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Tout finit par des chansons

Tout finit par des chansons1
Cœurs sensibles, cœurs fidèles,
Par Beaumarchais offensés,
Calmez vos frayeurs cruelles,
Les vices sont terrassés :
Cet auteur n’a plus les ailes
Qui le faisaient voltiger ;
Son succès fut passager.

Oui, ce docteur admirable
Qui faisait hier l’important,
Devient aujourd’hui traitable,
Il a l’air d’un pénitent.
C’est une amende honorable
Qu’il devait à l’univers
Pour sa prose et pour ses vers.

Le public qui toujours glose,
Dit qu’il n’est plus insolent
Depuis qu’il reçoit sa dose
D’un vigoureux flagellant.
De cette métamorphose
Il nous apprit le pourquoi :
Les plus forts lui font la loi.

Un lazariste inflexible,
Ennemi de tout repos,
Prend un instrument terrible
Et l’exerce sur son dos2  :
Par ce châtiment horrible
Caron est anéanti ;
Paveant male nanti.

Gœzmann, au gosier d’autruche,
Que la pitié n’amollit,
Au patient qui trébuche
Répète un dicton qu’il fit :
Tant à l’eau s’en va la cruche
Qu’à la fin elle s’emplit ;
Quoiqu’un peu tard, il suffit.

Quoi ! c’est vous, mon pauvre père,
Dit Figaro ricanant,
Qu’à coups nombreux d’étrivière
On punit comme un enfant !
Cette leçon salutaire
Apprend qu’un juste retour
A chacun donne son tour.

Brid’oison, qui voit la fête,
En paraît très satisfait :
Ah ! dit-il, branlant la tête,
Comme un sot il me peignait :
Mais, si je suis une bête,
Avec tout son esprit, ma foi,
Le voilà plus sot que moi !

Sans doute la tragédie
Qu’il nous donne en cet instant,
Vaut mieux que la comédie
De cet auteur impudent.
On l’étrille, il peste, il crie,
Il s’agite en cent façons :
Plaignons-le par des chansons.

  • 1« Dans la foule des vaudevilles faits à l’occasion du châtiment exercé sur le sieur de Beaumarchais, voici le plus passable, dont quelques couplets ont d’autant plus de sel qu’ils sont calqués heureusement sur ceux qui terminent Le Mariage de Figaro. » (Mémoires secrets)
  • 2L’une des estampes satiriques qui furent gravées à l’occasion de l’emprisonnement de Beaumarchais à Saint-Lazare représentait l’auteur du Mariage de Figaro, culotte basse, ayant à ses côtés deux abbés qui tenaient chacun une basque de son habit et recevant d’un frère lazariste la correction infligée d’ordinaire aux détenus. Sur le mur on voyait écrit : Tant va la cruche à l’eau qu’enfin elle s’emplit. Dans une autre figurait l’épouse de Gœzman tenant à la main un perroquet qui répétait, Fouettez, fouettez fort. (R)

Numéro
$1568


Année
1785




Références

Raunié, X,190-92 - F.Fr.13653, p.463-65 - BHVP, MS 707, f°10v-11r - Mémoires secrets, XXVIII, 90-193 - CSPL, t.XVII, p.419-21