Les Filles entretenues
Les filles entretenues
Oui, je l’ai dit publiquement.
Et je prouve par argument
Que l’on entretient une fille
Comme l’on fait d’une jument.
On lui donne un appartement,
On la nourrit et on l’habille,
Et même outre l’habillement
On fait en sorte qu’elle brille :
On la choisit toujours jolie
Et du tour le plus élégant,
Souvent même on la fait instruire ;
Maître à danser, maître de chant,
Et cetera… Serait trop dire
Qu’en faire le dénombrement.
De temps en temps on la promène,
On la fait voir dans ses atours,
Aux Tuileries, sur le Cours ;
Quelquefois encore on la mène
Aux jeux publics, aux opéras,
Et c’est là que comme au manège
On fait étaler ses appas.
Publiquement on la protège :
On rougirait de parler bas,
Afin que l’on n’ignore pas
Qu’elle nous sert pour nos ébats.
D’une maîtresse entretenue
(Et toujours du train d’un seigneur)
Belles, voici pour votre honneur,
La comparaison soutenue.
Nous achetons une jument,
Ou bien un cheval, il n’importe ;
Nous lui donnons un logement,
Selle, bride, housse, assortiment,
Tout ce qui sert de vêtement ;
A monture de telle sorte,
Avoine, foin, c’est entendu.
On pourvoit à sa nourriture ;
On aime à lui voir corps dodu,
Belle tête, fine encolure.
Ce n’est le tout. Pour sa parure,
Sur elle on veut voir étendus,
Velours, galons ou broderies,
Et souvent l’on fait encor plus ;
On l’embellit de pierreries.
Au sortir de ses écuries,
Le maître, fier des ornements
Dont il a décoré sa bête,
La promène publiquement.
Et toujours se fait une fête
D’ouïr les applaudissements
Que l’on donne à sa gentillesse.
On la fait instruire, on la dresse
A caracoler joliment,
Le tout pour notre amusement.
Bref, à l’une et l’autre monture,
Objets de nos soins assidus,
Nous ne fournissons nourriture,
Logements, habits et parure,
Que pour caracoler dessus.
Raunié, X,26-28