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Sans titre

Or écoutez, petits et grands1 ,

L’histoire d’un ingrat enfant,

Fils d’un cordonnier honnête homme

Et vous allez savoir comme

Le Diable par punition

L’a pris en sa possession.

 

Ce fut un beau jour à Midi

Que sa mère au monde le mit.

Sa naissance est assez publique

Car il naquit dans la boutique,

Dieu ne voulant qu’il pût nier

Qu’il fût le fils d’un cordonnier.

 

Le père n’ayant qu’un enfant

L’éleva très soigneusement.

Aimant ce fils d’un amour tendre

Au collège il lui fit apprendre

Le latin comme un grand seigneur

Tant qu’il le savait tout par cœur.

 

Puis il apprit pareillement

À jouer sur les instruments,

À faire des airs en musique,

Plus, on lui montra la pratique,

Car le père n’oublia rien

Pour en faire un homme de bien.

 

À peine eut-il atteint quinze ans

Qu’il quitta tous ses chers parents.

Il fut en Suède, en Angleterre,

Pour éviter M. son père,

Plus traître et plus méchant, hélas,

Que ne fut le Rousseau Judas.

 

Et pour faire le bel esprit

Se mit à coucher par écrit

Des opéras, des comédies,

Des chansons pleines d’infamie,

Chantant des ordures en tout lieu

Contre les serviteurs de Dieu.

 

Pour s’introduire auprès des grands,

Fit le flatteur, le chien couchant,

Mais par permission divine

On le reconnut à sa mine

Et chacun disait en tout lieu :

Que ce flatteur est ennuyeux.

 

Quand ses amis le venaient voir

Pour lui démontrer son devoir

Et lui reprocher son caprice

Et pour le guérir de son vice,

Il s’emportait toujours contre eux

Et faisait le capricieux.

 

On dit qu’il fut plus de quatre ans

En dépit des honnêtes gens

À faire ce faux personnage,

Et c’est de là que vient sa rage.

Dieu pour punir sa vanité

L’a fait siffler de tous côtés.

 

Un jour dans une honnête maison

Il se glorifiait d’un beau nom

On l’honorait sans le connaître

Le père venu chausser le maître

Se récrie en voyant son fils ;

Aussitôt le coquin s’enfuit2 .

 

Aussitôt entre dans son corps

Un diable nommé couplegor.

Son poil devint roux, son œil louche,

Il lui mit de travers la bouche,

Et de la bouche de travers

Il sort des crapauds et des vers.

 

Un jour, chez M. Frayssinois

Il a vomi tout à la fois

Des gros serpents et des vipères,

Tous couverts d’une bile noire

Et chez M. l’abbé Piant

Il en a vomi tout autant.

 

Vous, pères et mères, honnêtes gens,

À qui Dieu donne des enfants,

Empêchez bien qu’il n’en approche

Il a toujours venin en poche.

Il en ferait pour votre ennui

Des scélérats tout comme lui.

 

Or prions le doux rédempteur

Qu’il marque au front les imposteurs

Afin qu’on fuie ce détestable

Comme le procureur du diable,

Car Nostradamus a prédit

Qu’il doit élever l’antéchrist.

  • 1En 1710. Sur Rousseau, poète satirique, fils d’un cordonnier, mort à Bruxelles le 17 mars 1741. La chanson a été faite par Autreau. Il perdit son procès avec Saurin pour des couplets de chanson qu’on lui a imputés ce qui le fit retirer à Bruxelles. Mais on vient de reconnaître son innocence après la mort de Boindin (décembre 1751), qui était ami de Saurin, et dans les papiers duquel s’est trouvé les mêmes couplets qu’on attribuait à Rousseau, écrits de la main de Saurin. Il a paru en 1752 un [ill.] pour servir à l’histoire des couplets de 1710, qui disciple totalement Rousseau. On en a déposé le manuscrit à la Bibliothèque du Roi.
  • 2Le Sieur Rousseau se trouvant dans une maison où son père vint y porter des souliers, qui voyant y être fort estimé, lui sauta au col, et l’autre ne voulut jamais le reconnaître.

Numéro
$6922


Année
1700

Auteur
Autereau



Références

BHVP, MS 580, f°7r-72r