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Le génie vengé

                               Le génie vengé

Tandis que, par les vents, balancé vers ses rives,

L’Océan, dans nos ports, tient nos flottes captives ;

Que, des mers de Cadix, menaçant l’ennemi,

D’Estaing montre à ses pieds son tonnerre endormi ;

Qu’enchaîné dans les cours, le démon des nouvelles,

Sur le sort des États est sans voix et sans ailes ;

Et quand, par ses frimas arrêtant nos succès,

Novembre aux nations semble apporter la paix :

Osons sur le Parnasse apporter la vengeance ;

Osons de la pensée asseoir l’indépendance ;

Et de son vaste empire où le goût fait les rangs,

Ainsi que de la terre, extirper les tyrans.

Et si le ciel, en moi, ne mit point cette flamme

Qui forme le génie, et qui seule en est l’âme,

O Juvénal ! c’est toi que j’invoque en ces vers.

Viens, de nos vils griffons châtier les travers.

Viens ; fais, pour écraser l’orgueil qui les tourmente,

Bouillonner dans mon sang ta verve foudroyante.

Viens punir, viens frapper ces frondeurs insolents,

Flétrir leur front stupide et vengeur des talents ;

Dispersant devant toi cette odieuse race,

Devant toi, pour jamais, en balayer la trace.

En vain le grand Louis, ce rival des Césars,

Pour cimenter sa gloire appelant les beaux-arts,

Semblait, dans son empire, avoir fixé leur trône ;

En vain de ces fleurons il orna sa couronne ;

Des Grecs et des Romains ranima les esprits,

Et fit passer la Grèce et Rome dans Paris :

Si des hommes fameux, chers à la poésie,

Mêlant à ses lauriers l’éclat de leur génie,

N’avaient fait, sur son règne et sa frêle grandeur,

Rejaillir de leurs noms l’immortelle splendeur ;

Si Boileau, par ses vers, son goût pur et sévère,

N’avait de l’art d’écrire éclairé la carrière ;

Si lui-même, couvert de succès éclatants,

Il n’eût pulvérisé les Cotins de son temps ;

Et de ces lourds frelons écrasant la vermine,

De leur piqûre immonde il n’eût vengé Racine.

Du faux goût, dans la France, apôtres odieux,

Ignorants à bien faire, et lâches envieux,

On les vit, de la scène étouffant les merveilles,

Aux Pradons en crédit immoler les Corneilles.

Le mérite éclatant fut proscrit, outragé.

Par leur sombre manœuvre, on vit le préjugé

Fasciner les esprits d’une tourbe d’esclaves,

Accabler la raison de ses lourdes entraves,

Tourmenter le grand homme, et comme un feu brûlant,

Dessécher, devant lui, les germes du talent.

Mais le Temps est un Dieu qui venge le Génie ;

Le Temps, d’un bras d’airain, a terrassé l’Envie.

Et quand l’affreux Zoïle, aux bords du Phlégéton,

Gémit, le cœur rongé des serpents d’Alecton ;

Le chantre des combats, vainqueur de ses outrages,

Dans l’éclat de sa gloire affermi par les âges,

·Voit, le front couronné de lauriers immortels,

L’encens des nations fumer sur ses autels.

Toutefois c’est en vain qu’on vengea le mérite ;

Hélas ! rien n’a détruit cette engeance maudite.

Et depuis trois mille ans, la race d’Anitus,

Hydre infestant les arts, les talents, les vertus,

Que sans cesse on écrase, et qui renaît sans cesse,

Vit et pullule encore au marais du Permesse.

C’est là qu’un Marsyas défie un Apollon :

Là, tenant à la fois, sous un sceptre de plomb,

Le Génie en tutelle et la Raison captive,

Desfontaines alluma cette guerre offensive.

On vit trente rhéteurs, écrivains embryons,

Au Mévius français, vendre leurs passions.

Le public révolté fut, dans mille brochures,

Contraint, par privilège, à lire mille injures :

Un sot ne voulut pas être un sot ignoré.

Du rôle d’Aristarque, un pédant enivré,

Vient, la marotte en main, réformer le Parnasse,

Catéchiser Tibulle, et régenter Horace.

Le plus mince écrivain s’érige un tribunal ;

Et nouveau pédagogue, en un nouveau journal,

Imitant du baudet l’insolente bravade,

Au lion de la fable allonge une ruade.

Le barreau, le théâtre, et la chaire, et les mœurs,

Tous les arts sont en proie à ses folles humeurs.

On dirait qu’un lutin, ennemi du génie,

Souffle, dans tous les cœurs, cette Fréromanie.

Ainsi, par numéros, pendant quarante hivers,

Un robuste forçat, fameux par ses travers,

Un tyran littéraire, écumeur du Permesse,

Des forfaits de sa plume, a fait gémir la presse.

Mais enfin, Sabatier dans la rixe apparaît,

Devient maître d’escrime et saisit le fleuret.

C’est lui qui, des talents censeur impitoyable,

Dans ce fameux procès est l’avocat du diable ;

Et qui, savant dans l’art de classer les erreurs,

Par ordre alphabétique aboya les auteurs.

Je ris quand je le vois, comme un autre Lucile,

Vomir sur les écrits les vapeurs de sa bile,

Soumettre à sa lunette et la prose et les vers,

Et coudre, en ses arrêts, le bon sens à l’envers.

Que dis-je ? convertir, par un abus étrange,

La louange en mépris, le mépris en louange ;

Canoniser Berthier, foudroyer Diderot ;

D’un sot faire un grand homme, et d’un grand homme un sot,

Et Prédicant gagé que l’intérêt anime,

Vendre, à deniers comptants, sa haine et son estime.

Arrête, esprit fougueux, bouillant confédéré,

Et modère un moment ton zèle immodéré.

Dis-moi sur quel écrit, d’une balance libre,

Ta main, sans trébucher, a tenu l’équilibre ?

Ton livre a-t-il un trait, de couleurs assorti,

Qui ne soit, par un autre, aussitôt démenti ?

Veux-tu, la trompe en main, au temple de mémoire,

Des enfants d’Apollon, préconiser la gloire ;

Et justement épris de son livre immortel,

Au tendre Fénelon y dresser un autel ?

C’est un devoir sacré que la raison commande :

Et je vais sur tes pas, y portant mon offrande,

De quelques grains d’encens brûlés en son honneur,

Acquitter le plaisir qu’il a fait à mon cœur.

Mais veux-tu, plus hardi, d’une main téméraire,

Apposer sur son front la couronne d’Homère ?

C’est ici qu’Apollon réprouve tes avis ;

Et du fond du trépied, dans le sacré parvis,

J’entends la voix du Dieu, troublant l’apothéose,

Te crier qu’il n’est point de poèmes en prose.

Ainsi donc, à ses yeux, l’un est blanc, l’autre est noir.

La férule, en ses mains, succède à l’encensoir :

Et toujours un arrêt, ou sévère ou propice,

Fait grimacer le goût et broncher la justice.

C’est une loi d’état parmi nous en vigueur,

Qu’un homme sans génie a le droit d’être auteur ;

Que, maçonnant sans art un livre abécédaire,

Il peut impunément ruiner un libraire.

Et l’on voit le marchand, à bon droit courroucé,

Maudissant mille fois l’auteur par A, B, C,

S’en aller, à l’abri des protêts consulaires,

Du bruit de sa déroute effrayer ses confrères.

Pourquoi tant d’écrivains à l’oubli condamnés ?

Tant de pères vivants de tant d’enfans morts-nés ?

Quel espoir les séduit ? quel démon les captive ?

Quel démon ! disait l’un ; il faut bien que je vive.

Il me semblerait voir, dans l’atelier des arts,

Un effroyable amas de rats et de lézards.

Leur souffle empoisonné flétrit les renommées.

Le Pinde est envahi par d’insolents Pygmées,

Hypocrites jaloux, ardents persécuteurs,

La honte de l’esprit, et l’opprobre des mœurs.

Ces docteurs pointilleux sèment la zizanie,

Le scalpel à la main, dissèquent le génie,

Et veulent qu’abaissant son vol audacieux,

Comme eux, il pense, écrive ; et qu’il rampe comme eux.

Pour servir leurs desseins, tout devient légitime :

La science est folie, et la sagesse est crime.

Si l’un insulte en prose, et se fait imprimer,

L’autre, malgré Minerve, en grondant, veut rimer.

Celui-ci devenu, par un destin contraire,

D’émule de Gerbier, pirate littéraire,

Lance, pour brigantins, ses cahiers imposteurs,

Vise, attaque, poursuit, détrousse les auteurs.

Rien n’échappe à la plume, au grappin du corsaire,

Le chef découronné de la horde sectaire

Semble élever encor, dans le sacré vallon,

Son front cicatrisé des flèches d’Apollon.

O chantre de Henri ; tandis que tes ouvrages,

Dans nos cœurs, malgré nous, arrachent nos suffrages ;

Tandis que chaque vers que ta bouche a dicté,

Porte le sceau vivant de l’immortalité :

Je crois le voir encore autour de ta statue,

Emblème figuré de la haine abattue,

Ramper en frémissant ; et prompt à s’élancer,

Ronger ton piédestal qu’il ne peut renverser.

Milton, d’un merveilleux voulut bâtir la fable :

Milton, pour son héros, alla chercher le diable.

Chargé d’ans, sans fortune, et privé de ses yeux,

Il chante le chaos, les enfers et les cieux ;

Il chante cet Adam, et son Ève naissante,

D’amour et d’innocence image ravissante ;

Des horribles démons la sombre majesté,

Et les purs séraphins rayonnants de clarté.

Ces tableaux où la force à la grâce est unie,

Quelle plume de feu les traça ? son génie.

Et si, de son vivant, Milton fut outragé,

L’hommage de l’Europe aujourd’hui l’a vengé.

Le divin Michel-Ange, héritier de l’antique,

Veut du premier apôtre orner la basilique ;

Et sur le faîte, au lieu d’un frivole ornement,

Veut, pour la couronner, asseoir un monument.

Ce fameux Panthéon qu’au rivage du Tibre,

Elevèrent jadis les mains d’un peuple libre,

Par sa masse imposante étonne l’univers :

Eh bien ! dit-il, je veux le placer dans les airs.

Son esprit le conçoit, et sa main l’exécute.

Nous vénérons Soufflot que Patte persécute ;

Soufflot qui, s’élevant de succès en succès,

A mérité le nom de Vitruve français ;

Et qui, sous les débris d’Éphèse et de Palmyre,

Fût chercher ces beautés, ces formes qu’on admire.

Mais son temple, malgré des complots odieux,

S’élève inébranlable, et se perd dans les cieux.

L’atteinte du chagrin put abréger sa vie ;

Son mérite à jamais est vainqueur de l’envie :

Et lorsque les beaux-arts, par un honneur nouveau,

Viendront y déposer sa cendre et son tombeau,

Ce dôme aérien et sa triple coupole

Formeront sur sa tête une triple auréole

Le talent est de faire, et non pas de juger.

Tous ces beaux correcteurs qu’il faudrait corriger,

Aux enfants d’Apollon apportent des entraves, -

Et d’un peuple pensant, font un peuple d’esclaves

Chaulieu, de la césure aimable insoucieux,

Modulait en buvant ses vers mélodieux,

Ses vers que l’on croirait d’Horace ou de Catulle.

Dans un siècle dévot, sa muse est incrédule :

Au lieu d’un vain travail, il aime un doux loisir ;

Et sait trouver la gloire en cherchant le plaisir.

La même liberté fait la grâce secrète,

Le goût pur et brillant des écrits de Villette,

Et de sa diction l’émail et la couleur :

Il parcourt vingt sujets, et n’en prend que la fleur.

Mais qu’un fat, orgueilleux d’exercer la censure,

Dictateur du lycée et rentier du Mercure,

Contrôle prose et vers ; et n’ayant rien à lui,

Rende compte, vingt ans, des ouvrages d’autrui.

Qu’un censeur inclément, sans mission, sans titre,

Lance contre Voltaire épitre sur épître,

Comme on dit qu’autrefois, en sa rébellion,

Encelade entassait Ossa sur Pélion ;

Et veuille, comme lui, poussé par la folie,

Escalader le ciel de la philosophie ?

Qu’un fils de Loyola, qu’un brouillon clandestin,

Caché sous le bonnet qu’avait porté Rollin,

Vienne, pour le plaisir que lui fait un volume,

Distiller, sur l’auteur, le venin de sa plume ?

Qu’un abbé de théâtre, Ésope-gazettier,

Nouvelliste aussi plat que mince fablier,

Barbouillant le revers de ses feuilles grossières,

Y loge les Neuf-Sœurs avec les chambrières ?

Oh ! j’estime bien plus ce rustre basané

Qui soumet à la bêche un sol abandonné,

Et fait germer le grain dont la saveur heureuse

Ranime du coursier la fougue impétueuse ;

Qui va dans les forêts, armé d’un large fer,

L’été couper le bois qui me chauffe l’hiver ;

Ou qui vient, de ma route, à grands coups de massue,

En cailloux incrustés parqueter l’étendue ;

De son cœur simple et droit, suit l’instinct assuré ;

Et qui dort au sermon que lui fait son curé.

Citoyen, en tout temps, utile à la patrie,

En tout temps il la sert, et jamais ne l’ennuie.

Faut-il, pour dernier trait, et d’un coup de pinceau,

Du satirique obscur achever le tableau ?

Suivez-le dans son antre où son démon le guide.

Sur un écrit naissant il porte un œil avide :

Son pouls est en désordre, et son cœur agité.

Comme on voit un hibou frappé de la clarté,

Sous un épais sourcil où la flamme étincelle,

Rouler obliquement une louche prunelle,

Et d’un cri désastreux soudain remplir les airs :

Tel Gilbert déclamait et sa prose et ses vers.

Archimède nouveau, fils aîné d’Uranie,

D’Alembert ! c’est ainsi que les traits de l’Envie

Ont, jusques dans tes mains, ébranlé ton compas.

Mais pardonne ; il est beau d’éclairer des ingrats ;

Et ce globe étonné, dont tu traças l’orbite,

Est le livre immortel où ta gloire est écrite.

Quand les feux du Midi, sur les ailes des vents,

Ont brûlé l’herbe tendre et desséché les champs ;

Si l’aurore au matin nous verse la rosée,

La terre qui languit en est fertilisée.

Des sillons imbibés, les humides canaux

Vont porter la fraîcheur au sein des végétaux.

Le gazon se ranime, et le jour voit éclore

L’émail éblouissant de Palès et de Flore.

La rose qui n’attend qu’un rayon de soleil,

Aux baisers du zéphyr ouvre son sein vermeil.

Ainsi des préjugés dissipant l’influence,

On voit fleurir les arts, aux beaux jours de la France,

Quand du prince éclairé les regards bienfaisants,

Près de son trône auguste appellent les talents.

Réaumur et Franklin, apportant la lumière,

Lèvent l’épais rideau qui couvrait la matière.

Au secteur de Clairaut, le globe assujetti,

Soumet ses flancs glacés et son pôle aplati.

Bouguer, un tube en main, sur le front des Étoiles,

Montre au navigateur le chemin de ses voiles.

Le Pline de Montbar, Condillac, Montesquieu,

Me font connaître l’homme, et la nature, et Dieu.

Rousseau, du cœur humain éclairant le dédale,

Dans sa mine profonde a creusé la morale.

Et lorsqu’enfin, de Gluck, les sublimes concerts,

Ici, m’ouvrent les cieux ; là, m’ouvrent les enfers ;

Tous les arts à la fois étalent leur magie :

Van Loo donne à la toile et le souffle et la vie ;

Bouchardon, dans la fonte, anime le métal ;

Et le marbre est vivant sous la main de Pigal.

Un Eschyle nouveau, s’emparant de la scène,

D’un cothurne plus sombre a chaussé Melpomène.

Molière a vu Regnard, Destouches et Piron

Dérober, dans ses mains, son masque et son crayon,

Bernis, sur un luth d’or, et du ton des Horaces,

A chanté les Saisons, les Heures et les Grâces.

Au noir persécuteur caché sous un manteau,

Voltaire, en mille écrits, arrache le couteau ;

Et d’un coup de sa plume, avec un ris caustique,

Assourdit, en passant, le frelon qui le pique.

Anglais, baissez le front ; vous, Grecs, et vous, Romains,

L’univers voit en lui le plus grand des humains.

De la muse tragique illustrant le domaine,

Son génie a conquis le sceptre de la scène ;

Et sa main, jeune encore à quatre-vingts hivers,

Sut encore y cueillir des lauriers toujours verts.

Sous le poids de sa gloire, ô douleur ! il succombe.

Les Beaux-Arts éplorés gémissent sur sa tombe ;

Et l’Envie, accourant par un dernier effort,

Vient troubler à grands cris le sommeil de sa mort.

Bienfaiteurs des humains ! voilà votre partage ;

Des honneurs, des affronts, le triomphe et l’outrage.

Mais comme un trait de feu, du sein des préjugés,

La vérité se montre, et vos droits sont vengés.

Eh ! qu’importe, envers vous, le tort de la patrie ?

Elle insulte à vos noms : l’univers les publie.

Et vos sages écrits, en cent lieux répandus,

Vont, dans le cœur des rois, réveiller les vertus.

Le Salomon du Nord que la Gloire environne,

Forme vos nourrissons à l’ombre de son trône ;

Et monarque à la fois aussi juste que grand,

Joint la palme du sage au fer du conquérant ;

Aux vautours de Thémis arrache leur victime,

Et relève, en pleurant, le pauvre qu’on opprime.

Joseph, chez les Germains, sans faste, sans flatteurs,

Foule aux pieds la mollesse, et règne par les mœurs.

Sous la zone cimbrique, un nouveau Triptolème

Met le soc en honneur, et s’honore lui-même.

A Lisbonne, à Madrid, on entend vos leçons :

Je vois le fanatisme éteindre ses tisons.

Toi dont la main soutient, du haut de la Russie,

Un sceptre qui s’étend sur l’Europe et l’Asie ;

Orné par tes vertus, ton génie et tes lois,

Le trône où tu t’assieds est l’école des rois.

L’humanité, les mœurs, les arts, la tolérance,

Rendent tous les humains heureux sous ta puissance ;

Et tes vastes bienfaits, franchissant tes États,

Vont te gagner les cœurs où tu ne règnes pas.

Cependant Romanzoff fait gronder ton tonnerre ;

L’Orient retentit du clairon de la Guerre ;

Le Danube éperdu revoit en frémissant

Ton aigle impétueux fondre sur le Croissant.

Mais déjà souriant à la terre éplorée,

Catherine est pour elle une nouvelle Astrée ;

Et sa main désarmant ses valeureux guerriers,

Unit Minerve à Mars, et l’olive aux lauriers.

Numa, père des lois, Titus et Marc-Aurèle,

Ainsi se sont couverts d’une gloire immortelle.

La paix, la bienfaisance, et non pas les exploits,

Sont les vertus du trône, et forment les grands rois.

Le Bosphore est calmé : les aigles déchaînées

Qui couvraient de leur vol cent villes consternées,

Sur leurs foudres éteints, dorment en Orient.

L’homme a repris ses droits ; et je vois l’insurgent

Briser du despotisme et le sceptre et le glaive.

Aux champs américains la Liberté s’élève,

Du triple Léopard écrase la fierté,

Pose sur un trident son bras ensanglanté ;

Et le front couronné des voiles d’un navire,

Étend sur l’univers sa gloire et son empire.

Voilà donc ton ouvrage, et voilà tes bienfaits,

O Louis ! ô bon prince adoré des Français !

Qui, répandant sur tous tes bontés souveraines,

Pour empire a le monde, et les cœurs pour domaines !

Éternel souvenir d’allégresse et d’amour !

Il t’est donc réservé ce jour, cet heureux jour

Qui verra près du trône, en offrandes communes,

Les Ordres de l’État confondre leurs fortunes ;

Et ton peuple affermir ses droits, sa liberté,

Par les liens sacrés de la fraternité :

Qui verra, sous l’effort des bras patriotiques,

Crouler, de tes visirs les prisons tyranniques ;

Le noble déchirer son code féodal,

Être homme, et dans son serf embrasser son égal :

Qui verra, d’Israël, les tribus délaissées,

Et du culte chrétien, les sectes dispersées,

Désormais commerçants, agricoles, guerriers,

Obtenir parmi nous un temple et des foyers ;

Et toi-même, au milieu d’un concert de louanges,

Venir sanctionner ces changements étranges ;

En restaurant la France, obéir à ton cœur,

Et du bonheur de tous composer ton bonheur ;

Être enfin, sous l’éclat dont la majesté brille,

Un père environné d’une immense famille.

Tu rendras à nos vœux le dernier des Henris.

Tel que l’astre éclatant du céleste lambris,

Ranimant à la fois le ciel, l’onde et la terre,

Fier et majestueux, s’élève en sa carrière ;

Tu sus dès ton aurore, à ta puissante voix,

Ressuscitant les mœurs, l’abondance et les lois,

Couvrir ton jeune front des rayons de la gloire :

Et l’éloge des rois est déjà ton histoire.

 

Numéro
$7583


Année
1780

Auteur
Guyétand



Références

Poésies satyriques, t. II, p. 211-224 - Satiriques des dix-huitième et dix-neuvième siècles, p.246-57