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Brevet de la Calotte pour le Sr de La Popelinière, fermier général

Brevet de nouveau Molière du Régiment de la Calotte

en faveur du Sieur Le Riche de la Popelinière,

fermier général, du mois de décembre 17461

Un de nos fermiers généraux,
Au cœur triste, à la face blême,
Qui sait mieux Plaute que Barême,
Par mille traits originaux
Tous les jours ici se distingue.
Sérieux comme un camerlingue,
En pensant jouer l’important
Il n’est tout au plus qu’un pédant.
Tantôt, faisant des comédies,
Il se travestit en farceur
Et prend les qualités hardies
D’héroïque et comique auteur.
Le penchant heureux de son âme
Parut dès ses plus jeunes ans ;
Aussi voulut-il prendre femme
Qui pût seconder ses talents.
Il courut dans une coulisse
Se choisir un extrait d’actrice2 ,
Objet d’ailleurs des plus friands ;
Sous des dehors doux et riants
Couvrant le plus malin caprice
Et cent projets extravagants
D’une grandeur imaginaire,
De mère en fille héréditaire.
Cet époux l’égala d’abord
À l’épouse d’un gros Milord.
Elle en prit les airs et le faste
Et jamais états différents
N’ont formé dans si peu de temps
Un si magnifique contraste.
On vit au bout de quelques jours
La fille de Mimi Dancourt,
Du grand, du sublime idolâtre,
Mépriser les gens de théâtre,
Ne fréquenter que gens de cour.
Mais son cher mari convaincu,
Outre la peur d’être cocu,
Que l’orgueil passant les limites
Peut avoir de mauvaises suites,
Voulut primo par la raison,
En second lieu par le bâton
Dont fut meurtri son beau visage
La rendre moins vaine et plus sage.
Et voyant que rien n’opérait
Il s’y prit par un autre endroit
Pour humilier son audace
Et remettre tout en sa place.
Plein de bonnes intentions,
Il tenta donc de mettre en œuvre
Ses riches dispositions,
Et par une adroite manœuvre
De la faire ressouvenir
De la condition infâme
Dont ses biens l'avaient fait sortir,
Quand son extravagante flamme
La fit réellement sa femme.
Il résolut à cet effet
De faire une pièce comique.
Sans en chercher loin le sujet
Il le prit dans son domestique,
Sachant de sa folle moitié
Son goût pour la magnificence,
Pour la grandeur et l’excellence.
Aucun trait n’y fut oublié
Pour hâter sa résipiscence
Et la réduire au petit pied.
Mais d’un si curieux ouvrage
Pour venir aisément à bout,
Ce grand esprit pensa surtout
A lui donner le personnage
Qu’elle eût dû naturellement
Exercer dans son mariage
Et que jadis si dignement
Jouèrent sa tante et sa mère3 ,
Et son grand-père et sa grand-mère,
Et qu’elle, aux yeux de tout Paris,
A rempli avec tant de gloire
Sur toutes ces consoeurs ayant gagné le prix,
Aux sentiments communs de l’auguste auditoire.
Vivent les esprits si profonds !
Vivent les gens de caractère !
Hommes de finances et d’affaire,
Venez prendre ici des leçons.
Vous avez un fameux confrère
Qui vous en a donné de toutes les façons.
Si vos femmes trop fastueuses,
Trop hautaines, trop orgueilleuses,
Donnent dans un bruyant éclat.
De lui, j’ose vous le promettre,
Vous apprendrez l’art de remettre
Toutes choses dans leur état.
À ces causes, nous, Souverain
De ce grand peuple calotin
Répandu dans notre hémisphère,
De notre pouvoir spécial
Nous avons du nouveau Molière
De la gent falotte et ratière
donné le titre original
Au Sieur de la Popelinière,
Et l’exhortons par tous moyens
De continuer sans scrupule
À redoubler le ridicule
De sa chère femme et le sien.
Lui promettons sous les auspices
Du duc4 autrefois les délices
Et le favori de l’amour,
Si méchants que soient ses ouvrages,
De leur faire avoir les suffrages
Et de la Ville et de la Cour.

 

  • 1Cette calotte a été faite à l’occasion d’un dernière comédie jouée à la maison de plaisir de M. le riche de la Popelinière, rue de la Barrière-Blanche, où s’est trouvé M. le maréchal de Saxe avec beaucoup de seigneurs. Mais il arriva un incident qui pensa tout déranger, madame le Riche voulait qu’on commençât à l’heure annoncée, et son mari ne le voulut pas, parce qu’on attendait madame la duchesse d’Aiguillon. La dispute fut vive entre la femme et le mari, et ne fut apaisée que par M. le duc de Richelieu, qui gagna qu’on attendrait ; ce qui mit la femme de si mauvaise humeur qu’au lieu de déclamer son rôle, elle ne fit que le réciter, appuyée contre le piédestal d’une statue (Bois-Jourdain)
  • 2 Il a épousé la Demoiselle Boutinon des Hayes, fille de la Demoiselle Carton Dancourt, comédienne de la Comédie Française, connue sous le nom de la Mimi, et du Sieur Boutinon, écuyer, Sieur des Hayes (M.).
  • 3 Mme Fontaine, sœur de sa mère, et fille aînée de Dancourt, qui avait épousé Thérèse Le Noir, sœur de la Torillière (M.).
  • 4Le duc de Richelieu (M.).

Numéro
$4317


Année
1746




Références

Clairambault, F.Fr.12715, p.249-54 - Maurepas, F.Fr.12649, p.375-79 - 1754, VI,139-42 - F.Fr.10477, f°336-37 - Arsenal, 3128, f°344v-345v - Arsenal, 3359, p.437-41 - Toulouse BM, MS 861, p.157-60 - Marville, III, 94-96 - Bois-Jourdain, III, 121-25