères
Auront accompli leurs mystères
Quand tout le monde aura signé
Sans que rien soit déterminé,
Ceux qui, trompés par la coutume,
Auront lâché ce trait de plume
Verront trop tard avec regret35
Sur qui sera tombé ce trait.
Ce Jansénius hérétique
Ne sera plus le chimérique,
Cet Augustin si déguisé
N’aura plus rien de supposé.
On reconnaîtra sans problème
Que c’est Augustin lui-même,
Et les Pères le prouveront
Contre ceux qui le nieront.
Il ne faut (diront-ils) que lire
Et l’on verra sans contredire
Qu’entre eux deux tout est si commun
Que leurs deux livres n’en font qu’un.
Lisez : sont les mêmes passages,
Les mêmes mots, les mêmes pages.
Jansenius, l’on le voit bien,
Est un pur augustinien ;
Comme aussi, quoique l’on insiste,
Augustin est franc janséniste ;
Et c’est pour le trancher tout net
Bonnet rouge et rouge bonnet.
Voilà comme leur perfidie
Dénouera cette comédie
Où leur esprit plus que lutin
Prétend jouer saint Augustin.
On verra ces gens de grimace
Faire une farce de la grâce
Comme ils ont fait en liberté
Un ballet36 de la vérité.
Ce fut en ces Pères coupables
Pour paraître plus véritables
Et montrer un cœur ingénu,
Mirent le crime tout à nu.
On a vu une troupe enflammée37 ,
De l’esprit de l’enfer animée,
Qui sortant des plus sombres lieux,
Tout d’un coup vinrent sauter aux yeux
Et par des efforts impudiques,
Des sauts frisés, des pas lubriques,
Firent un épouvantable ébat
Qu’on n’a jamais fait au sabbat.
Là le sorcier et la sorcière,
Tant du devant que du derrière,
Montraient d’horribles passions
Par d’affreuses convulsions,
Et déshonoraient la nature
Par une honteuse figure.
Dans leurs sauts doublés et triplés,
S’étant salement accouplés,
Ils se donnaient des embrassades
Aussi rudes que des ruades
Et dans ce funeste embarras
Faisaient l’amour à tour de bras.
De plus en plus croissaient les flammes,
Les hommes excitaient les femmes
Et tous ennemis du repos,
Pied contre pied, dos contre dos,
Paraissaient dans ces sales fêtes
Bien moins des hommes que des bêtes ;
Et l’on ne voyait rien d’humain
Sous ce masque indigne et vilain.
L’homme n’était plus connaissable
Sous cette image abominable
Et l’on ne voyait pas un trait
De cet adorable portrait
Par qui la bonté souveraine
S’est peinte en la nature humaine.
Ce n’était que feu, que fureur,
Que dérèglement et qu’horreur
Et dans ce malheureux orage
Une luxurieuse usage
Poussait ces horribles momons
À contrefaire les démons.
Là, se donnant mille tortures,
Ils péchaient en mille postures
Et faisaient dans ces faux appas
Autant de mines que de pas,
De haut en bas, à droite, à gauche,
Tout leur corps était en débauche
Et dans ces transports si brûlants,
Dans ces efforts si violents,
Ils faisaient tant de pirouettes,
Tant d’écarts, d’élans, de courbettes,
Et tant de sauts précipités
Qu’on eût dit qu’ils s’étaient frottés
De cette graisse ensorcelée
Qui donne une haute volée.
Car enfin ces sorciers volaient
Plutôt qu’ils ne cabriolaient.
Dans un mouvement de tonnerre
Ces danseurs ne touchaient pas terre
Et semblaient porter jusqu’aux cieux
Des combats si luxurieux.
Enfin ces monstres détestables
Et dans le crime insatiables,
Après tant d’efforts et de coups,
Étaient las et n’étaient pas saouls
Dans leurs détours et leurs entorses,
La rage leur donnant des forces,
Ils firent par un dernier coup
Tout ce qu’ils font autour du bouc.
Toutes les pratiques immondes
Qu’ils cachent dans les nuits profondes
Parurent dans le beau du jour
Au milieu d’une grande cour38 .
Toutes leurs œuvres de ténèbres
Furent des actions célèbres,
Tous leurs mystères criminels
Devinrent des jeux solennels
Et toutes les horreurs du crime
Sortant du profond de l’abîme
Forcèrent la terre et les cieux
À voir ce spectacle odieux.
Parlez, parricides des âmes !
Parlez, religieux infâmes !
Faites-vous donc profession
D’une insolente passion,
Forçant l’honnêteté publique
Par une action si lubrique ?
Parlez donc ! Vos arcs triomphants
N’étaient-ils si grands et si hauts
Et faits avec tant d’artifice
Que pour le triomphe du vice ?
Et tout ce palais enchanté
Était-ce pour l’impureté ?
Parlez encore, Pères infâmes,
N’aviez-vous invité les Dames
Qu’afin de les faire rougir
Par vos sales façons d’agir ?
Mes Pères, qu’avez-vous à dire
Et que préparez-vous d’écrire
Pour excuser une action
Pleine d’abomination ?
Ce n’est pas une promptitude,
C’est un emploi, c’est une étude,
C’est un conseil où le hasard
N’a point de lieu ni de part.
Ce ne sont pas de ces pensées
Qui viennent sans être forcées
Et dont les cœurs et les esprits
Se trouvent tout à coup surpris.
Vos fictions sont trop bizarres
Et vos sentiments sont si rares,
Que pour en rencontrer quelqu’un
Il faut sortir du sang commun,
Il faut aller prendre ces choses
Au-delà de toutes les causes,
Et ces fantasques faussetés
Comptent plus que des vérités.
Oui, toutes ces vaines idées
Dont vos âmes sont possédées
Ne sauraient venir que de loin,
La nature n’en donnant point,
Et comme jamais l’imposture
Ne se trouve dans la nature,
Il faut que par un art exprès
Vous ayez forgé ces faux traits.
Avouez-le, Révérends Pères,
Combien ces vilaines chimères
Vous ont-elles causé d’ennuis
Et donné de mauvaises nuits ?
Car encore que ces sots mensonges
Ne soient que d’impertinents songes,
Vous savez trop certainement
Que l’on ne les fait pas en dormant
Et si vous nous vouliez tout dire,
Vous nous confesseriez sans rire
Que ces sentiments vicieux
Portent leur supplice avec eux,
Que ces conceptions hideuses
Comme des couches monstrueuses
Donnent un tourment sans égal
Et ne produisent que du mal.
N’est-il pas vrai que cette danse
Vous a fait perdre contenance
Et que dans ce ballet gêné
La tête vous a bien tourné ?
O qu’une action si vilaine
Vous coûte de tant de peine !
Après tout, il faut l’avouer,
Car comment pourriez-vous nier
Que cette balade emportée
Ne fut pas longtemps concertée,
Puisqu’enfin c’était un concert
Qui rebattait la terre et l’air.
Vingt violons, tous de mesure,
Par le son marquaient la figure,
Et la figure et la façon,
Aussitôt répondait au son.
Tous vos danseurs et vos danseuses
Dans ces mascarades honteuses,
D’un sot geste et d’un pas brutal,
S’accordaient à faire le mal.
Leurs jambes tout à coup pressées
L’une dans l’autre étant passées,
Toutes dans un autre moment
S’écartaient excessivement
Et dans ces lascives cadences
Vous étiez les intelligences
Qui donnaient les branles à ces corps
Et qui réglaient tous leurs accords !
D’autres que vous dans cette affaire
Ne sauraient que dire et que faire.
On les verrait tous confondus
Et ce serait des gens perdus.
Mais vous avez une morale
Dont l’autorité sans égale
Par un détour d’intention
Ou par quelque restriction
S’en va faire un ouvrage insigne
De l’action la plus indigne,
Et souvent l’on est étonné
Qu’après qu’elle ait détourné
D’injuste devient légitime.
Les vertus renaissent du crime
Et l’on doit enfin couronner
Ce que l’on voulait condamner.
Cette morale à toute guise
Avec le monde sympathise
Et le dispensant du devoir,
Elle a tout ce qu’il faut avoir
Pour excuser votre magie,
Et sans nouvelle apologie,
L’ancienne39 que vous avez fait
Vous servira pour cet effet.
Elle permet d’être homicides,
Séducteurs, impurs et perfides
Pourvu qu’on ait l’invention
De diriger l’intention.
Vous direz donc avec instance
Que dans cette lubrique danse
Tout votre esprit était porté
À nous prêcher la pureté
Et que par une sainte adresse,
Par une pieuse finesse,
Vous avez découvert aux yeux
Le crime le plus odieux,
Afin qu’étant ou dans lui-même
Ou en eux une horreur extrême,
Rien n’étant plus ingénieux
Que corriger les vicieux,
Que de leur exposer le vice
Dans tous les traits de sa malice
Et c’est pourquoi fut inventé
Le Ballet de la vérité.
Maintenant Ferrier se fatigue
À composer une autre intrigue,
Et même en dit plus qu’il n’en sait
Pour brouiller le Droit et le Fait40 .
Il donne aux crieurs de gazettes
Trois ou quatre pages mal faites,
Et quand cinq ou six gazetiers
Ont crié par tous les quartiers,
Le Père se vante ou se pique
D’avoir pour eux la voix publique.
Laissons-le vanter à loisir
Puisqu’il prend tant de plaisir,
Qu’il poursuive toujours sa pointe,
Qu’il parle toujours avec feinte,
Qu’il chante gros, qu’il chante clair,
Rions de le voir qu’il bat l’air,
De voir qu’il file sa cervelle
Pour faire une ruse nouvelle
Et que tout ce qu’il fait de bruit
N’est pas plutôt fait que détruit.
Pour abuser l’esprit crédule
En composant il dissimule,
Et fait cent détours dangereux
Comme ce serpent malheureux
Qui, couvrant sa mortelle envie
Des beaux fruits de l’arbre de vie,
En tenant le mal bien caché
Fait choir Adam dans le péché.
Et puis quand sous belle apparence
Il eut séduit son innocence
Il fit voir à sa lâcheté
Une honteuse nudité.
Ferrier avec un stratagème41
En voudrait bien faire de même,
Mais cet incomparable auteur
Est si bien déclaré menteur
Dans le cours de sa conférence
Qu’il n’aura jamais de créance,
Et l’on ment inutilement
Quand l’on ment si publiquement.
On connaît trop bien la malice
De ce Père plein d’artifice.
On sait bien que ce faux prudent
Est une langue de serpent ;
Qu’en désavouant il avoue
Comme un serpent qui se renoue,
Et qu’au lieu de tout arrêter
Il ne fait que de serpenter.
Mais si dans le temps qu’il serpente
Sur une matière évidente
Il faisait tomber les esprits
Dans les détours de ses écrits,
S’il pouvait par de telles trames
Embarrasser toutes les âmes,
Lui-même après s’en moquerait
Et comme un serpent sifflerait.
Dans ce faux espoir il éclate42
Et dans ses écrits il se flatte
De ce que son impression
Se fait avec permission.
Il a liberté de tout dire
On ne peut l’empêcher d’écrire.
Mais lui-même empêche assez bien
Qu’on ne puisse le croire en vain.
Ainsi parle le Janséniste.
Mais c’est bien en vain qu’il insiste :
La conscience et la raison
Ne sont pas ici de saison
Où seulement la signature
Peut exempter de la brûlure.
On a déjà trop raisonné
(Dit le moliniste obstiné)
Tout est clair et on doit se rendre
Aux bulles du Pape Alexandre.
Sitôt qu’un Pape a défini
Tout, on conclut tout est fini.
Après cela tirez l’échelle
Et n’employez plus votre zèle
Qu’à toujours dire [ill.]
Et ne passez point celui-là43 .
Mais quoi, dit-on, la foi chrétienne
Sera donc pythagoricienne ?
Car c’est ainsi qu’on disputait
Du temps que Pythagore était.
Les disciples de ce vieux maître
Ne pouvant plus se reconnaître
Et demeurant court a quia
Répondaient un [ill.].
La Société fait de même,
Étant dans l’indigence extrême,
N’ayant pas une autorité,
Pas un trait de l’antiquité,
Par un concile, pas un Père,
Pas un raisonnement sincère
Elle n’en a [ill.]
C’est-à-dire non plus ultra.
Ce beau dictum, cette sentence
Est le précis de leur science.
Tous leurs livres sont en petit
Dans ces mots, le Pape l’a dit.
Les plus beaux effets de leurs plumes,
Leurs grands cahiers, leurs gros volumes,
Tous leurs écrits étudiés,
Sont ces deux mots amplifiés,
Et quand ces admirables pères
Veulent dépêcher les matières
Retranchant tout à propos
Une affaire est faite en deux mots.
Ils n’en ont pas dit davantage
Pour dissiper ce faux nuage
Que le jansénisme a jeté
Sur la plus claire vérité.
Et voici la réponse unique
De leur savante politique :
……… ce jansénisme empoisonné
……… c’est ce que Rome a condamné
……… et qui est ce qu’a condamné Rome
……… c’est ce que jansénisme on nomme
Voici la foi du charbonnier
Du premier point jusqu’au dernier,
Et sous cette foi ridicule
Du charbonnier et de sa mule,
On veut même que le docteur
Captive son âme et son cœur.
On veut que toutes les écoles
Jurent sur des âmes paroles,
Sur un jugement d’antéchrist,
Sur une lettre sans esprit44 ,
Sur une lettre corrompue,
Une fausse lettre qui tue
Et qui déchire l’unité
Par une horrible cruauté.
C’est ainsi qu’un Français fidèle
Suivant les efforts de son zèle
Défend chrétiennement sa foi
Et l’autorité de son Roi.
Mais quoi qu’il fasse, quoi qu’il dise,
Tant pour l’État que pour l’Église,
La signature seulement
Peut éteindre l’embrasement.
Il ferait donc mieux de se taire
Et de signer le Formulaire,
Témoignant par ce nouveau [Ill]
Qu’en effet le Pape est très saint,
Très haut, très incompréhensible
En un mot qu’il est infaillible.
C’est un point trop bien reconnu.
Partout cet article est tenu,
Sans restriction et sans modes ;
On le croit même aux antipodes
Où l’illustre Société
A prêché cette vérité.
Oui, la fameuse Compagnie
Témoigne une ardeur infinie
À faire qu’on ne doute point
De la vérité de ce point.
Cette vérité prétendue
Est obstinément défendue,
Par Santarel et Molina,
Vasquez, Azor, Mariana,
Suarez, Endemon, Valence,
Qui l’ont poussée à toute outrance,
Avec Gretzer, Osorius,
Bauny, Bellarmin, Lesius ;
Et de tous ceux que je vous nomme
Le moindre passe pour un grand homme
Car c’est par là qu’on s’agrandit
Et qu’on a chez eux du crédit.
C’est pourqui chacun s’évertue,
Chacun de sa part contribue
Et chacun prend dans son cerveau
De quoi former un dieu nouveau,
De quoi faire un homme infaillible,
À tous les autres si terrible
Qui réduise tout sous ses lois
Et soit ensuite le Roi des Rois.
Cette personne incomparable,
Étant un principe immuable,
Réglera tous les potentats
Et les mouvements des États
Son autorité sans seconde
Est la reine de tout le monde.
Les rois conduits par ses projets
Ne sont que ses premiers sujets
Et du couchant jusqu’à l’aurore
Il faut que la terre l’adore,
Il faut compter entre ses biens
Les sceptres des princes chrétiens,
Car comme l’Église est leur mère,
De même le Pape est leur père,
Et comme on n’en saurait douter
Un père peut déshériter,
Surtout quand ce père est de Rome.
Car enfin on sait qu’un saint homme
En vertu du vieux droit romain
Sur ses fils étant souverain
Et par la loi des Douze tables
Ses droits étaient incontestables.
Ici les Français alarmés
Et pour leur monarque animés,
Disent qu’une telle puissance
N’est qu’une odieuse arrogance
Et que c’est faussement qu’on croit
Qu’un Pape a ce funeste droit.
Mais en vain leur zèle s’allume
Car enfin en droit ou coutume
Déjà quatorze ou quinze fois
Le Pape a déposé des rois,
Jusque là que le Roi de France
Perd la Navarre à cette chance
Et la perd de telle façon
Que même il n’en a pas le nom.
Si l’on ne le croit pas, qu’on lise
Les nouveaux articles de Pise
Et l’on verra dans ce traité
Les bulles de Sa Sainteté
Où le Roi (grâce à la tiare)
N’est pas nommé Roi de Navarre.
Là, le Français tout en fureur
S’écrie : Grand Dieu, quelle horreur !
Le crie est jusqu’au sanctuaire.
Le tyran succède à saint Pierre
Et l’on donne à la vanité
La chaire de la vérité.
Quel désordre ! Quelle injustice !
Quelle abominable police !
Dieu ! Nous ne l’eussions jamais cru.
Mais l’apôtre l’a bien prévu
Et dans cette préconnaissance45
Qu’un jour Rome aurait l’insolence
De former des projets si vains,
Il en écrivit aux Romains,
Leur remontrant que le diadème
Ne valant que de Dieu même,
Le Roi n’ayant au-dessus d’eux
Que celui qui porte les cieux.
Voilà le style de l’apôtre
Mais Santarel écrit d’un autre
Et dit que par toutes les lois
Le Pape est le maître des rois,
Et qu’en sa qualité d’infaillible
Il ne trouve rien d’impossible.
S’il parle, dans le même instant,
La Société qui l’entend
Crie : O ciel, O terre ! O miracle !
Disant partout que c’est l’oracle,
Et certes dans le sens commun,
Je croirais bien que c’en est un.
Au moins ce qu’on en voit paraître
Est assez ambigu pour l’être,
Et l’on ne l’entend guère plus
Que ces vieux oracles reclus
Qui d’une caverne profonde
Ont longtemps abusé le monde,
Et dont l’esprit toujours douteux
Au lieu d’un sens en avait deux.
Il est des bulles politiques
Qui sont encore bien plus mystiques
Et dont les mots embarrassants
N’ont pas seulement pour deux sens.
N’en a-t-on pas vu de certaines
Enfermer des sens à douzaines,
Et le moindre théologien
N’a-t-il pas cru trouver le sien
Dans cette bulle qui fulmine
Contre un sens qu’il faut qu’on devine.
Après tout, un esprit bien sûr
N’affecterait point d’être obscur,
Car à quoi sert d’être infaillible
Si l’on n’est point intelligible ?
Et si le Pape l’eût été
Dans le temps qu’il fut consulté
Par les plus grands prélats de France,
Il eût parlé sans défiance
Mais il sentit, s’étant tâté,
Que son infaillibilité
N’était jamais en assurance
Qu’au milieu d’un profond silence.
Ainsi, pour ne se tromper pas
Il ne dit mot aux prélats.
Cependant la troupe romaine,
Toujours hardie et toujours vaine,
À tous moments nous étourdit
Par ces mots : Le Pape l’a dit.
Mais on sait qu’un Pape de Rome
Boit du vin tout comme un autre homme.
Et c’est-à-dire en bon françois
Qu’il se trompe quelquefois.
On sait que tout homme est fragile,
Que toute langue est fort mobile
Et que toute humaine action
Est bien sujette à caution.
Oui, répond la troupe coupable,
Cette sentence est véritable
À l’égard des gens du commun ;
Mais le Pape n’en est pas un
Et dans lui la vertu rassemble
Homme, Docteur et Pape ensemble.
Comme homme il peut être menteur ;
Il ment aussi comme docteur,
Mais quand il parle comme Pape,
Jamais rien de douteux n’échappe.
Tout ce qu’il prononce est certain
Et l’on peut en louer la main.
O Dieu, la savante réplique !
O Cieux, que le Pape est mystique !
Et que j’admire les beaux traits
Qui sortent de certain endroits :
Une tête sous trois couronnes !
Un homme seul en trois personnes !
Certes une telle trinité
Est une belle nouveauté
Et par un moyen si plausible
Tout chrétien devient infaillible.
Car enfin, tant qu’il fera bien
On dira qu’il fait en chrétien ;
Et s’il va contre l’Évangile
La réponse est toute facile :
On dira que dans ce faux pas
En chrétien il n’agissait pas.
Qui ne voit que ce beau problème
Tombe et se détruit de lui-même ?
Amat aussi veut que le Roi
Se soutienne par une loi,
Et que ce monarque invincible
Déclare le Pape infaillible
Afin qu’il puisse l’y porter.
Il tâche de l’épouvanter
Par ce fantôme ridicule
Que le Pape abat dans sa Bulle.
Mais certes un fantôme si vain
Ne peut alarmer qu’un Romain
Et pour ce monarque de France
Dont la glorieuse vaillance
À fini de plus grands projets,
Il faut de plus nobles objets.
Ne prétendez pas, Père injuste,
Que ce prince toujours auguste
Ayant couronné ses beaux faits
Par une si heureuse paix
Détruise cette paix publique
Dans un combat si chimérique
Et que même dans ce combat
Il ne soit qu’un simple soldat ;
Puisque ce serait votre haine
Qui servirait de capitaine.
C’est elle qui commanderait.
Sous elle le Roi marcherait
Et suivant cette [sic] criminelle
Ferait une guerre mortelle.
Non, non, sachez que ce grand roi
À trop de cœur et trop de foi
Pour défendre votre caprice
Contre l’honneur et la justice
Il n’a qu’un pouvoir innocent,
Comme celui du Tout-puissant
Qui peut nourrir toute la terre
Mais qui jamais ne peut malfaire.
Il laisse à la Société
L’injustice et la cruauté,
Voyant bien qu’étant toute vaine
Et moins chrétienne que romaine
Elle aime comme les Romains
À faire des coups inhumains,
À troubler toutes les provinces,
À violer les droits des princes,
Sapant les trônes les plus hauts
Pour dresser des arcs triomphaux.
Que plutôt, cabale perfide,
On vous dresse une pyramide46
Comme le plus clément des rois,
Vous en fit dresser autrefois,
Qund votre parricide envie
Eut fait attenter à sa vie,
Sachant que ce prince vainqueur
Respire encore dans notre cœur
Et qu’enfin sa gloire immortelle
Rendra votre honte éternelle.
- 1Les 5 et 25 janvier 1664.
- 2 Livre intitulé Les dessous des jésuites représentés à Messeigneurs les évêques de l’assemblée tenue à Paris le 2 octobre 1663.
- 3 Livre des Jésuites intitulé Image du premier siècle de la Société, imprimé en 1640 où ils se donnent des louanges prodigieuses.
- 4 Dirai-je que c’est une société d’hommes ou plutôt d’anges?, l.3, p.410.
- 5 Les Jésuites sont des héros intrépides. Image du premier siècle, p.4.c.
- 6 Les Jésuites sont des esprits d’aigle, p.4 et 6. Ils sont tous des hommes, mais aussi des lions généreux, p.401.
- 7 Quels hommes choisis! O Dieux immortels, quels foudres de guerre! Quels appuis! Quels anges tutélaires!, quels protecteurs de l’Église!, p.410.
- 8 Je crois que tous ceux de cette Société naissent le casque en tête, p.30.
- 9 Chacun d’eux vaut une armée et un seul de cette Société est quelquefois victorieux de tant d’ennemis que vous jugeriez qu’une grande armée n’en pourrait pas aisément autant vaincre qu’il en surmonte lui seul, p.419.
- 10 Livre du Père Brisacier, intitulé Le Jansénisme confondu, où il se vante partout de sa vaillance et de ses prouesses lorsqu’il était confesseur d’armée.
- 11 Parmi tant de services périlleux que j’ai rendus au public, 4ème, p.11.
- 12 Ceux qui me connaissent savent que la peur et moi n’ont point de commerce ensemble. Avis au lecteur.
- 13 Mais si je vous presse en homme de guerre, il se faut rendre à discrétion et confesser que je ne suis pas moins expert en la guerre de l’École qu’en celle de la campagne, ni moins théologien que soldat, 2ème part., p.31.
- 14 Je reviens à l’assaut contre vous, voyons qui l’emportera, 2ème Part., p.31.
- 15 Rendez-vous donc, maintenant, puisque vos retranchements sont emportés, 2ème part., p.36.
- 16 Le Père Darouy, dans une thèse célèbre de mathématique, soutenue dans leur collège de Clermont, le 5 juin 1663, écrit qu’on n’est pas bien chrétien quand on ne croit pas à l’Inquisition, quoique ce Père sache que cet injuste tribunal absout Jean Chastel de l’assassinat qu’il commit en la personne d’Henri IV et condamna l’arrêt du Parlement qui condamnait ce parricide.
- 17 Peintures morales du Père Lemoine, dans l’Ode à Delphine.
- 18 Plaisance. Lettre poétique du Père Lemoine, imprimée en 1663.
- 19 Dans la préface de ses Peintures morales : l’eau de la fontaine au bord de laquelle j’ai composé mes vers est si propice à faire des poètes que quand on en ferait de l’eau bénite, elle ne chasserait pas le démon de la poésie.
- 20 Optabant enim ego ipse anathema esse a christo pro fratribus meis, ad. Rom. 9.
- 21 Livre du père Lemoine, intitulé La Dévotion aisée, où la dévotion est dépeinte de bel air.
- 22 Le jour de l’explication était un dimanche, et ce jour-là on ne dit point de vêpres.
- 23 Escobar, Bauny, Caramuel, Sanchez, Heraut, Valentin, Tambourin, etc.
- 24 Le Père Lemoine dans son livre de la Dévotion aisée.
- 25Cornet, docteur de Navarre, auteur des cinq propositions.
- 26Apocalypse
- 27 Nec nominetur in vobis, ad. Ess. 5
- 28 Almanach des Jésuites, intitulé La Déroute des jansénistes.
- 29 Ex cathedra, ordinaire expression des molinistes.
- 30 Voeux des Jésuites au Pape.
- 31 Thèse des Jésuites soutenue au collège de Clermont le 2 décembre 1661.
- 32 Première réponse aux lettres des jansénistes, p.11 et 12.On croit communément qu’être des sentiments des jésuites, c’est être orthodoxe; on fera concevoir aisément à plusieurs pour légitimes sentiments et pour résolutions sans reproche et que l’on aura persuadé être dit dans le commun sentiment des Pères de cette Compagnie, attribuant une mauvaise doctrine aux Jésuites, il le rend probable.
- 33 Mgr Jansenius, évêque d’Ypres.
- 34 Almanach des Jésuites intitulé La Déroute des jansénistes.
- 35 Videunt in quem transfixerum, Joan. 19, Nom. 9.
- 36 Le Ballet des Jésuites, tragédie de la fin de l’année 1660.
- 37 Il y avait une entrée de sorciers qui faisaient le sabbat.
- 38 La cour du collège de Clermont.
- 39 Apologie des casuites.
- 40 Écrit du père Ferrier intitulé l’Idée véritable des jansénistes.
- 41 Conférence du Père Ferrier et du frère Amat avec les disciples de saint Augustin chez M. l’évêque de Comminges.
- 42 Idée véritable du jansénisme, dans l’avertissement.
- 43Livre du Père Chéophile Raymond.
- 44 La lettre circulaire Littera enim occidite 2, ad Corinth. 3.
- 45 Roman, 3.
- 46 En 1594, le Parlement fit dresser une pyramide à l’infamie des Jésuites, complices de l’attentat commis par Jean Chastel et Ravaillac en la personne d’Henri le Grand.
F.Fr.15020, f°134-113 - Arsenal 2961, p.632-723 - Lyon BM, Palais des Arts, MS51, f°1-29 - Imprimé: Onguent pour la brûlure, ou le Secret pour empêcher les jésuites de brûler les livres, A.M.M.M., S;l.n.d. (1666).
Le plus long poème janséniste jamais rencontré, oeuvre d’un fanatique et d’un fou littéraire, mais remarquablement informé.