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Entretien de Mlle Cadière avec son directeur…

Entretien de Mlle Cadière avec son directeur,
le jour de l’arrivée de ses juges
C’est ton amant que tu livres aujourd’hui,
Qu’on doit juger à une mort terrible.
Tes yeux sont bien plus coupables que lui,
Puisque c’est eux qui l’ont rendu sensible.

La pénitente
Oses-tu bien, ingrat, te présenter
Après m’avoir préféré Batarelle1 ?
Ta seule mort pourra me contenter.
Je souhaiterais qu’elle fût bien cruelle.

Je t’aimais seule et goûtais le plaisir
De te livrer et mon corps et mon âme,
Mais mon amour ni mes tendres soupirs
N’ont pu fixer ton inconstante flamme.

Tu contentais toute ma passion,
Tu me faisais honorer comme sainte,
Et pour flatter ma sotte ambition
Tu fis donner le prélat dans ma feinte.

Quand je sortais de tes bras toute en feu,
Mes pâmoisons passaient pour des extases ;
On s’écriait en regardant mes yeux :
C’est ton amour, Esprit Saint, qui l’embrase.

Ce n’est pas tout, sans péché nous faisions
Ce que l’on fait quand on peuple le monde,
Puisque suivant la savante Guyon2
Le parfait peut voir la brune et la blonde.

Te souvient-il de ma soumission
A contenter le goût de saint Ignace ?
Quand du plaisir j’entrais en pâmoison
Tu me tournais pour le changer de place.

Le directeur
Quoi, tant d’amour finir dans un moment
Pour un baiser donné à Batarelle !
Tant de fureur et tant d’emportement !
Je mourrai donc pour une bagatelle ?

J’accepterais avec plaisir la mort
Si tout mon sang pouvait te satisfaire
En expirant je bénirais mon sort
D’avoir au moins désarmé ta colère.

La pénitente
Tu m’attendris, je sens couler mes pleurs
Je me repens de ma jalouse rage
Je finirais bientôt tous tes malheurs
En attendant, prends ce baiser pour gage.

  • 1C’est une de ses pénitentes qui a déposé contre lui et qui se plaint d’avoir été baisée. (M.)
  • 2Mme Guyon, fameuse quiétiste condamnée à Paris. (M.)

Numéro
$1940


Année
1731




Références

Clairambault, F.Fr.12702, p.235-38 - Maurepas, F.Fr.12632, p.267-71 - F.Fr.23859, f°34