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Les Ridicules du temps

Les ridicules du temps1
Notre roi n’est qu’un fainéant,
Le cardinal est un enfant
De quatre-vingt-cinq à six ans,
Qui nous gouverne en innocent,
Son garde-scel un charlatan,
Tous les ministres des tyrans
Qui font la guerre aux pauvres Francs
Plus vivement qu’aux Allemands.


Nos généraux sont ignorants,
Sans mérite, vils courtisans,
Et misérables capitans,
Tantôt battus, tantôt battants,
Mais qui font périr cependant
Des milliers de braves gens,
Sans savoir pourquoi, ni comment.


Le génie n’a plus de Vauban.
Excepté le bon d’Orléans,
Homme d’honneur trop indolent.
Nos princes sont des garnements,
Qui n’ont ni mœurs ni sentiments,
Petits hommes remplis de vent.


Nos ducs sont des impertinents,
Bouffis de l’orgueil de leur sang,
Tous sots ou fats, fort peu vaillants.
Les gens de cour sont des brigands ;
On permet tout à Carignan2 ,
Qui vole et pille effrontément :
Opéra, roulette ou brelan,
Tout est bon et tout fait argent.


Les spectacles sont languissants.
En province, les intendants
Sont plus pillards que les traitants.


Le temps est bon pour les galants,
Les femmes en ont tant et tant,
On en change comme de gants.
Tous les maris sont indulgents ;
C’est la mode : faire autrement
C’est être un sot, un chat-huant,
Qui n’est pas propre au sacrement.


La justice est au plus offrant,
Elle se vend publiquement.


Nos prélats sont des chenapans
Fils de la nuit et de Satan,
Sans foi, sans loi, vrais impudents.


On tracasse les appelants,
Tous les emplois, petits et grands,
Sont donnés à gens de néant,
Sans choix et sans discernement.
On ne fait plus cas à présent
Ni de vertus, ni de talent.


Malheureux peuple d’un enfant,
D’un Roi qui ne voit ni n’entend,
Qui laisse flotter mollement
Les rênes du gouvernement
Entre les mains de son pédant.


On ne voit plus que partisans,
Et tous les hommes ravissants
Gorgés de rapine et de sang,
Vivre heureux, riches, opulents,
Et braver tout insolemment.


Nos beaux esprits sont peu savants,
Vifs, légers, polis et galants,
Mais quelquefois extravagants,
Jolis conteurs ; au demeurant,
Grands faiseurs de petits romans.
L’État est plein de mécontents.


Pour moi, je suis, quoique indigent,
Toujours gaillard, toujours content,
Pourvu que je puisse en rimant
Me divertir quelque moment
Des ridicules de ce temps.

  • 1Autres titres: Satire rimée en avril 1735 (Clairambault) - Satire rimée en an
  • 2Le prince de Carignan et le duc de Gesvres, gouverneur de Paris, avaient chacun le privilège d’un jeu public qui leur rapportait de beaux bénéfices. « Ces deux jeux, dit Barbier, étaient la ruine des enfants de famille de Paris, de bourgeois, d’officiers et autres. Cela faisait la ressource d’un nombre d’escrocs, cela donnait lieu à des vols au sortir du jeu à des accidents funestes. Il n’y a pas plus de deux mois qu’un officier ayant perdu tout ce qu’il avait, revint désespéré à son auberge et se mit une si bonne dose d’opium dans le corps qu’il creva la nuit. » Le cardinal Fleury ferma ces jeux en 1741. (R)

Numéro
$0817


Année
1735




Références

Raunié, VI,110-12 - Clairambault, F.Fr.12705, p.397-400 -Maurepas, F.Fr.12633, p.422-24 -  F.Fr.13655, p.313-16 - F.Fr.13661, p.641-43 - F.Fr.15149, p.284-89 - Arsenal 3128, f°86r-86v et 138r-139r - BHVP, MS 665, f°26r