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Portrait du siècle

Portrait du siècle
Crains tout de ton ami, crains tout de sa faiblesse,
Il n’est plus de sincérité.
Le siècle est corrompu, on n’y voit que bassesse,
On n’y voit qu’infidélité;
La bonne foi n’est plus qu’une chimère exquise,
L’intérêt a rendu la trahison permise.
L’honnête homme, l’homme de bien
Se fait une vertu facile.
Il ne sépare plus l’homme de l’utile,
Et quand l’intérêt parle, il n’écoute plus rien.
Si son vice produit une heureuse abondance
Il n’y voit plus rien d’odieux,
Ou s’il est vrai qu’il voit l’horreur et son offense,
La douceur qu’il en tire est qu’il aime le mieux,
Et pour se dérober au remords qui le gêne
Il charge le destin du penchant qui l’entraîne
Au lieu de l’avoir combattu ;
Il contraint la raison d’entrer dans ce qu’il aime
Et ne pouvant monter jusques à la vertu
Il la fait descendre elle-même.
Un scélérat qui voit que l’on aide à ses vœux
Croit que les lois ne sont que pour les misérables
Que le malheur fait les coupables
Et qu’on est innocent dès lors qu’on est heureux.
Selon le rang qu’on tient le crime se mesure,
Il change les grands de nom et de nature,
La justice chez eux n’est que raison d’État
Que la fortune communique.
Il faut oser faillir pour pouvoir s’élever
Le bonheur ne fuit point la timide innocence.
Qui forme un grand dessein ne saurait l’achever
Que la vertu ne souffre un peu de violence.
Pour monter aux grandeurs il faut avoir recours
A des ménagements, à de lâches détours ;
Qui ne relâche rien de la délicatesse
Dans tout ce qu’il projette avance faiblement,
On n’acquiert pas les biens à force de sagesse,
Qui veut les mériter les obtient rarement.
Ce n’est plus la vertu qui règne dans les cœurs.

Numéro
$1886


Année
1718




Références

F.Fr.10475, f°187