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Déclaration du Dieu Momus sur la démission des charges du Parlement

Déclaration du dieu Momus sur la démission
des charges du Parlement
De par le dieu porte-marotte,
Nous, général de la Calotte,
Après avoir délibéré
Sur les mouvements d'un empire
Où chacun à peine respire,
Tout mûrement considéré,
Jugeons qu'il est de la prudence
De mettre promptement un frein
À cette fière indépendance
Qu'affecte un jeune souverain.
Non pourtant qu'en ce cas sinistre
Il faille le rendre garant
Des fautes du premier ministre,
Moins fougueux encore qu'ignorant,
Mais c'est à nous de le restreindre
À des pouvoirs plus limités.
Autant que lui nous devons craindre
Qu'on en vienne aux extrémités,
Qu'en rappelant l'ancien usage
Les lois ne reprennent vigueur
Et qu'un gouvernement trop sage
Ne succède à tant de rigueur.
De combien d'horreurs et d'alarmes
Deviendrait-il alors le prix ?
Et Momus, le père des ris,
Qui n'aime le sang ni les larmes.
Il faut prendre un juste milieu
Et dépouiller tout cœur de bronze.
Je jure par le pasque-Dieu
S'écriait jadis Louis Onze
En menaçant son parlement,
Et c'était là son grand serment,
S'ils portent, dit-il, l'insolence
Même jusqu'à ne pas courir
Au-devant de mon ordonnance,
Je vais les faire tous mourir.
L'intrépide La Vaquerie
À leur tête s'offrit d'abord
Aux yeux du tyran en furie.
Que veulent ces gens-ci ? La mort,
Lui répondit-il. À ce terme,
Louis demeura comme un terme.
Puis il reprit d'un air transi :
Allez, n'ayez aucun souci.
Rare exemple d'un corps auguste
Dont l'honneur fut si bien servi.
C'est dans un cas encore plus juste
Que vous venez d'être suivis
Sur une route lumineuse.
C'est toi, Thémis, que j'aperçois.
Je vois à ta suite nombreuse
Qu'il est encore des cœurs françois.
Sur tes races quelle jeunesse
Marche d'un pas majestueux ?
Et dans tes vieillards vertueux
Quel air riant, quelle allégresse,
Et qui pourrait dire à les voir
Qu'aux pieds du Roi, sans nul espoir,
Tous pleins de la cause commune
Ils vont remettre leur fortune
Pour ne pas trahir leur devoir ?
Mais quel est en effet le crime
Qui vient de leur être imputé ?
À Louis ont-ils disputé
Une puissance légitime ?
Au contraire, c'est pour la loi
Que chacun fièrement s'escrime
Pour les vrais intérêts du Roi.
C'est à qui se rendra victime
En lui servant partout d'appui.
Sur la tête qu'elle environne
On veut enfoncer la couronne
Qu'il semble porter malgré lui.
Vous, que d'honorables disgrâces
Par un ordre trop incivil,
Viennent d'arracher de vos places
Pour vous conduire dans l'exil,
Tout vous associe à la gloire
De vos illustres compagnons.
Le chœur des filles de Mémoire
Confond vos vertus et vos noms.
Et toi, dont la fortune étonne
Fils de la terre et qui plus fier
Que si tu portais la couronne,
Dans la foule qui t'environne
Confonds le prince et l'estafier
Viens, et contemple ton ouvrage
Vois l'État près de faire naufrage,
Vois le renversement des lois,
La religion aux abois,
Tant de provinces opprimées,
Victimes d'un cruel abus,
On lui occupe les armées
Qu'ont levé d'injustes tributs.
Partout le cri du peuple perce,
Ce ne sont que regrets amers.
On voit, ainsi que du commerce,
Nos voisins, les tyrans des mers,
Et l'Europe qu'on renouvelle.
Sourd au bruit des ressorts secrets
Quel autre soin dans ta cervelle
Croise de si grands intérêts ?
J'entrevois l'objet qui te frappe,
Et s'il faut que le mot m’échappe,
Tu veux sur un fatal écrit
Mettre la pantoufle du Pape
À la place de Jésus-Christ.
La conjoncture est délicate.
Il faut prendre un sage parti
Et tel qu'enfin chacun se flatte
De n'avoir pas le démenti.
Pour rétablir l'intelligence
Sous cette auguste autorité
Qui tient en ses mains la balance
Que l'un prononce avec fierté
Plus maître de sa contenance
Mais que ce soit sur l'équité
Qu'il fonde sa toute-puissance.
Qu'avec un petit mot jeté
Qui fasse honneur à la clémence
D'un Roi sans sujet irrité ;
Des dehors de l'obéissance
L'autre couvre sa fermeté.
Quant à l'appel interjeté,
Suivi d'une étrange ordonnance,
Que les traits d'un respect profond
En fassent toute la réforme.
Ce que la cour perd sur le fond
Peut se retrouver sur la forme.
Fait dans le temple calotin
Assez près des jardins de Flore
Où, de la main d'une catin,
Sortit au lever de l'aurore
Le mandement le plus mutin1
Que l'erreur ait produit encore.
Momus, et plus bas Saint-Martin.

 

  • 1Ouvrage des PèresLallemand et Berroyer, jésuites, fait à Auteuil, chez Mme Galpin.

Numéro
$4081





Références

1754, V,126-31 -F.Fr.10286 (Barbier), f°355-56 -  F. Fr.10476, f°212-214 - F.Fr.12655, p.219-24 - F.Fr.12785, f°204 - F.Fr.12800, p.345-50 - F.Fr.15146, p.145--55 - Stromates, I, 253 (les sept derniers vers) - BHVP, MS 665, f°7 - Mazarine, 3971, p.489-509 - Bordeaux BM, MS 693, p.679-83 - Lille BM, MS 64, p.396-405 - Lyon BM, Palais des Arts, MS 51/2, f°176r-178r - F.Fr.15021, f°11v-14r


Notes

Imprimé à la suite de L’Enfer révolté dans l’édition ayant pour titre : Les Nouveaux appellants ou la Bibliothèque des damnés. Nouvelles de l'autre monde, [S. l., 1732] - Le mandement de l’archevêque de Paris contre les NE a été, dit-on, dressé à Auteuil chez Mme Galpin dont la maison de campagne est célèbre par les fréquentes assemblées des plus illustres molinistes.