L'Édit de Joly de Fleury
L’édit de Joly de Fleury1
L’as-tu donc lu, ma commère,
L’as-tu lu c' fameux édit,
Enregistré sans mystère
Par nos Pèr' les circoncis ?
Com' il nous savonne !
Com' il nous rançonne !
Si c’est du Fleury,
Ça n’est pas du joli.
Quoiqu' j’irons faire aux guinguettes,
Si le sel est renchéri ?
Adieu l' fin d' nos goguettes ;
Car c’est lui qui en fait tout l’prix
J' veux de la bell' manière
Vous faire avaler l’goujon.
Mais si la sauce est si chère,
Que ferons-nous du poisson ?
I' nous baille une falourde
Pour nous voler un fagot,
I' nous prend pour des balourdes
C’te vilain p’tit escargot2
.
Comment, avec l’âm' si juive,
A-til épargné l' jambon ?
C’est qu’il est très bon convive
Et n’est d' nul' religion.
V’là c’que c’est qu’d’avoir d’l’alliance
Dans la cour du Parlement,
On s’permet avec confiance
D’être un mauvais garnement.
Puiss' not' excellent monarque,
Pour nous sauver d' plus grands maux,
L’envoyer par la noir' barque,
Aboyer après les sceaux !
Mais si la bonté supréme
Chassait encor son Ham’lin3
,
J’dirions dans not' joie extrême :
Dieu nous garde des aigrefins !
- 1« On n’a pas manqué de chansonner M. de Fleury à l’occasion de l’édit d’août 1781, et il a fait s’évertuer nos bons faiseurs, car ce vaudeville n’est pas sans sel : il est en neuf couplets et dans le style un peu poissard, ce qui rend la plaisanterie moins âcre et plus gaie ; cependant la chute en pourrait être meilleure et il ne se soutient pas jusqu’au bout sur le même ton d’aisance et de légèreté. » (Mémoires secrets) Joly de Fleury avait remplacé Necker comme ministre des finances dès le 24 mai ; il n’avait d’abord accepté ce titre que par intérim. « Maurepas, tout en disant que l’homme impossible à remplacer n’était pas encore né, essuya plus d’un refus de ceux à qui il proposa le contrôle général. Lui-même en fut embarrassé, malgré sa légèreté. Il trouva enfin un conseiller d’Etat qui n’osa repousser l’offre jointe à la prière. C’était un courtisan de robe, vieilli avec souplesse dans la société des grands et dans les cabinets des ministres, ambitieux en petit, délié en intrigue et en chicane, inepte en finance et barbare en législation ; du reste grand conteur d’anecdotes, amusant la jeunesse du conseil par une manière d’opiner plaisante et quelquefois burlesque ; cité par excellence pour savoir casser le cou aux affaires, éloge de mauvais augure dans la circonstance présente. Joly de Fleury offrit un ministre tout honteux de l’être ; il avait à peine pris le fardeau que déjà il en était accablé. Il eut au moins ou la bonne foi ou l’adresse de publier qu’il vivait de ce que son prédécesseur lui avait laissé en réserve, mais il n’avait pas l’habileté de le renouveler en le dépensant. Il établit un troisième vingtième sur lequel il ne fut point chicané par le Parlement de Paris, où il avait l’avantage de compter deux frères et un neveu ; malgré l’enregistrement libre et fraternel, l’impôt ne put jamais se lever en totalité. » (Mémoires de Weber.) (R)
- 2« Pour l’intelligence de ce couplet, remarquait l’auteur de Paris, Versailles et les provinces, il faut savoir que l’édit enregistré au Parlement était précédé d’un préambule fort séduisant et que, par la contexture adroite du dispositif, il paraissait diminuer l’impôt sur le bois, tandis qu’il l’augmentait réellement. »(R)
- 3Premier commis du ministère des finances.(R
Raunié, X,6-8 - Mémoires secrets, XVIII, 11-13