La Naissance du Dauphin
La naissance d’un Dauphin1
Si l’Roi z’est not pèr' à tous,
La Reine z’est aussi not' mère ;
Mes gas, réjouissons-nous,
A viant d’nous bailler un p’tit frère.
N’sra pas du pied qui s’mouchra,
Messieurs l’s Anglais vous verrez ça.
I s’ra biau com' sa maman,
Com' el, sera sensible,
Com' son papa bienfaisant,
De Henri s’ra l’portrait visible,
Chantons du soir au matin :
Vive l’Dauphin, vive l’Dauphin !
Le ciel devait ce présent
Aux vertus, aux vœux d’la mère :
Il a fait en les combinant
Le bonheur d’la France entière.
Mon Dieu ! le joli refrain :
Vive l’Dauphin, vive l’Dauphin !
Fallait entendre not' prélat
Annoncer s’te bonn' nouvelle.
Tuchou ! comme il défila
Son éloquente kyrielle ;
Pour son Roi, com' pour son Dieu,
Il est tout d’flamme, il est tout d’feu.
Tatudienne queu sabat
Faisaient messieurs d’Aquitaine !
Ils étaient aussi gais là
Qu' s’ils euss' combattu dans la plaine.
Ils chantaient tous le refrain :
Vive l’Dauphin, vive l’Dauphin !
Pour moi, je n’savais pas trop
Si j’devais pleurer ou rire,
Mon pauv' cœur allait l’galop ;
J’étais content ; j’ne pouvais le dire.
Quand l’sentiment est trop fort
Ça m’coup le sifflet tout d’abord.
Mais vous vouliez eun' chanson,
Il fallit bian vous la faire.
J’vous tiens quitt' pour la façon ;
Mes amis, il n’en coûte guère
Pour dire du soir au matin,
Vive l’Dauphin, vive l’Dauphin !
Qu’il vive, ce cher enfant,
Pour l’amour pour la victoire !
D’la dernièr' gout' de mon sang
Je voudrais cimenter sa gloire.
Que le diab' m’emporte à l’instant
Si j’en dis un mot plus qu' j’n sens.
A chanter d’pareille sujet
Y a ben pus d’plaisir que d’peine.
Pour me payer d’ces couplets,
N’vous gênez donc pas, belle Reine ;
Ils sont, à la rime près,
Dans le cœur de tous les Français.
Si vous croyez, malgré ça,
Nous d' voir queuq' reconnaissance,
Faites encor un p’tit ga,
Madame et j’vous baill’rons quittance ;
Quand on en fait d’si genti
S’roit péché de se ralenti.
Ne craignez point, cher papa,
De voir croître vot' famille,
Le bon Dieu z’y pourvoira,
Fait’s en que Versaille en fourmille.
Y eûtil cent Bourbons chez nous,
Y a du pain, du laurier pour tous2
.
- 1LouisJosephXavierFrançois, Dauphin de France, naquit à Versailles le 22 octobre 1781. La venue de cet héritier du trône, si vivement désirée et si impatiemment attendue, provoqua dans la famille royale et dans la nation tout entière un enthousiasme indescriptible et fit oublier un moment toutes les préoccupations politiques. « La joie fut universelle, écrit Mme Campan ; le peuple, les grands, tout parut à cet égard ne faire qu’une même famille ; on s’arrêtait dans les rues, on se parlait sans se connaître, on embrassait tous les gens que l’on connaissait. Hélas ! l’intérêt personnel dicte ces sortes de transports bien plus que ne les excite l’attachement sincère pour ceux qui paraissent en être les objets ; chacun voit dans la naissance d’un légitime héritier du pouvoir souverain un gage de prospérité et de tranquillité publiques. […] Les fêtes furent aussi brillantes qu’ingénieuses : les arts et métiers de Paris dépensèrent des sommes considérables pour se rendre à Versailles, en corps, avec leurs différents attributs, des vêtements frais et élégants formaient le plus agréable coup d’œil ; presque tous avaient de la musique en tête de leurs troupes : arrivés dans la cour royale, ils se la distribuèrent avec intelligence et donnèrent le spectacle du tableau mouvant le plus curieux. Des ramoneurs, aussi bien vêtus que ceux qui paraissent sur le théâtre, portaient une cheminée très décorée, au haut de laquelle était juché un des plus petits de leurs compagnons, les porteurs de chaises en avaient une très dorée dans laquelle on voyait une belle nourrice et un petit Dauphin, les bouchers paraissaient avec leur bœuf gras ; les pâtissiers, les maçons, les serruriers frappaient sur une enclume, les cordonniers achevaient une petite paire de bottes pour le Dauphin ; les tailleurs un petit uniforme de son régiment, etc. Le Roi resta longtemps sur son balcon pour jouir de ce spectacle. L’enthousiasme fut si général que la police ayant mal surveillé l’ensemble de cette réunion, les fossoyeurs eurent l’imprudence d’envoyer aussi leur députation et les signes représentatifs de leur profession. Ils furent rencontrés par la princesse Sophie, tante du Roi, qui en fut saisie d’effroi et vint demander au Roi que ces insolents fussent à l’instant chassés de la marche des corps et métiers qui défilaient sur la terrasse. Les dames de la halle vinrent complimenter la Reine et furent reçues avec le cérémonial que l’on accordait à cette classe de marchandes. La princesse de Chimay fut, à la porte de la chambre de la Reine, recevoir trois de ces femmes qui furent introduites jusqu’auprès du lit ; l’une d’elles harangua Sa Majesté : son discours avait été fait par M. de La Harpe et était écrit dans un éventail sur lequel elle jeta plusieurs fois les yeux, mais sans aucun embarras ; elle était jolie et avait un très bel organe. La Reine fut touchée de ce discours et y répondit avec une grande affabilité… Les chansons des poissardes furent nombreuses et quelques-unes assez bien faites… Les gardes du corps obtinrent du Roi la permission de donner à la Reine un bal paré dans la grande salle de l’Opéra de Versailles. Sa Majesté ouvrit le bal par un menuet qu’elle dansa avec un simple garde nommé par le corps, auquel le Roi accorda le bâton d’exempt. La fête fut des plus brillantes ; tout était alors joie, bonheur et tranquillité. » (R)
- 2Mme Campan nous apprend que « le Roi et la Reine furent très satisfaits de ce dernier couplet et le chantèrent plusieurs fois pendant le temps des couches ».(R)
Raunié, X,17-25 - Madame Campan, Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, p.168