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Brevet etc. [au sujet de Colombat]

Brevet pour Colombat
Nous, de Calotte les Régents,
À tous sujets présents, absents,
Notre amé Conseiller-Libraire,
Dénommé Jacques Colombat
S'étant chargé de maintes affaires,
Tant secrètes et particulières,
Que publiques et de grand éclat,
Où, pour le besoin de l'État
De la Nation calotière,
Sa cervelle occupe maint rat.
À ces causes considérées
Et mûrement examinées,
On vous demande qu'à l'avenir
Le susdit ne peut nous fournir
Qu'un almanach de triple espèce
Pour apprendre à tout calotier
De haute et de basse noblesse,
Artisan, bourgeois, roturier,
Les influences de la lune
Dite vulgairement la Belle Brune,
Les progrès de nos avertins
Leurs naissances, leurs déclins.
Or donc, ledit bibliopole,
En habits cérémoniaux
Et portant au col des grelots
Ainsi qu'un prêtre son étole,
Introduit par les Avertins
Comme il convient aux Calotins,
Avec contenance congrue
Et digne de la gent férue
De caprices et vertigots,
S'est présenté à l'Audience
De notre suprême Régence,
Et nous a tenu ces propos :
« Soutiens de notre République,
Ce corps mieux formé, plus complet
Plus redoutable, plus parfait
Que la Diète germanique,
Vous déclare très humblement
Le ci-bas nommé suppliant,
Qu'il trouverait expédient
Pour le maintien de la police
De nommer en titre d'office
Un libraire examinateur
censeur, gloseur, réformateur
Des écrits qu'en cette Calotte
Dicte le Dieu de la Marotte.
À quoi (las, c'est bien à regret)
Le suppliant ne suffirait,
Vu le grand nombre de sornettes
Brochures, vers, petites histoires,
Libelles, nouvelles, pasquins,
Discours pleins de traits calotins,
Effets d'une imaginative
Élevée, brillante et vive ;
Vu nombre de souscriptions
Nombre de compilations,
Quelque mil traductions
Que Mome, en sa fougue divine,
Fait naître en terre calotine ;
Vu tant d'auteurs aventuriers
Et de réviseurs par milliers,
Toutes gens qui cherchent à tondre,
Que partout ici on voit fondre,
Et comme vautours et corbeaux
Entre eux s'arracher les morceaux.
Plaise à votre haute prudence
Es lieux de votre dépendance,
Autoriser ledit censeur
Le nommer vérificateur
Du sel, autrefois Sel attique,
Mais aujourd'hui Sel calotique.
Pour remplir un si digne emploi
Avec honneur et bonne foi
Et cette candeur peu commode
Dans un siècle fertile en fraude,
Vous recommandons un quidam,
Maintenant bourgeois d'Amsterdam,
Né vers les bords de la Garonne,
Saint fugitif de Babylone,
Où pour toujours on l'enrôla
Dans les troupes de Loyola.
Il déserta presque anonyme.
Mais sans chercher dans notre estime
Si la cause fut légitime
Qui l'émut à componction
Contre l'orgueil de Babylone
Si l'on vit son âme affligée
Gémir de Sion tempêtée.
Il faut venir à notre fin.
Nous croyons qu'un tel calotin
Doit occuper la charge dite
Attendu qu'en ce prosélyte
Nature a formé trait pour trait
Du grand Dieu Mome le portrait.
Comme lui, fait à la chicane
Il épilogue, puis il ricane,
Et sous un doucereux minois
Sape celui dont il fait choix
Et par une amère louange
A plus d'un sot donne le change.
Ainsi que ce dieu rancunier,
Il fait marchandise et métier
D'ergoter jusqu'à la satire
Tel dont il croit devoir médire.
Au surplus, modeste, discret,
Jugeant sans bile et de sang-froid,
Généreux, bienfaisant, facile.
On lit sur son front l'Évangile.
Plaise donc à votre Conseil,
Toujours attentif au mérite,
De choisir ledit Prosélyte,
Car il n'aurait pas son pareil.»
Signé Colombat.
Sur la très humble remontrance
De notre aimé, cher et féal,
Le grand Porte-almanach de France
Par-devant notre tribunal,
Soit mis dans la prérogative
De juger en dernier ressort
Des ouvrages et de leur sort
Sans donner raison instructive,
L'Ex-Jésuite à nous présenté
Et voulons, pour qu'il soit renté
Au prorata de sa sagesse,
Qu'il imprime seul nos brevets
Sans y faire les moindres frais.
Chaque jour lui feront largesse
De leurs beaux devis et propos,
De leurs sentences et bons mots,
Trois calotins, dont l'éloquence,
Et le bon goût et l'élégance
Brilleraient chez les Wisigoths.
Ils étayeront sa fortune.
Plus, pour mieux lui faire valoir
Leur bienveillance peu commune,
Tous les jours, le midi, le soir,
Ils se rendront à l'audience
Du susdit censeur souverain.
Chacun mû par son avertin
Lui déploierai sa science.
Car tel est notre bon plaisir.
Fait en notre plus grand loisir
L'an mil sept cent vingt et sixième
Et de mai le dix et neuvième.

 

Numéro
$4076


Année
1726




Références

1725, II, Supplément II, paginé 1-4 - F.Fr.9353, f°266v-269r -Lille BM, MS 62, p.328-38