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Noël de la ville de Lyon

Noël de la ville de Lyon
Sitôt que la naissance
Du souverain des cieux
Vint à la connaissance
De ces terrestres lieux,
Notre ville aux bergers
Disputa l’avantage
D’adorer l’enfant nouveau-né
Et chacun de nous, empressé,
Présenta ses hommages.

Étalant l’opulence
D’un prélat bien renté
Arriva de la France
Le primat si vanté1
Il offrit à l’instant avec modestie
Un berceau tout neuf au poupon,
Un canonicat au barbon,
Son palais à Marie.

De votre confrérie
Je suis l’appui constant,
Dit Flesselles2 à Marie
D’un air insinuant.
Quoi, demande tout bas
Joseph à sa compagne,
Ici l’habit de pénitent
Masquerait-il cet intendant
Qu’abhorra la Bretagne3  ?


Vêtus à la romaine
Trois conseillers grêlés
De la cour souveraine
Furent les députés.
La Tourette après eux
Vint en cérémonie.4
Boudant le sexe et pour raison
Il complimenta le poupon
Sans regarder Marie.

De la sénéchaussée
Dix jeunes conseillers
En robe de troupiers
Suivaient les trésoriers.
Leur trop d’empressement
Leur coupa la parole.
Jésus leur dit, petits enfants,
Pour apprendre un compliment
Retournez à l’école.

Des premiers à l’étable,
Bellecize5 introduit,
Dit d’un ton lamentable,
J’ai perdu mon crédit.
Mais s’il vous reste encore,
Jésus, quelque puissance,
Faites arriver mon brevet
Car vous devez par intérêt
Protéger l’indigence.

Un homme respectable
Au prévôt succéda.
Jacob6 d’un air affable
Du berceau s’approcha.
Épris de la candeur
De son humble démarche,
Le poupon lui dit : avec nous
Restez, car je retrouve en vous
Mon ancien patriarche.

Ce consul d’humeur fière7
Qui n’est grand qu’à ses yeux,
Parcourait la chaumière
D’un regard dédaigneux.
Si vous êtes, Jésus, dit-il
Avec tristesse,
Si mal logé, c’est qu’aujourd’hui
On va remercier celui
Qui fêta la princesse.

Joseph à la coiffure
Que portait de Royer8 ,
Dit : sur mon aventure
Vient-on me persifler ?
Non, répartit-il confus
De pareille demande,
J’apporte de l’encens exquis.
Pour moi, faites à votre fils
Agréer mon offrande.

Plaisant, mais satirique,
Le major9 accourut.
À son abord cynique
Chacun le reconnut.
Ah, dit-il, s’avançant
Auprès de la couchette,
Si Royer vous fait ce présent
C’est qu’il arrive bien souvent
Que cet encens l’entête.

N’ayant pour tout mérite
Que celui de son rang,
Certain Bœuf6 vint ensuite
Faire son compliment.
Joseph dit en bâillant
D’une force effroyable
J’aurais trouvé sur mon honneur
Un aussi parfait harangueur
Sans sortir de l’étable.

Sans trop croire au miracle
Arriva Nicolau,
Parlant comme un oracle,
Chantant un air nouveau.
Je me suis arrangé pour vivre avec Marie
Dit-il à Jésus, au mari,
Ainsi prenez votre parti
Sur cette fantaisie.

Guillin l’énergumène
Parut et, furieux,
Criait : qu’on me ramène
Pressavin et Boissieux10 .
Ah, c’est un possédé,
Chassez-le de l’étable
Reprit Joseph, et mon enfant
De son corps quand il sera grand
Expulsera le Diable.

Portant une quittance
On vit dans le lointain
Un homme à révérence ;
C’était Monsieur Morin.
Commis du consulat,
Je viens de la chaumière
En son nom prendre le loyer
Si mieux vous n’aimez me payer
Le droit de secrétaire.

Marchant tout en cadence
Bonnardel accourut.
Faisant la révérence
Son épouse parut.
Ah, qu’il fait froid ici,
Dit-elle, je vous quitte,
Mon bon Jésus, avec regret,
Mais j’apporterai mon couvert
Pour une autre visite.

Ce Jésus dont l’enfance
Occupera nos soins
Vient de l’humaine engeance
Partager les besoins.
Mais on ne verrait pas
En attirail si mince
La mère ni le nouveau-né,
Si le père se fût trouvé
Échevin de province.

Surprise de la mine
De Messieurs les élus,
Marie se chagrine
De voir ces inconnus.
Mais marquant son transport
Par quelque pétarade
L’âne lui dit tout aussitôt
Pour éviter le quiproquo,
Ce sont mes camarades.

À votre avidité ne pouvant satisfaire,
Dit Joseph, il faut vous quitter
Et jusqu’en Egypte emmener
Le poupon et sa mère.

  • 1De Montazet (M.)
  • 2Intendant de Lyon (M.)
  • 3Lors du procès de M. de la Chalotais (M.)
  • 4Premier président du bureau des finances (M.)
  • 5Prévôt des marchands qui allait être renommé (M.)
  • 6 a b Echevin (M.)
  • 7Spontou, échevin, consul du roi de Sardaigne (M.)
  • 8de Royer, lieutenant de police (M.)
  • 9de la Verpillière, major de la ville (M.)
  • 10Guillin, avocat, avait fait quelques écrits contre le prévôt des marchands, M. de Bellecise. M. de Boissieux, avocat, et Pressavin, chirurgien, furent mis à Pierre-Encise, compromis dans la distribution desdits libelles. (M.)

Numéro
$4846


Année
1773




Références

Lyon BM, MS 1072, (non numéroté)


Notes

Les textes ne sont pas numérotés .Deux exemplaires du même poème, se sucèdent, d’écritures différentes. Nous reproduisons le plus complet