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Une Extravagante nouveauté

Une extravagante nouveauté1
Je vis hier du fond d’une coulisse
L’extravagante nouveauté
Qui, triomphant de la police,
Profane des Français le spectacle enchanté.
De ce drame effronté chaque acteur est un vice :
Bartholo nous peint l’avarice,
Almaviva le séducteur,
Sa tendre moitié l’adultère
Et Double-Main un plat voleur.
Marceline est une mégère,
Basile un calomniateur ;
Fanchette l’innocente est trop apprivoisée,
Et le page d’amour, au doux nom Chérubin,
Est, à vrai dire, un fieffé libertin,
Protégé par Suzon, fille plus que rusée.
Pour l’esprit de l’ouvrage il est chez Brid’oison.
Mais Figaro ?…. Le drôle à son patron
Si scandaleusement ressemble,
Il est si frappant qu’il fait peur ;
Et pour voir à la fin tous les vices ensemble
Le parterre en chorus a demandé l’auteur2 .

  • 1« Il eût manqué au succès de Figaro et surtout à la réputation de son auteur ce qu’on ne refuse guère à Paris à ceux qui fixent un peu l’attention publique, les honneurs de l’épigramme. M. le chevalier de Langeac est, dit‑on, auteur de celle‑ci, qui parut le lendemain de la seconde représentation. M. de Beaumarchais, fort au‑dessus d’une gentillesse de ce genre, n’en a point pâti ; il a même imaginé de la faire servir au triomphe de la pièce et à celui de son caractère personnel ; il en a estropié quelques vers, et surtout le dernier, l’a fait imprimer, et, le jour de la quatrième représentation, on en a jeté, par son ordre, quelques centaines d’exemplaires des troisièmes loges dans le parterre ; il avait eu soin de le garnir de tous ses amis, à qui il avait annoncé que ce jour verrait éclore la cabale la plus violente contre son innocent ouvrage ; l’épigramme, censée jetée par ses ennemis, a été déchirée par les spectateurs, l’auteur de l’épigramme demandé à grands cris et condamné d’une voix unanime à Bicêtre. Cette manœuvre assez nouvelle et bien digne, du moins par sa singularité du frère germain de Figaro, a été exécutée quelques minutes avant le lever de la toile et a valu à la pièce plus d’applaudissements qu’elle n’en avait encore reçus. » (Correspondance de Grimm.). Voici les vers modifiés par Beaumarchais : Fanchette, l’innocente, est bien apprivoisée ; / Et la Suzon, plus que rusée, / A bien l’air de goûter du page favori, / Greluchon de Madame et mignon du mari. / Quel bon ton, quelles mœurs, cette intrigue rassemble ! / […] / Et pour voir à la fin tous les vices ensemble, / Des badauds achetés ont demandé l’auteur. (R)
  • 2Des badauds achetés (CSP)

Numéro
$1540


Année
1784

Auteur
Langeac (Chevalier de)



Références

Raunié, X,136-37 - F.Fr.13653, p.361 - Mémoires secrets, XXVIII, 39-41 - Choix d'épigrammes, p.209-10 - Mémoires de la baronne d'Oberkirch, t.II, p.49


Notes

Présentation abrégée en $2771 Autre version telle qu’imprimée dans le Journal de Paris (F.Fr.13653) - "Quelques jours avant la représentation à laquelle nos assistâmes, on avait jeté à profusion dans la salle les vers que voici; ils étaient imprimés" Mémoires de la baronne d'Oberkirch.