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Le Temple du goût

Le temple du goût
On a d’une étrange façon
Au dieu du Goût bâti maison.
Impudence et déraison
Fondent sa chapelle,
Et sans qu’on en dise le nom
On connaît le maçon,
Le ladre de maçon,
A sa truelle,
Le vilain, à sa truelle1 .

Quand il la tient, il prend soudain
L’air et le ton de souverain.
Polignac et Rothelin
Ensemble il attelle2 ,
Puis la brouette allant son train
Il frappe à toute main
Ce qu’il trouve en chemin.

Il ne fait pourtant pas sur tous
Tomber également ses coups,
Et pour Richelieu plus doux
Dans une ruelle
Il le fait triompher en plein
De son oncle divin
Qu’il veut frapper en vain3 .

Chantez Brassac ; gravez Caylus4  :
Voilà ses ordres absolus ;
Tous deux vous n’entendrez plus
D’autres ritournelles ;
Mais ne souffrez pas qu’un maçon
Un ladre de maçon
Souille ainsi votre nom.

Croit-il par son temple expier
Ceux qu’il a détruits, ce templier ?
Temple de tel ouvrier
Est imaginaire.
Mais ceux pour le culte divin
Qu’il sape avec dédain
Lui vaudront le destin
De ses confrères,
Le vilain, de ses confrères.

 

  • 1 Les satiriques ne furent pas seuls à juger sévèrement le Temple du goût, lors de son apparition en mars 1733. Le docte Marais écrivait à son ami Bouhier : « Cela est vers et prose ; l’impudence elle‑même ne peut aller plus loin ; il parle mal de Corneille, de Racine et de tous les autres poètes ; Lamotte et Fontenelle y sont en pièces. Rousseau y est cruellement traité ; Pellisson ne savait pas écrire ; on réduirait Bayle à cinq ou six feuilles, on en trouverait bien moins dans Marot et Rabelais, enfin ce nouveau Scioppius mord tout le monde et cherche encore des coups de bâton, après quoi il ira apparemment s’établir à la Chine pour y trouver des gens d’esprit, ou pour dire qu’il est le seul qui en a dans l’univers. Que dites‑vous de ce mirmidon… J’aime votre indignation contre le Teple du goût ou du dégoût… Il est détesté et lu de tout le monde ; on voulait le jouer aux Marionnettes ; la police l’a empêché. » (R)
  • 2« Est‑il possible que le cardinal de Polignac et l’abbé de Rothelin protègent un tel impudent et qu’il s’en vante ?… Malgré tout, ce méchant petit ouvrage se lit et a même quelques approbations. Je n’ai point entendu dire que le cardinal de Polignac le blâme, et croyez‑vous que cela ait été donné au public, sans que ni lui, ni l’abbé de Rothelin, ni le duc de Richelieu en aient eu connaissance. » (Correspondance de Marais.) (R)
  • 3« Le cardinal de Richelieu est traité comme un pédant en présence de son neveu qui apparemment y a consenti. » (Correspondance de Marais.) (R)
  • 4Le chevalier de Brassac, auteur de la musique de l’opéra l’Empire de l’Amour, et le comte de Caylus, célèbre antiquaire, avaient chacun un quatrain élogieux dans la première édition du Temple du goût. Il fut supprimé dans les suivantes. (R)

Numéro
$0778


Année
1733




Références

Raunié, VI,55-57 - Clairambault, F.Fr.12705, p.37 et 39-40 -Maurepas, F.Fr.12633, p.223-24 -  Mazarine Castries 3986, p.254-56 - Journal de la cour et de Paris, p.68


Notes

Le templier des chansons Cette chanson a été faite sur le Temple du goût (Clairambault)