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Les Talents du cardinal Fleury

Les talents du cardinal Fleury
Un envieux m’avait mis en malaise,
En m’ayant exilé
De mon réduit, trop heureux et trop aise1 .
Un roi m’a rappelé,
Et j’ai chassé qui m’a donné la chasse ;
Car j’ai pris sa place,
Moi,
Car j’ai pris sa place.


En me biglant, il me fit la grimace
Lorsqu’il me renvoya ;
Mais d’un air gai je lui ris avec grâce
Lorsqu’on me rappela.
En fin renard j’ai su lui faire nique ;
Je suis politique.

Loin de la cour j’ai su bannir le crime
En chassant les putains
Par ce grand coup, j’ai mérité l’estime
Des doux et des mutins.
Comme jadis une habile Éminence,
Je conduis la France.

Sans consulter ni blonde ni brunette,
En politique fin,
On m’a doué d’une noble barrette :
Prédisant un Dauphin,
Par action, par jeûne et par prière,
J’aide à le faire.

Du roi Louis, pour détruire les craintes
Qu’il a sur ce point-là,
Le jour, je prie et les saints et les saintes ;
Et, sans demeurer là,
Comme aux grands coups la nuit est fort propice,
J’offre un sacrifice.

Je fais la loi aux deux bouts de la terre
Sous le nom de mon roi.
Les potentats, de crainte de la guerre,
Viennent m’offrir leur foi ;
On ne peut craindre un accident sinistre,
Je suis bon ministre.

Si le congrès2 est toujours en balance,
C’est que je le veux bien :
Les envoyés dictés par ma prudence
N’accordent jamais rien :
Sur chaque point ils proposent un doute,
Et l’on m’y redoute.

Si Richelieu, ce politique habile,
Ministre des François,
Par son grand cœur se rendit tout facile
Et fit partout des lois ;
Dans peu, je veux, et sans m’en faire accroire,
Surpasser sa gloire.

S’il augmenta le pouvoir de ses princes
Jusqu’au delà du Rhin ;
S’il abaissa des mutines provinces
Le pouvoir souverain ;
Pour coup d’essai, la première campagne,
Je bats l’Allemagne.

Les Hollandais, I’Allemand, I’Angleterre,
Verront nos étendards,
Comme en trophée au milieu de la terre,
Plantés de toutes parts ;
Et l’on dira, au nom du roi de France,
Vive l’Éminence !

Je laisserai reposer le Saint-Père
Et les bons Mulsulmans ;
Car je craindrais qu’ils noyassent la terre
D’une mer de croyants ;
L’un croit en Dieu et l’autre au grand prophète,
Je suis de leur secte.

Je ne mets point dans aucune dispute
La Constitution.
J’agis ainsi pour que l’on ne m’impute
Nulle division.
Si l’on me croit khalife ou bien apôtre,3
Je suis l’un et l’autre,
Moi,
Je suis l’un et l’autre.

  • 1Le duc de Bourbon.
  • 2Le congrès réuni à Soissons (juin 1728), pour régler les difficultés politiques qui existaient entre la France, l’Angleterre, la Hollande, I’Espagne et l’Autriche. Fleury le présida en qualité de premier plénipotentiaire. (R)
  • 3Si tout me croit archifou ou bien apôtre (Arsenal 3116)

Numéro
$0648


Année
1726 (Castries) / 1728




Références

Raunié, V, 145-48 - F.Fr.12674, p.138-44 - F.Fr.15132, p.140-46 - Arsenal 2391, f°107v-111r - Arsenal 3116, f° 62r-63v - BHVP, MS 658, p.85-88 - Mazarine, MS 2164, p.224-29 - Mazarine Castries 3984, p.130-34 - Toulouse BM, MS 856, f°112r-116v