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Critique du brevet accordé à M. Hérault, Lieutenant Général de Police

Critique du brevet accordé à M. Hérault,
lieutenant général de police
Un de ces jours passés, Momus,
Voulant réformer des abus
Paraissant de grande importance,
Par une divine ordonnance
Donne l’ordre que promptement
On assemble son Régiment.
On bat la caisse à toute outrance ;
D’abord arrivent des plumets,
Des robins, des petits collets,
Gens de cour et gens de finance,
Des auteurs, des comédiens,
Jeunes prudes, vieilles coquettes,
Des farceurs, des musiciens,
Des bourgeois et des grisettes.
Il en vint de tous les états,
Même jusqu’à des prélats.
Enfin ce qui compose un si joyeux empire,
Prompt à présenter ses respects
Par députés s’adresse au dieu de la satire,
Dit qu’ils étaient tout prêts de remplir ses souhaits
Et pour mieux témoigner le désir de lui plaire,
Ils firent cent contes malins,
Dignes de parfaits calotins.
Momus, du satirique et plaisant badinage
De tout temps fut le protecteur,
Dit le dieu, mais d’un sot ouvrage
Il n’épargna jamais l’auteur.
Ceci n’est pas dit sans mystère,
Il est ici quelque faux frère.
Qu’on le cherche, enfants, on doit être puni
Quand mal à propos on s’ingère
De donner des brevets. Vite qu’on le lacère,
Et que le délinquant sur-le-champ soit banni.
Tel qui veut se mêler d’écrire,
Aux dépens d’autrui qui veut rire,
Doit avec art, avec discernement
Savoir saisir son ridicule
Et le peindre avec agrément.
Il n’est pas dans le cas ; je me ferais scrupule
De pardonner à ce mauvais plaisant.
Anathémisons ce brevet
Dont l’auteur me paraît un ignorant complet.
Qu’il passe sous notre férule.
Connaissez-vous ce pauvre sexe
Que le chef de police vexe
À cause de l’aversion
Qu’il a reçue de l’éducation.
Le trait vous regarde, Mesdames.
Il ose dans ses vers vous qualifier de femmes,
Toutes clientes de Cypris,
J’entends Cypris la débauchée
Qui du mal immonde entichée
D’un souffle venimeux empoisonne Paris.
Hé quoi, ce magistrat dont la rare prudence
Des plus honnêtes gens fait l’admiration
Ne doit-il pas régler sur son intention
Chaque affaire de conséquence ?
Recevoir ses avis avec soumission,
Régir au gré de son caprice
Ce qui concerne la police ?
Ce pauvre hère est-il à sec
Quand il nous vient parler des crottes de la ville ?
N’a-t-il pas, lui, tiré du grec
Que dans juin, juillet, fort utile
Est l’eau pour tempérer la chaleur du soleil.
Oh, l’habile ouvrier, l’écrivain sans pareil :
Partout uniforme en son style
Il n’est qu’en sottises fertile.
Seigneur, dit un quidam, qu’un trop juste mépris
De sa pièce qu’en conscience
On peut dire un précis de toute impertinence,
À jamais soit le digne prix.
Non, non, dit Momus en colère,
J’ai décidé de son salaire.
Un des goujats du bataillon,
Charmé de ce beau carillon,
Allait exécuter la sentence divine
Quand le chant d’une bête asine,
Dont fort distinctement on entendit le son,
Suspendit l’exécution.
C’étaient les députés de Montmartre et d’Asnières,
Qui, sur le bruit confus de la punition
Dont on menaçait leur confrère
Arrivaient à grand trot et sans discrétion
Au dieu demandaient audience.
Martin Baudet, âne d’esprit,
Et qui dans l’assemblée a le plus de crédit,
Au trône de Momus s’avance
Et d’un ton fort bruyant lui dit :
Seigneur, nous réclamons l’auteur de cet écrit,
C’est sur nos bancs fameux qu’il a pris ses licences.
Jadis, il fut instruit par Maître Aliboron,
Digne chef de nos conférences.
Je lui rends devant vous, et son rang et son nom ;
À ma place il fera merveille,
Car son style est bassement net.
Oui, Monseigneur, je dois lui céder mon bonnet.
Que ne puis-je aussi bien lui céder mes oreilles.

 

Numéro
$4239





Références

F.Fr.12785, f°154v-155v - Lille BM, MS 63, p.352-59