Vers du Philosophe de Sans Souci au duc de Choiseul
Vers du Philosophe de Sans Souci au duc de Choiseul
Tu es vengé, Choiseul, et tu vois ta patrie,
Par tes deux successeurs indignement flétrie.
Ton front ceint de lauriers rit des vaines clameurs
Que lancent contre toi de vils persécuteurs.
Impur amas de fiel, qui ne doivent la vie
Qu’au souffle empoisonné de l’infernale envie,
Ils ne peuvent du sein de leur obscurité,
Soutenir les rayons qu’offre la vérité.
On leur dit, armez-vous, combattez ce grand homme.
Mais souviens-toi, Choiseul, qu’on vit jadis à Rome
Hic Pater Patriae, qui fut persécuté.
Le monstre audacieux contre toi déchaîné,
N’a pour tout aliment de sa rage intrépide,
Que la haute faveuur du Mentor qui le guide ;
Cet anti-Bélisaire, accablé sous les ans,
Ne peut encore longtemps dénigrer tes talents,
Et cette hydre abattue, on verra l’imposture
Retourner se cacher dans sa demeure obscure,
Et tes faibles rivaux, dans la fange plongés,
Rentrer dans le néant d’où ils furent tirés.
Méprise d’A*****1
et son âme de boue !
Il est assez puni d’entendre qui te loue ;
Ce serait t’avilir que répondre à ses cris.
Un héros généreux abandonne au mépris.
De tous les combattants descendus dans l’arène,
Montecuculli seul fut digne de Turenne.
Tu es digne de moi, toi seul es mon égal,
Je t’admire en secret, mais je suis ton rival ;
Tandis qu’à mes côtés, j’enchaînais la victoire,
Toi par d’autres sentiers tu marchais à la gloire ;
Politique profond, nouveau législateur,
Tu fis faire à ton Roi une paix en vainqueur.
Eh ! que n’eus-tu pas fait, pour l’honneur de la France,
Si Louis profitant de ton intelligence,
T’eût laissé de l’État conduire le timon,
Et qu’il eût par ses Pairs fait juger d’A***** ?
La France des Anglais aurait été vantée,
La Pologne jamais n’eut été partagée,
Et moi, en t’admirant, j’aurais eu le regret,
Que Choiseul n’ait pas été né mon sujet.
- 1le duc d'Aiguillon.
F.Fr.13652, p.283-84 - Mémoires secrets, VII, 326-28