Aller au contenu principal

De l’art de prêcher.

               De l’art de prêcher

A Monsieur l’abbé de ***

Enfin tu vas prêcher, la liste le publie

Et fait voir imprimés ton nom et ta folie.

Mais de tous les desseins où l’on veut s’attacher,

Sais-tu que le plus rude, abbé, c’est de prêcher ?

Ce dessein, diras-tu, n’a rien pour moi de rude ;

J’ai des forces, du feu, de l’esprit, de l’étude,

Et jamais sur les bancs on ne vit bachelier

Qui sut mieux à propos interrompre et crier.

D’ailleurs j’ai du bon sens, et pour la bonne grâce

Il n’est point à la Cour d’abbé que je n’efface.

J’ai le geste réglé, la main belle et l’air vif ;

Je rends à mes discours l’auditeur attentif.

Ma voix d’un ton perçant le frappe et le réveille

Et jusques au dernier va chercher son oreille.

Faut-il être savant ? Je sais mon saint Thomas.

Faut-il être poli ? Je sais mon Vaugelas ;

Mon style est noble et pur, et sur le beau langage

Je ferais au besoin des leçons à Ménage.

Avec moins de talents dix abbés ont prêché,

Dix abbés que le Roi destine à l’évêché.

J’attends de mes sermons la même récompense.

En un mot, c’est est fait ; mercredi je commence.

Du moins, si c’en est fait, avant de commencer

Lis ici les conseils que je te vais tracer.

Commence à croire enfin ce dessein dificile,

Instruis-toi de ton art, écoute, sois docile ;

Travaille sans relâche ou renonce au métier ;

Assez d’autres sans toi pourront nous ennuyer.

Prêcher n’est pas un art dont l’humaine science

Par des principes sûrs donne l’intelligence.

Dieu qui le connaît seul, peut seul le découvrir,

Et seul, quand il lui plaît, nous le faire acquérir.

Tous les talents qu’en toi tu prétends qu’on admire,

L’air, le geste et la voix ne sont rien, pour bien dire.

Par là, sur le théâtre on estime un acteur ;

Par là, dans le Palais on loue un orateur,

Joignant à ces talents une vaste science

Le mignon voit partout vanter son éloquence

Quand d’un esprit si juste et d’un style si net

D’une cause embrouillée il explique le fait,

Et laissant des plaideurs la longueur inutile

Il ramasse en deux mots ce qu’ils ont dit en mille.

Mais ce qui fait tout l’art d’un métier si vanté

Est du prédicateur la moindre qualité.

Il faut pour en tracer le parfait caractère

Que la grâce dans lui se joigne à l’art de plaire.

Car dis-moi, cher abbé, si l’on doit en prêchant

Désabuser l’impie et damner le méchant,

Et combattant l’erreur d’une âme prévenue

Faire suivre au pécheur une route connue,

Apprends-moi par quel art ce miracle est produit.

Dieu, répond un chrétien, de sa croyance instruit,

Dieu seul tient dans sa main cette puissante grâce.

L’homme de son côté prêche, exhorte, menace.

Mais quoi qu’il puisse faire, il prêche vainement

Si Dieu de ses desseins ne le fit l’instrument,

Ne l’anime, et dans l’âme, à l’entendre occupée

Ne fait entrer la voix dont l’oreille est frappée.

Voilà ce qu’un docteur, abbé, te répondra

Et que mieux qu’un docteur la raison t’apprendra.

Ainsi, lorsqu’en public tu brûles de paraître,

Consulte-toi d’abord et tâche à te connaître.

Ton cœur est-il ému des célestes ardeurs

Qui des premiers chrétiens échauffèrent les cœurs ?

Je ne t’arrête plus ; va prêcher, monte en chaire,

Sans relâche aux péchés va déclarer la guerre.

Tes serments aussitôt éveillant les pécheurs

Se jetteront en foule aux pieds des confesseurs.

Mais si d’un vil intérêt tu suis la maxime,

Du public en prêchant, si tu brigues l’estime,

Si tu veux, peu sensible aux progrès de la foi,

Quand on parle de Dieu, qu’on ne pense qu’à toi,

Non, ce n’est point prêcher, c’est oser dans l’église

Faire ce qu’au théâtre à peine on autorise.

Mieux que toi le bourreau, moins que toi criminel,

Au métier que tu fais réussit à l’Hôtel.

Mais qui sait, diras-tu, si le feu qui m’enflamme

N’est point le feu divin allumé dans mon âme ?

Et si Dieu qui toujours est libre dans son choix

Pour convertir les cœurs n’a point choisi ma voix ?

Veux-tu que sur ce doute, abbé, je t’éclaircisse ?

Ecoute, applique-toi, réponds sana artifice.

Toi qui prétends frapper la dureté des coeurs,

As-tu pris soin, dis-moi, de réformer tes mœurs ?

Et si la mode était à la fin du Carême

De prêcher à son tour le prédicateur même,

Ne te pourrait-on point adresser tes sermons,

Et te combattre aussi par tes mêmes raisons ?

Certain prédicateur, homme, dit-on, habile,

Et qui d’un air touchant expliquait l’Évangile,

Contre l’excès du luxe ayant un jour prêché,

Un bourgeois, homme simple, en eut le cœur touché,

Et sortant du sermon alla dire à sa femme

Q’uil voulait tout quitter pour sauver sa pauvre âme.

Tout quitter ! lui dit-elle ; oui, c’est ce qu’il a dit.

Il faut pour se sauver n’avoir qu’un seul habit.

J’en ai deux ; j’en garde un ; pour l’autre, tu vas le prendre,

Et porte à l’hôtel-Dieu l’argent qu’on le peut vendre.

Ne peut-on de l’arrêt adoucir la rigueur,

Dit-elle, et voir un peu ce beau prédicateur ?

Elle va donc chez lui. Mais Monsieur est à table,

Lui répond le valet d’un ton peu charitable.

J’attendrai… D’aujourd’hui vous ne sauriez le voir,

Quand il se met à table, il en a jusqu’au soir.

Ce soir je reviendrai… Mais c’est peine inutile.

Monsieur n’y sera pas, il va jouer en ville.

Ne peut-on point du moins l’entretenir demain ?

Venez, mais gardez-vous de venir trop matin.

Elle vient au valet et demande le maître.

Dans un moment, dit-il, vous le verrez paraître.

Attendez… Mais si tard, il est encore au lit ?

Non. Pour aller aux champs, Monsieur change d’habit.

Change d’habit ? dit-elle, adieu je me retire.

Puisqu’il a deux habits, je n’ai rien à lui dire.

Elle sort aussitôt et va faire au logis

Le conte du festin, du jeu, des deux habits,

Et l’exemple aisément dissipa le scrupule

Que donnait le sermon au bourgeois trop crédule.

C’est ainsi qu’en prêchant on fait si peu de fruit.

Le sermon édifie et l’exemple détruit.

En vain sur les leçons par les pères prescrites,

Tu relis nuit et jour tes sermons hypocrites.

Si tu veux me toucher, fais remarquer en toi

Les vertus qu’en prêchant tu veux produire en moi.

Ainsi par leur exemple ont prêché les apôtres,

Et par l’exemple aussi doivent prêcher les autres.

On a beau dire vrai, raisonner et crier,

De tous les arguments l’exemple est le premier.

Commence donc par là, résous-toi de te taire

Et puis, Pâques venu, va dans un séminaire

Renfermer pour tois ans cet impudent désir.

C’est là que tu pourras te former à loisir.

Là, devenu dévot, modeste, humble et sincère,

Charitable au prochain, à toi-même sévère,

Libre enfin des défauts qu’on te peut reprocher,

Je te croirai du Ciel envoyé pour prêcher.

Ce conseil te déplaît ? – Pourquoi tant de retraite ?

Non, non, je veux prêcher, c’est une affaire faite.

Mercredi l’on m’attend, et qui peut mieux que moi

Soutenir aujourd’hui ce difficile emploi ?

Et puis, vous le savez, ma parole est donnée

Et sur le livre, en forme, avec mon nom signée.

Voulez-vous qu’en manquant au Carême promis

J’afflige mes parents, j’irrite mes amis

Qui tous avec chaleur ont brigué cette chaire,

Et pour me la donner remué ciel et terre.

Enfin elle est à moi, je la veux conserver.

Une chaire n’est pas si facile à trouver.

Je n’ai pas, il est vrai, les vertus d’un apôtre,

Mais je suis honnête homme, et je vis comme un autre.

Numéro
$7101


Année
1730 ?




Références

BHVP, MS 602, f°102r-104v