Aventure calotine
Par l’ordre et le commandement
De Nos Seigneurs du Régiment,
Moi, leur poète et secrétaire,
Je vais à l’honneur de Cythère,
Dire un fait des plus singuliers
Et comment deux belles personnes
Enlevèrent en amazones
Deux des plus braves cavaliers.
Apprenant que chez d’autres dames,
Doux et nouveau but à leurs flammes,
Ils étaient à se divertir,
Elles les firent avertir
Que pour une raison très forte
Un carrosse était à la porte
Où deux de leurs meilleurs amis
Voulaient leur dire un mot d’avis.
Les galants, en bonnet et veste,
Viennent (car c’était en été)
Et malgré leur air peu modeste
Montent près de chaque beauté.
Mais dès qu’ils furent en carrosse,
Averti par un coup de fouet
L’équipage qui n’était rosse
Partit aussi vite qu’un trait.
En vain, criant en pleine tête,
Ils disaient au cocher : arrête !
C’était parler à des gens sourds.
L’équipage courait toujours.
On tient même que les deux belles
En leur montrant des pistolets
Contraignirent les deux rebelles
De rester tout à coup muets.
Enfin la couple ravisseuse
Ayant mis sa proie amoureuse
En sûreté dans un château
Situé sur le bord de l’eau,
Comus, dieu de la friandise,
Fit servir une table exquise
Et Bacchus y donna du vin
Du plus suave et du plus fin.
Après que la troupe agréable
Eut fait son devoir à la table,
Vénus en souriant les mit
Couple à couple dans un bon lit.
Quant au surplus je dois m’en taire.
Amour, seul témoin du mystère,
Pourrait raconter dignement
Les exploits du quadrille amant.
Ces beautés toutes martiales,
Contentes du couple enlevé,
Pour s’en moquer, à leurs rivales
Les renvoyèrent énervés.
À ces causes, vu que les hommes
Vont le droit de rapt négligeant,
Et que dans le siècle où nous sommes,
Les femmes vont se l’arrogeant,
Nous confirmons par ces présentes,
Malgré la coutume et les us,
Ce droit à nos dames galantes,
Et défendons de par Momus
À tout tribunal de justice
De connaître de ce caprice,
D’autant qu’un tel enlèvement
Est du ressort du Régiment.