Brevet d’instituteur et joueur de grandes marionnettes accordé à chevalier Servandoni et aux Sieurs de Montgiraud, Vollaire, Durand et Robin, ses associés
Brevet d’instituteur et joueur de grandes marionnettes
accordé au chevalier Servandoni
et aux Sieurs de Montgiraud, Vollaire, Durand et Robin, ses associés
De par le dieu porte-marotte,
Nous, général de la Calotte,
Salut. Le Sieur Servandoni
Chevalier et autres bannis1 ,
Chevalier en fait de peinture,
Chevalier de grecque luxure,
Nous ayant fait représenter
Qu’il désirait nous contenter
En montrant à toute la France
Des traits de sa magnificence,
Si nous voulions en sa faveur
Accorder un brevet d’honneur
Pour nous étaler des corniches
Des frontons, des cintres, des niches
De belles cours, de beaux palais2 ,
Pour attraper l’ordre des mains,
Ayant égard à sa requête
Qui nous a paru fort honnête,
Nous nous prêtons à son dessein,
Le tout pour soutenir son train
Et l’arracher à la justice3
En lui donnant un noble office
Qu’il peut exercer dignement
Au gré de notre Régiment.
Lui permettons pour chaque fête
D’ouvrir jeu de marionnettes,
Ou que sous son consentement
Il laisse le commandement
Aux sieurs Mongiraud et Vollaire
Qui par leurs tours de gibecière
Pensaient escamoter Paris.
Les spectateurs étaient surpris
Tant de leur banque inépuisable
Dont le caissier était le Diable,
Que de leurs boules de savon
Dont s’amusait le polisson4 .
Dans le cas où maintes affaires
Empêcheraient leur ministère,
Nous permettons qu’à leur défaut
Sans qu’il puisse monter plus haut,
Le Sieur Servandoni s’allie
A deux arrivés d’Italie5
Connus par spoliation
Et par la haute invention
Dans l’art de voiturer la pierre
Pour bâtir l’hôtel militaire
Et de promener des catins
Dans les beaux carrosses Dauphin.
Par notre grâce singulière
Et notre autorité plénière,
Nous voulons que ces histrions
Pour soudoyer leurs violons,
Hardiment et sans crainte aucune,
Pour ne point troubler leur fortune,
Emprutent du tiers et du quart
Sans être forcé pour un liard.
Leur permettons d’avoir des filles
Jeunes, accortes et gentilles
Pendant le jour, pendant la nuit,
Ayant de nous bon sauf-conduit.
Car telle est la bonté suprême
De notre Dieu pour ceux qu’il aime.
Quant au chevalier dont le goût
Est indifférent pour le trou,
Nous lui permettons de le faire
Et par devant et par derrière.
Nous croyons que selon nos lois
Du dernier il fera le choix,
De son pays suivant l’usance,
Puisqu’il est natif de Florence,
Pays où jadis le Romain
Menait déduit et joyeux train
Préférant gitons aux cornettes
Pour le paiement de ses dettes.
Disons, déclarons et nous plaît
Que là-dessus il reste en paix.
Nous savons trop bien l’importance
Qu’il est de bien remplir sa panse.
Aussi sa femme sans souci
Remplit la sienne, Dieu merci.
Rien n’est trop bon pour sa bedaine.
Pour leur donner marque certaine
De notre sincère amitié,
Que le public nomme pitié,
Notre ordre, sans plus ample preuve,
Lui défère médaille neuve
Qu’il portera sur son habit
À côté de la croix du Christ,
Lui donnant en outre de rente
Sur ses créanciers plus de trente
Dont pas un n’a jamais voulu
Lui demander un carolus,
Tant ils ont l’âme sainte et bonne
Et qu’ils honorent sa personne.
Fait dans le temple calotin
Près d’un grand feu, par un matin,
Après avoir sablé rasade
D’un vin qui n’était pas maussade
Le vingt-neuf du mois d’avril
D’un an qu’on nomme bisextil
Signé Jean-Simon Banqueroute
Contresigné Mons la Déroute
Scellé par Gilles, Jacques Aymon
Absent pour fort bonne raison6 .
- 1Le S. Servandoni porte la croix de Christ qu’il dit lui avoir été donnée par le Roi de Portugal, ce qui est si faux qu’au voyage qu’il y a fait, on la lui a arrachée.
- 2Il a représenté sur le théâtre des Tuilleries en 1738 Saint-Pierre de Rome, en 1739 la boîte de Pandore ; en 1740 Énée aux enfers ; en 1741 les Travaux d’Ulysse et en 1742 Léandre et Héro, pendant lesquelles représentations il s’st endetté de plus de 40 000 #. – En 1745, il a donné la Forêt enchantée ; en 1755 le Triomphe de l’amour conjugal, et en 1756 la Conquête du Mogol. Dans ces trois dernières représentations, il s’y est trouvé plus de 150 000 # de perte.
- 3Il a toujours eu le titre d’homme public des lettres, sauf-conduit pour le soustraire aux poursuites de ses créanciers.
- 4Ils ont entrepris, après la déroute de leur prétendue banque, une manufacture de savon au faubourg Saint-Honoré où ils n’ont pas mieux réussi.
- 5MM. Durand et Robin. Ils avaient été gardes-magasins en Italie, où ils ont volé quelques sommes d’argent qu’ils ont d’abord employé à monter des voitures à pierre pour l’école militaire. Ensuite ils ont établi 25 à 26 carrosses nommés Dauphin qui ont été vendus par justice.
- 6Parce qu'il était mort.
F.Fr.10479, f° 468-472